Kahalé, accident révélateur de «l’autisme» politique du Hezb
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Le Liban offre au parti chiite quelque chose de précieux que l’Iran ne lui offrira jamais : la liberté, le pluralisme. Au Liban, la femme chiite est libre de porter ou non le voile. En Iran, elle est contrainte de le faire.

Fortuit, l’accident de Kahalé est un puissant révélateur de l’état de détérioration des relations entre le Hezbollah et une bonne partie de la société libanaise, sur les plans tout à la fois politique et humain. Et il est affligeant de relever que la formation chiite continue de se prétendre "ciblée" (moustahdafa), alors que du point de vue de la psychologie sociale, comme du point de vue politique, elle est en présence d’un phénomène de «rejet», dans le sens presque médical du terme, dont elle doit tenir compte de toute urgence.
Placés devant une situation imprévue par le renversement de leur camion de munitions, les miliciens du Hezbollah ont fait preuve d'hostilité, alors qu’ils étaient face à une population qui s’est d’abord fait un point d’honneur de voler au secours du chauffeur du camion accidenté. On le voit sur une photo, assis à terre, probablement «sonné», entouré de curieux attirés par cet accident spectaculaire,  se demandant probablement ce qu’il faut faire pour l’aider.
L’instant d’après, à la vue des armes brandies à leur visage, et probablement sur un coup de feu de semonce d’un milicien – l’enquête devra le montrer – les habitants de  Kahalé s’indignent et c’est le réveil de la fameuse « assabiya» d'Ibn Khaldoun,  que les dictionnaires définissent comme une «cohésion sociale en tant que dynamique de solidarité ».
Phénomène de rejet

Il faut le dire et le redire, le Hezbollah s’est trouvé à Kahalé face à une société qui rejette désormais ce qu’il représente. Et il est regrettable qu’il ne l’ait pas compris, ce dont ne laisse aucun doute le communiqué qu’il a publié après l’incident. Il y a là une énorme erreur de jugement. Personne n’a besoin d’isoler le Hezbollah, car il le fait très bien tout seul. Le parti de Hassan Nasrallah doit sortir de son autarcie idéologique, voire de son autisme politique, et prendre conscience du phénomène de rejet dont il est l’objet. Or grisé par sa puissance militaire, nous le voyons scier la branche sur laquelle il est assis, refusant le fait que le projet de «résistance islamique», avec sa théocratie, est incompatible avec le Liban pluraliste, d’autant que l’idéal de la «résistance» s’est progressivement criminalisé (contrebande, ingérences judiciaires, rackett, abus de pouvoir…).
Pour sa part, le Liban offre au Hezbollah quelque chose de précieux que l’Iran ne lui offrira jamais: la liberté, l’ouverture, le pluralisme. Sur la chaîne du Hezbollah, au cours d’un débat sur le port du foulard islamique, l’une des animatrices de l’émission s’est élevée contre la répression, quelque part, de ce «droit». Elle ne se rendait pas compte que ce droit n’est en fait qu’une obligation insupportable, pour certaines, dans l’Iran de ses rêves. Au Liban, la femme chiite est libre de porter ou non le foulard. En Iran, elle ne l’est pas, elle y est contrainte.
Le Hezbollah doit renoncer à cette idéologie qui accorde au «wali el-faqih», le théologien-juriste, la vertu d’infaillibilité sur des questions temporelles, comme «la classification des amis et des ennemis, le jihad et la décision de guerre et de paix» (voir l’excellent ouvrage Le Hezbollah, état des lieux, rédigé sous la direction de Sabrina Mervin, paru chez Sindbad). Pour prendre un exemple, au Liban, la décision de guerre et de paix doit relever exclusivement de l’État libanais.
En tout état de cause, il est clair comme le jour que la mise en pratique au Liban de la doctrine de la wilayat al-faqih  pose a priori problème, puisque le Liban n’est pas un État islamique, et  que le wali  est en dehors du pays,  ce qui prête le flanc aux critiques de ceux qui considèrent que le Hezbollah est assujetti à un  État étranger. 
Accès unique aux richesses du christianisme
En revanche, au Liban, le Hezbollah a un accès unique et incomparable aux richesses intellectuelles et culturelles du christianisme. Il participe avec lui, parfois, au même combat pour l’âme de ce monde. Il devrait profiter de l’expérience chrétienne du «millénarisme», cette doctrine religieuse qui croit à l’avènement d'un règne terrestre de Dieu, où pouvoir religieux et pouvoir politique se confondraient. L’Église catholique a sagement condamné une fois pour toutes le millénarisme, dans lequel croient encore certains courants du judaïsme, du protestantisme et de l'islam sunnite et chiite. Certes, comme l’affirme Jean-Paul II dans son encyclique Dieu riche en miséricorde  «la mission  messianique (de Jésus-Christ) est toujours présente dans l’histoire de l’humanité». Mais son accomplissement est attendu hors de l’histoire. «Un tel État, selon la foi chrétienne, n’est pas envisageable dans notre histoire et serait en contradiction avec la compréhension chrétienne des promesses », écrit Benoît XVI, dans Ce qu’est le christianisme (page 100, édition Le Rocher-Artège, 2023).
L’histoire nous apprend, d’ailleurs,  que les utopies engendrent  généralement les plus sanglantes terreurs. Que l’on songe seulement à l’utopie communiste. Le Hezbollah doit, de toute urgence, écouter la voix de la raison et soumettre à examen, à révision, l’impunité et l’inconscience avec lesquelles il agit au Liban. Et que l’incident fortuit de Kahalé est venu révéler avec éclat, et malheureusement dans le sang.
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