«Tu la retrouveras»: un roman de Jean Hatzfeld
Il est des hivers qui marquent une vie pour toujours. Celui, terrible, qui enserra Budapest des derniers mois de 1944 aux premiers de 1945, dans la triple tenaille des nazis, de l’Armée Rouge et d’un froid impitoyable, devait marquer au fer rouge les deux héroïnes du roman Tu la retrouveras de Jean Hatzfeld.

Les gardiennes du zoo: l’espoir au milieu des ruines

Sheindel et Izeta, la petite juive et la petite tzigane, sont à l’époque deux gamines d’une dizaine d’années que la guerre et la barbarie ont rendues orphelines. Tziganes ou juifs, leurs parents, grands-parents, frères et sœurs ont été déportés vers les camps de la mort ou exécutés sous leurs yeux. Leur survie a été rendue possible uniquement grâce à leur ingéniosité et à une incroyable force de vie, qui les ont préservées des griffes de leurs bourreaux.

Dans une Budapest en ruines où règnent la faim, le froid et la terreur imposée par les sanguinaires miliciens, affidés des nazis, qui n’en finissent plus de tuer, violer et piller, le destin va entraîner les deux petites filles à trouver refuge dans le zoo de la ville. Laissé à l’abandon et partiellement détruit, le zoo a le mérite d’offrir aux deux enfants un refuge où se cacher, quelques vivres pour tromper la faim dévorante et un formidable terrain de jeu. Peu à peu, Sheindel et Izeta vont devenir les vestales de ce lieu hors norme et les protectrices des animaux qui s’y trouvent encore. Soignant les uns, biberonnant les autres, veillant à nourrir chacun, les deux enfants vont constituer autour d’elles une véritable arche de Noé. Aidées par Dimitrù, soldat vétérinaire de l’Armée Rouge, elles accompagneront au plus loin ces animaux, personnages omniprésents du roman, capables de joindre leurs forces pour survivre en oubliant leurs déterminismes naturels au sein desquels les prédateurs ne sont pas toujours ceux que l’on croit (les hyènes jouent notamment un rôle très important dans l’histoire).

Sur les traces d’Izeta: une quête à travers les décennies


Si la première partie du roman se déroule entièrement durant l’hiver 1945, la deuxième partie a pour décor les années quatre-90 dans la région des Balkans. Devenue femme d’action, toujours au service des animaux, Sheindel y retrouve Dimitrù et y croise aussi la route d’un journaliste français qui s’intéresse à son histoire. Tous ensemble, ils vont réécrire en partie le passé, évoquer leur parcours dans les années séparant la fin de la Seconde Guerre mondiale et celles de la fin du vingtième siècle, et surtout joindre leurs efforts pour retrouver Izeta. Dans cette région du monde où la guerre, à nouveau, fracasse les vies et les trajectoires, au bord du Danube, imperturbable lien entre les époques, fleuve autorisant la vie sur ses berges, mais charriant les morts des guerres de tout temps, nos héros vont faire route commune vers une fin d’histoire étonnante et tout en retenue.

Jean Hatzfeld écrit avec précision, érudition, souci du détail, mais n’oublie pas pour autant de poétiser. Auteur plusieurs fois primé, journaliste sur les terrains de guerre du monde entier, il sait entraîner le lecteur dans une histoire à nulle autre pareille, autour de personnages fouillés auxquels l’on s’identifie immédiatement. Les grands romans sont sans doute ceux dont les personnages nous accompagnent longtemps après avoir refermé la dernière page. De toute évidence, Tu la retrouveras appartient à cette veine-là et mérite d’être distingué dans le flot des sorties de la rentrée littéraire 2023.

Alain Llense

Tu la retrouveras de Jean Hatzfeld, Gallimard, 2023, 201 p.

Cet article a été originalement publié sur le site de Mare Nostrum.
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