N’eût été le Hezbollah, personne de la classe politique ne se serait élevé contre la reconduction de la mission de la Finul, mission qui, par certains aspects, transgressait les attributs régaliens de l’État libanais. Mais est-ce à dire que le parti des mollahs est pour autant le garant de notre souveraineté nationale ? Loin de là…
Dans l’Union européenne, et pour faire simple, la souveraineté nationale se réduirait au pouvoir de décision propre à un pays membre dans un face-à-face avec les décisions communes prises à Bruxelles ou à Strasbourg. À telle enseigne que certains ténors de l’extrême droite italienne ou hongroise ont déclaré que la souveraineté de leur pays respectif serait menacée par la primauté du droit européen. Dans tout débat public, on les entend répéter qu’il serait temps de «s’affranchir, partiellement ou totalement, ponctuellement ou définitivement, des règles européennes pour sauvegarder les attributs de la souveraineté».
la Finul au Liban-Sud.
Au Liban, nous vivons une situation similaire, vu l’excroissance démesurée du Hezbollah qui se présente désormais comme une alternative à notre régime de droit, tant il détient certains attributs de la suzeraineté. Une attitude saine nous porterait à prendre acte de l’existence de ce phénomène qui, par la force des choses, s’est octroyé un domaine réservé parallèle à celui de l’État. De ce fait, il serait urgent aux yeux des capitulards de rationaliser cette situation, les collabos s’étant toujours drapés de légalité formelle pour justifier leur manquement à la probité et au courage.
À les suivre, on pourrait s’inspirer de la logique d’intégration européenne qui conjugue exclusivisme du droit national et primauté du droit européen, sans pour autant atteindre l’état de fusion totale. Cet agencement procéderait d’un processus décisionnel partagé. Notre politique étrangère et nos forces de sécurité relèveraient ainsi de la compétence exclusive du pouvoir des mollahs, alors que la gestion des autres départements et secteurs d’activité serait assurée par l’administration publique dans tout ce qu’elle a de plus routinier.
Seulement voilà, si dans la construction européenne les États membres ont librement choisi de renoncer à une part de leur souveraineté, c’est qu’ils partageaient d’ores et déjà un même système de valeurs et qu’ils avaient fait le choix d’un État de droit. Or nous, Libanais, n’avons pas, que je sache, librement accordé un pouvoir quelconque aux séides de l’Iran, et puis le système que ces derniers préconisent et dont la structure institutionnelle est coiffée par un Guide suprême ne correspond guère à nos mœurs politiques, si dévoyées soient-elles.
Qui a tiré sur le casque bleu irlandais?
Le jingoïsme du Hezbollah
Le tandem chiite, télécommandé depuis Téhéran, ne saurait prospérer que dans la transgression de notre souveraineté et dans la violation de la Constitution. Et pourtant, nous le voyons se soulever et dénoncer toute atteinte à notre sacrosainte indépendance. Tout dernièrement, la reconduction du mandat des forces intérimaires des Nations unies au Liban-Sud (Finul), lui a donné l’occasion de monter au créneau pour déclarer que ladite souveraineté était largement écornée par l’article 16 de la résolution 2650 du Conseil de Sécurité, ledit article disposant que la Finul peut effectuer sa mission au Liban-Sud sans autorisation préalable et indépendamment des patrouilles libanaises qui y assurent l’ordre. Quoi de plus offensant pour notre patriotisme! Ainsi, n’eût été lui, personne de la classe politique ne se serait élevé contre le renouvellement d’une mission aussi transgressive des apanages régaliens de l’État libanais. Songez que les États-Unis n’en démordaient pas et voulaient maintenir cette «clause scélérate» qui accordait à la force onusienne «l’accès libre aux propriétés privées sans coordination préalable avec notre armée nationale» (1).
Écoutons le mufti jaafari, le cheikh Ahmad Kabalan, proclamer tout haut: «Il n’y a pas de place à une Finul au détriment de la souveraineté libanaise», «le sud du Litani n’est pas un terrain vague à louer», et «les habitants du Liban-Sud connaissent leurs intérêts et font fi de ce qui sera décidé en Conseil de sécurité, fin août, lors de la session consacrée au renouvellement du mandat de la Finul au Liban». (2) C’était dire non, mille fois non, à cette clause qui accorde aux Casques bleus la liberté d’action dans une zone couverte par la résolution 1701. Le lendemain même de l’objurgation du mufti, le sayyed Hassan Nasrallah réitérait son opposition au dit article 16 de la résolution 2650, «en vertu de laquelle le mandat des Forces intérimaires des Nations unies au Liban-Sud a été renouvelé d’un an jusqu’au 31 août». (3)
Certes, on avait trouvé in extremis un «compromis stylistique» pour sortir de l’impasse et le Conseil de sécurité de l’ONU avait finalement prorogé d’un an le mandat de la force intérimaire (4).
Le discours et la réalité
Dans ce débat à l’échelle mondiale, c’est le Hezbollah qui se présente comme le garant de notre souveraineté, alors que dans la réalité nul ne la viole au quotidien avec autant de délectation. Mais qui irait le lui reprocher?
Car dans ce jeu, il s’agit d’affirmer le contraire de la réalité. Le slogan l’emportera toujours sur la vérité, comme la démagogie sur l’esprit critique. C’est bien là la pratique discursive commune au Hezb d’Allah au Liban, au Baas syrien à Damas et à tant d’autres régimes répressifs. Telle faction assassine Rafic Hariri, des députés et des journalistes et déclare effrontément: «Nous ne resterons pas silencieux face aux assassinats perpétrés sur le sol libanais.» (5) La même conjuration aux ramifications régionales met en coupes réglées un Sud libanais, transformé en un «oblast iranien», et elle a ensuite le toupet de se porter caution pour notre indépendance.
Mais d’où vient que le Hezb parle en notre nom?
D’où tient-il la légitimité et sur quoi se fonde-t-il pour récuser une résolution des Nations unies bénéficiant d’une acquiescence internationale? Il n’y a que Carl Schmitt pour répondre à tel questionnement. Interrogé, il aurait répondu: «Le Hezbollah est souverain parce qu’il est en mesure de décréter l’état d’exception», c’est-à-dire de suspendre l’application du droit commun! C’est que son ascendant politique tient par le chantage armé qu’il exerce sur nos institutions. Fort de son hégémonie militaire, il intervient dans les débats et impose ses choix sur la scène politique. Autrement, comment expliquer que le pouvoir civil se plie à ses ordres et suive ses instructions comme l’a fait le ministre des Affaires étrangères Abdallah Bou Habib, lui qui, aux Nations unies, semblait plus soucieux des intérêts de la République islamique que de ceux de son propre pays.
Oui, Hassan Nasrallah a réussi là où Yasser Arafat avait lamentablement échoué. Le parti du sayed a investi l’État.
Alors, comment s’en affranchir «partiellement ou totalement, ponctuellement ou définitivement», vous voulez bien me dire? Et qu’on ne vienne pas nous ressasser: «Surtout, pas de repli identitaire, pas de décentralisation, pas de rêve de fédéralisation»!
yousmoua47@gmail .com
1- Bassam Abou Zeid, «Washington attaché à la liberté de mouvement de la Finul», Ici Beyrouth, 29 août 2023.
2- «Kabalan: Pas de place à une Finul au détriment de la souveraineté», Ici Beyrouth, 27 août 2023.
3- «Nasrallah: Ils veulent que la Finul espionne pour leur compte», Ici Beyrouth, 29 août 2023.
4- La résolution adoptée réaffirme l’autorisation de la Finul de mener ses opérations de manière indépendante tout en continuant à se coordonner avec le gouvernement libanais, dans le respect de la souveraineté libanaise. Cf. Stéphanie Khouri, «Pourquoi la mission de la Finul est devenue un enjeu (géo)politique», L’Orient-Le Jour, 1er septembre 2023.
5- «Nasrallah: Nous ne resterons pas silencieux face aux assassinats perpétrés sur le sol libanais», I24NEWS, Moyen-Orient, 28 août 2023.
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