Même si le résultat de la troisième mission au Liban de l’émissaire français Jean-Yves Le Drian, qui débute officiellement mardi, est difficile à prévoir, il semble que le dossier de la présidentielle bouge, aux deux niveaux local et international. Et le 8 Mars, tout comme l'opposition, mise sur cette visite. Chacun à sa façon.
À Beyrouth, les différents partis et blocs politiques attendent de voir ce qu’apporte avec lui Jean-Yves Le Drian, le représentant personnel du président français, Emmanuel Macron, pour le Liban, qui entame mardi ses entretiens bilatéraux dans la capitale libanaise.
Cette visite, la troisième après celles qu’il a effectuées en juin et juillet derniers, contribuera-t-elle à débloquer l’élection présidentielle, plus de dix mois après le début de la vacance à la tête de l’État?
«C’est la question à un million de dollars», répond un député de l’opposition. «On dit qu’il apporte du nouveau; nous attendons de voir», renchérit une source parlementaire.
«On verra après les entretiens bilatéraux qu’il tiendra avec l’ensemble des blocs parlementaires», précise de son côté une source diplomatique. Selon elle, de récents développements au Liban ont créé «une certaine dynamique» qui démontre que plusieurs acteurs libanais ont réalisé «l’urgence de la situation».
Il y a ainsi eu l’incident de Kahalé, le 9 août dernier, lorsqu’un camion appartenant au Hezbollah et transportant des munitions avait versé sur le côté en prenant un virage. Une fusillade avait ensuite éclaté entre les riverains et des éléments du Hezbollah, tuant un habitant de Kahalé et le chauffeur du camion. Ce grave épisode avait notamment conduit à une radicalisation de l’opposition contre le Hezbollah.
Par ailleurs, le chef du Courant patriotique libre (CPL), Gebran Bassil, a repris son dialogue avec le Hezbollah, et serait moins réticent envers l’élection du chef des Marada, Sleiman Frangié, candidat du 8 Mars, à la présidence.
Fusion des deux initiatives?
Un autre développement a été le discours prononcé par le président du Parlement et chef du mouvement Amal, Nabih Berry, le 31 août, et son appel à «un dialogue de sept jours durant le mois de septembre, au terme desquels des séances parlementaires successives seront tenues jusqu’à l’élection d’un président de la République».
M. Berry a été plus loin lundi, en prévoyant dans une déclaration au quotidien Al-Liwaa une «fusion» entre sa proposition et l’initiative française, car selon lui, elles «se complètent».
Si dans certains milieux diplomatiques, l’appel au dialogue et la mention par le chef du Parlement d’un scrutin ouvert ont été plutôt bien accueillis, cela n’a pas été le cas dans les rangs de l’opposition. «Y a-t-il une synchronisation entre les deux initiatives et comment M. Berry peut-il convoquer à une conférence de dialogue alors que M. Le Drian n’a ni achevé sa mission, ni renoncé à son initiative?», se demande un élu de l’opposition.
Réponse orale de l’opposition
Les blocs souverainistes, qui avaient refusé de répondre par écrit aux deux questions que M. Le Drian avait posées aux députés dans une lettre envoyée le 15 août dernier et portant sur le portrait et les priorités du prochain chef de l’État, ont en fait répondu oralement à l’émissaire français, insistant notamment sur le refus d’un dialogue multilatéral «qui constituerait un précédent dangereux pour la démocratie libanaise».
S’exprimant au nom de 31 députés de l’opposition (membres des Forces libanaises, des Kataëb, du Renouveau ainsi que trois députés du Changement), et mandaté par eux, le député Michel Moawad a transmis au nouvel ambassadeur de France, Hervé Magro, une réponse claire à ce sujet.
En substance, ces 31 députés accueillent positivement l’initiative française et sont ouverts à une solution de compromis qui pourrait aboutir à l’élection d’un président de la République. Ils estiment avoir fait preuve d'ouverture en passant de la candidature de Michel Moawad à celle de l’ancien ministre Jihad Azour, sur laquelle ils ont trouvé un terrain d'entente avec une fraction du pouvoir en place.
Ces députés tiennent au rôle de «facilitateur/médiateur» de la France, dont le pays a besoin, mais soulignent l’importance de deux lignes rouges: d'abord, le refus de l’élection d’un président du camp de la moumanaa (pro-Hezbollah) et, ensuite, le rejet de «l’institutionnalisation d’une table de dialogue multilatéral» antérieure à la présidentielle. Dans le passé, ce genre de dialogue a eu lieu «aux dépens de la Constitution» et a contribué à créer une Loya Jirga (grande assemblée traditionnelle qui prend les décisions en Afghanistan) dont le Liban paie depuis le prix.
Selon l’opposition, le dialogue a lieu entre les députés et l’appui à la candidature de Jihad Azour en est justement le produit.
On rappelle que les 31 députés de l’opposition avaient publié un communiqué après le départ de M. Le Drian, saluant son initiative mais rejetant l’option d’un dialogue et insistant sur le fait que la priorité est à l’élection d’un chef de l’État qui dirigerait un dialogue national axé notamment sur les armes du Hezbollah.
À l’oral et à l’écrit
En revanche, de source proche du 8 Mars, on estime que l’initiative française et la proposition de M. Berry se ressemblent beaucoup et ont le même but: élire un président de la République. Mais alors que la France a demandé aux députés de «présenter leur devoir» par écrit, le chef du Parlement les a invités à le «réciter à l’oral», plaisante la source.
Dans les milieux du 8 Mars, certains estiment que même si M. Le Drian a accepté le principe des entretiens bilatéraux avec ses interlocuteurs, car l’opposition refuse l’option du dialogue multilatéral, Paris n’a pas abandonné l’idée de réunir tous les blocs autour d’une même table de dialogue, ultérieurement, avant la tenue d’un scrutin électoral ouvert.
Selon ces milieux, l’initiative de M. Berry vise à favoriser l’élection d’un président: le dialogue débouchera sur le choix d’un, deux, trois ou quatre candidats, et c’est le vote qui tranchera.
Les sources précitées ne cachent pas toutefois que ce camp reste attaché à la candidature de Sleiman Frangié. Elles indiquent dans ce cadre que le temps presse, rappelant que l’État est menacé par de nombreux dangers, notamment le nombre grandissant de déplacés syriens et les combats à Aïn el-Héloué.
Dynamique internationale
Au niveau international, à Paris, et peu avant son départ pour Beyrouth, M. Le Drian a rencontré lundi deux responsables saoudiens directement concernés par ce pays: l’ambassadeur saoudien au Liban, Walid Boukhari, et le responsable du dossier libanais à Riyad, Nizar al-Alaoula.
Selon une source diplomatique, cette réunion reflète «l’importance de la coordination» entre la France et l’Arabie sur le dossier libanais. On rappelle que ces deux pays constituent, avec l’Égypte, le Qatar et les États-Unis, le Groupe des Cinq, qui tente de débloquer l’impasse présidentielle au Liban.
M. Le Drian s’était déjà entretenu le 18 juillet, à Djeddah, avec le ministre saoudien des Affaires étrangères, Faisal ben Farhane, en présence de M. Alaoula, au lendemain de la réunion à Doha de ce quintette.
Il avait également rencontré le ministre qatari des Affaires étrangères, Mohammad Abdel Aziz al-Khoulaifi. Il convient de noter justement que Doha joue un rôle discret mais de plus en plus actif au Liban, où il a déjà envoyé plus d’un émissaire pour discuter de l’échéance présidentielle.
Dans ce contexte, des sources proches du 8 Mars ainsi que d’autres proches de l’opposition relèvent une divergence entre les médiations française et qatarie, soulignant que Doha appuie clairement l’élection du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun.
Un observateur rappelle que le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammed Raad, a rencontré dernièrement le général Joseph Aoun, soulignant que cette rencontre est significative.
Pour ce qui est des autres candidats à la présidence, des députés souverainistes notent que malgré son dialogue avec le Hezbollah, le CPL, qui avait «convergé» avec l’opposition sur la candidature de Jihad Azour, et avait voté pour lui lors de la dernière séance électorale, confie dans ses rencontres avec l’opposition qu’il maintient cette position. Le bloc du Parti socialiste progressiste exprime la même position, selon ces députés.
La troisième mission de M. Le Drian parviendra-t-elle à débloquer la présidentielle? Tout dépendra du déroulement de ses rencontres avec les blocs parlementaires. En tous les cas, le 8 Mars et l’opposition, chacun à sa façon, mise sur le résultat de la médiation de la France.
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