©La Jungle où je suis né, par Karim Tabet aux ëditions Antoine.
Historien d’origine libanaise et ex-publicitaire, Karim Tabet est l’auteur de romans historiques: Les Mûriers de la Tourmente (2014), Fleur de lys, Feuille d’érable (2017), De rivage en rivage (2020). Ce passionné de moto qui sillonne les routes du Liban sur sa Harley Davidson, poste régulièrement ses balades avec textes et photos sur son site www.karim-tabet.com.
Le voici qu’il fait la une de l’actualité éditoriale avec un hors-piste aussi attendu qu’apprécié: celui de rassembler ses célèbres fables satiriques en un recueil qui porte pour titre La Jungle où je suis né, aux éditions Antoine. Cette jungle, vous l’avez bien deviné, a pour nom propre le pays du Cèdre (histoire d’arrondir les angles avec une métaphore), et les animaux qui y crèchent (de force), on les connaît aussi. Un peu trop bien et depuis un peu trop longtemps aussi! C’est avec l’art d’un escrimeur qui érafle ses adversaires, avant de les achever, que Karim Tabet mène le "jeu". Dans sa "ferme des animaux" orwelienne, aucune compromission n’est de mise. La mise à mort, elle, est sans appel. Alors on en redemande. On n’est jamais rassasié. On vote à l’unanimité pour un bis repetita, et que les fables s’enchaînent sans jamais s’arrêter. Ici Beyrouth se penche sur ce Jean de La Fontaine des temps modernes.
Quel a été le point de départ de ces fables ?
Le feu couvait sous les cendres depuis belle lurette. Il y a longtemps de ça, j’ai réalisé avec beaucoup d’amertume que nous étions assujettis à un système politique sclérosé qu’il était urgent de dépoussiérer. Un impératif qu’il fallait mener à bien pour enfin s’extirper du fossé dans lequel le Liban était empêtré. Advint ensuite le soulèvement d’octobre 2019 (je ne le qualifie pas de révolution). Était-ce le point de départ d’un changement éventuel du système tant souhaité par une grande partie des Libanais? Mais, comme beaucoup de mes concitoyens, je me rendis vite à l’évidence. Nous semblions tourner en rond, incapables de définir une stratégie commune avec un objectif bien précis, sous la houlette d’une sorte de directoire. À mes yeux telles étaient pourtant les conditions inhérentes à toute révolution. Malheureusement, nous retombâmes très vite dans les sables mouvants de la politique politicienne où l’ego prime sur le reste et où les coups bas restent les seuls maîtres du jeu. La mèche qui s’était brièvement allumée s’éteignit au fil des semaines et nous ratâmes le coche. Certes, le sentiment d’injustice qui restait omniprésent ne réussit pas à se concrétiser de manière radicale.
Quelques mois plus tard, l’explosion au port en ce funeste 4 août 2020 a été la goutte qui a fait déverser mon vase, et le point de départ de mes fables. Quarante-huit heures après, j’exprimai mon ras-le-bol, mon dégoût et ma révolte dans un réquisitoire intitulé "Je vous maudis!" Puis les autres fables suivirent. "Qui ne gueule pas la vérité, quand il sait la vérité, se fait le complice des menteurs et des faussaires", écrivait Charles Péguy. Cette pensée pertinente représente l’essence même de mon recueil.
Le choix du titre ne pouvait mieux décrire notre pays. S’est-il imposé à vous d’emblée?
Pouvoir par le biais d’un titre, résumer en un mot (ou en plusieurs) le thème d’un ouvrage n’est guère aisé. C’est en quelque sorte la marque de fabrique d’un livre. Le titre est la première chose qui attire l’attention du lecteur potentiel, attise sa curiosité et le pousse à en savoir plus. En ce qui me concerne, j’avais initialement plusieurs titres en tête. Mais après réflexion, La Jungle où je suis né me parut être le plus pertinent, le plus réaliste, le plus véridique. D’une part, il résumait le maelström continu auquel nous étions et sommes toujours subjugués, et d’autre part il illustrait sans aucune ambiguïté le contenu de mes fables. Le mot jungle a d’ailleurs une connotation qui reflète en quelque sorte le rapport entre le fort et le faible, entre le loup et l’agneau, entre le lion et la fourmi, etc. Par conséquent, la loi de la jungle qui prévaut depuis des décennies au Liban, mon pays natal, représentait l’évidence même.
Comment vivez-vous cette "double-casquette" entre l’homme qui écrit des romans historiques et celui qui se lâche dans ces histoires qui ciblent la caste politique libanaise sans nommer les protagonistes?
Je la vis très bien, surtout qu’il existe une complémentarité entre ces deux disciplines, c’est-à-dire entre le fait de tisser une fiction sur un fond de toile historique (fonction du roman historique) et relater des faits contemporains dans un style diffèrent, descriptif, sous la forme de vers et quatrains (fonction de la fable satirique). Ce sont, je le pense, deux approches créatives qui portent en elles un objectif commun et convergent vers le même but: informer et distraire à la fois.
Je pense aussi que la versatilité dans l’écriture (et dans l’art en général) est une opportunité que l’on doit saisir si l’on en a le désir et la volonté. Ainsi, je crois que l’on peut porter plus de deux casquettes, sans pour autant être étiqueté. Nombreux créateurs s’y sont d’ailleurs attelés, que ça soit en peinture, en musique, ou bien sûr en littérature. Ce sont leurs "périodes" sujettes aux inspirations du moment. L’essentiel est de pouvoir partager et exprimer librement, à un moment spécifique de notre existence, un message pertinent, qui sort de nos tripes. Sans ambages ni embarras. Ce fut mon cas. Loin de vouloir me comparer au génial Ibn al Mouqafa', auteur de Kalila wa Doumna, ou à l’immense La Fontaine qui disait "se servir des animaux pour instruire les hommes", je me suis toutefois inspiré de ces grands esprits (qui ne nommèrent jamais ou très rarement les protagonistes) pour peindre à ma manière tout mon ressenti. Et comme eux, j’ai laissé à chaque lecteur le libre choix de saisir, de comprendre, d’imaginer et d’associer à qui bon lui plaise et lui sied, les animaux précités. Enfin, n’étant personnellement affilié à aucun mouvement politique, je reste un esprit libre et indépendant qui ne traîne aucune casserole, et ne se gêne pas d’égratigner toute la faune politique, sans aucune exception ou parti pris.
Pourquoi 22 fables seulement? Comptez-vous persévérer sur cette note d’humour caustique?
Ça aurait pu être un autre chiffre. Mais 22 est le nombre de fables écrites entre août 2020 et fin novembre 2021. J'ai ressenti ensuite le besoin de les rassembler dans ce recueil que j’eus le plaisir de signer en décembre. Pour le moment, j’ignore si je persévérerai dans cette direction. Comme je le disais précédemment, ce besoin de butiner et d’expérimenter de nouvelles choses, d’explorer d’autres territoires fait partie de mon tempérament et me tient à cœur. C’est, d’une certaine manière, vouloir sciemment se remettre en question, oser se renouveler et ne pas se complaire dans un certain confort. "Ne pouvoir vivre qu’une vie, c’est comme ne pas vivre du tout", a écrit Milan Kundera. Une philosophie à laquelle je souscris totalement.
Quelle est votre fable préférée et pourquoi?
Je n’ai aucune préférence. En fait, chaque fable que j’ai écrite avait sa raison d’être. Chacune définissait ou s’amusait d’un contexte politique bien précis que de nombreux lecteurs ont saisi sur-le-champ. Chacune décrivait une situation que nous vivions et qui faisait alors la une de notre quotidien, des colonnes de journaux et des nouvelles télévisées. Je n’ai rien inventé de surcroît, et me suis juste inspiré de ces "instantanés", souvent dramatiques, pour mettre en exergue dans un ton mi-figue mi-raisin le comportement loufoque, vil et ridicule que ces animaux affichaient, et continuent d’exhiber sans aucune vergogne.
Avez-vous un prochain ouvrage en cours? Si oui, est-ce l’historien ou le conteur de fables qui s’y emploie?
J’achève dans quelques mois l’écriture de mon cinquième ouvrage, qui ne sera ni un roman historique ni un autre recueil de fables. Comme quoi, l’inspiration ne connaît pas de limites. L’essentiel est que je puisse y trouver mon épanouissement et partager avec les lecteurs, mes pensées, mes désirs, mes frustrations.
Le voici qu’il fait la une de l’actualité éditoriale avec un hors-piste aussi attendu qu’apprécié: celui de rassembler ses célèbres fables satiriques en un recueil qui porte pour titre La Jungle où je suis né, aux éditions Antoine. Cette jungle, vous l’avez bien deviné, a pour nom propre le pays du Cèdre (histoire d’arrondir les angles avec une métaphore), et les animaux qui y crèchent (de force), on les connaît aussi. Un peu trop bien et depuis un peu trop longtemps aussi! C’est avec l’art d’un escrimeur qui érafle ses adversaires, avant de les achever, que Karim Tabet mène le "jeu". Dans sa "ferme des animaux" orwelienne, aucune compromission n’est de mise. La mise à mort, elle, est sans appel. Alors on en redemande. On n’est jamais rassasié. On vote à l’unanimité pour un bis repetita, et que les fables s’enchaînent sans jamais s’arrêter. Ici Beyrouth se penche sur ce Jean de La Fontaine des temps modernes.
Quel a été le point de départ de ces fables ?
Le feu couvait sous les cendres depuis belle lurette. Il y a longtemps de ça, j’ai réalisé avec beaucoup d’amertume que nous étions assujettis à un système politique sclérosé qu’il était urgent de dépoussiérer. Un impératif qu’il fallait mener à bien pour enfin s’extirper du fossé dans lequel le Liban était empêtré. Advint ensuite le soulèvement d’octobre 2019 (je ne le qualifie pas de révolution). Était-ce le point de départ d’un changement éventuel du système tant souhaité par une grande partie des Libanais? Mais, comme beaucoup de mes concitoyens, je me rendis vite à l’évidence. Nous semblions tourner en rond, incapables de définir une stratégie commune avec un objectif bien précis, sous la houlette d’une sorte de directoire. À mes yeux telles étaient pourtant les conditions inhérentes à toute révolution. Malheureusement, nous retombâmes très vite dans les sables mouvants de la politique politicienne où l’ego prime sur le reste et où les coups bas restent les seuls maîtres du jeu. La mèche qui s’était brièvement allumée s’éteignit au fil des semaines et nous ratâmes le coche. Certes, le sentiment d’injustice qui restait omniprésent ne réussit pas à se concrétiser de manière radicale.
Quelques mois plus tard, l’explosion au port en ce funeste 4 août 2020 a été la goutte qui a fait déverser mon vase, et le point de départ de mes fables. Quarante-huit heures après, j’exprimai mon ras-le-bol, mon dégoût et ma révolte dans un réquisitoire intitulé "Je vous maudis!" Puis les autres fables suivirent. "Qui ne gueule pas la vérité, quand il sait la vérité, se fait le complice des menteurs et des faussaires", écrivait Charles Péguy. Cette pensée pertinente représente l’essence même de mon recueil.
Le choix du titre ne pouvait mieux décrire notre pays. S’est-il imposé à vous d’emblée?
Pouvoir par le biais d’un titre, résumer en un mot (ou en plusieurs) le thème d’un ouvrage n’est guère aisé. C’est en quelque sorte la marque de fabrique d’un livre. Le titre est la première chose qui attire l’attention du lecteur potentiel, attise sa curiosité et le pousse à en savoir plus. En ce qui me concerne, j’avais initialement plusieurs titres en tête. Mais après réflexion, La Jungle où je suis né me parut être le plus pertinent, le plus réaliste, le plus véridique. D’une part, il résumait le maelström continu auquel nous étions et sommes toujours subjugués, et d’autre part il illustrait sans aucune ambiguïté le contenu de mes fables. Le mot jungle a d’ailleurs une connotation qui reflète en quelque sorte le rapport entre le fort et le faible, entre le loup et l’agneau, entre le lion et la fourmi, etc. Par conséquent, la loi de la jungle qui prévaut depuis des décennies au Liban, mon pays natal, représentait l’évidence même.
Comment vivez-vous cette "double-casquette" entre l’homme qui écrit des romans historiques et celui qui se lâche dans ces histoires qui ciblent la caste politique libanaise sans nommer les protagonistes?
Je la vis très bien, surtout qu’il existe une complémentarité entre ces deux disciplines, c’est-à-dire entre le fait de tisser une fiction sur un fond de toile historique (fonction du roman historique) et relater des faits contemporains dans un style diffèrent, descriptif, sous la forme de vers et quatrains (fonction de la fable satirique). Ce sont, je le pense, deux approches créatives qui portent en elles un objectif commun et convergent vers le même but: informer et distraire à la fois.
Je pense aussi que la versatilité dans l’écriture (et dans l’art en général) est une opportunité que l’on doit saisir si l’on en a le désir et la volonté. Ainsi, je crois que l’on peut porter plus de deux casquettes, sans pour autant être étiqueté. Nombreux créateurs s’y sont d’ailleurs attelés, que ça soit en peinture, en musique, ou bien sûr en littérature. Ce sont leurs "périodes" sujettes aux inspirations du moment. L’essentiel est de pouvoir partager et exprimer librement, à un moment spécifique de notre existence, un message pertinent, qui sort de nos tripes. Sans ambages ni embarras. Ce fut mon cas. Loin de vouloir me comparer au génial Ibn al Mouqafa', auteur de Kalila wa Doumna, ou à l’immense La Fontaine qui disait "se servir des animaux pour instruire les hommes", je me suis toutefois inspiré de ces grands esprits (qui ne nommèrent jamais ou très rarement les protagonistes) pour peindre à ma manière tout mon ressenti. Et comme eux, j’ai laissé à chaque lecteur le libre choix de saisir, de comprendre, d’imaginer et d’associer à qui bon lui plaise et lui sied, les animaux précités. Enfin, n’étant personnellement affilié à aucun mouvement politique, je reste un esprit libre et indépendant qui ne traîne aucune casserole, et ne se gêne pas d’égratigner toute la faune politique, sans aucune exception ou parti pris.
Pourquoi 22 fables seulement? Comptez-vous persévérer sur cette note d’humour caustique?
Ça aurait pu être un autre chiffre. Mais 22 est le nombre de fables écrites entre août 2020 et fin novembre 2021. J'ai ressenti ensuite le besoin de les rassembler dans ce recueil que j’eus le plaisir de signer en décembre. Pour le moment, j’ignore si je persévérerai dans cette direction. Comme je le disais précédemment, ce besoin de butiner et d’expérimenter de nouvelles choses, d’explorer d’autres territoires fait partie de mon tempérament et me tient à cœur. C’est, d’une certaine manière, vouloir sciemment se remettre en question, oser se renouveler et ne pas se complaire dans un certain confort. "Ne pouvoir vivre qu’une vie, c’est comme ne pas vivre du tout", a écrit Milan Kundera. Une philosophie à laquelle je souscris totalement.
Quelle est votre fable préférée et pourquoi?
Je n’ai aucune préférence. En fait, chaque fable que j’ai écrite avait sa raison d’être. Chacune définissait ou s’amusait d’un contexte politique bien précis que de nombreux lecteurs ont saisi sur-le-champ. Chacune décrivait une situation que nous vivions et qui faisait alors la une de notre quotidien, des colonnes de journaux et des nouvelles télévisées. Je n’ai rien inventé de surcroît, et me suis juste inspiré de ces "instantanés", souvent dramatiques, pour mettre en exergue dans un ton mi-figue mi-raisin le comportement loufoque, vil et ridicule que ces animaux affichaient, et continuent d’exhiber sans aucune vergogne.
Avez-vous un prochain ouvrage en cours? Si oui, est-ce l’historien ou le conteur de fables qui s’y emploie?
J’achève dans quelques mois l’écriture de mon cinquième ouvrage, qui ne sera ni un roman historique ni un autre recueil de fables. Comme quoi, l’inspiration ne connaît pas de limites. L’essentiel est que je puisse y trouver mon épanouissement et partager avec les lecteurs, mes pensées, mes désirs, mes frustrations.
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