À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la maladie d’Alzheimer, Ici Beyrouth revient sur l’histoire de cette maladie débilitante, depuis les premières observations d’Alois Alzheimer en 1906 jusqu’aux nouveaux traitements biologiques.
Nous sommes le 3 novembre 1906. Alois Alzheimer (1864-1915), un psychiatre clinicien et neuroanatomiste allemand, rapporte, lors de la 37ᵉ réunion des psychiatres du Sud-Ouest allemand à Tübingen, «un processus pathologique particulièrement sévère du cortex cérébral». Il décrit, en effet, le cas clinique d’une femme quinquagénaire, Auguste Deter, qu’il avait suivie depuis son admission à l’asile municipal d’aliénés et d’épileptiques de Francfort pour paranoïa, troubles progressifs du sommeil et de la mémoire, agressivité et confusion, jusqu’à son décès cinq ans plus tard, le 8 avril 1906.
D’éminents scientifiques présents dans l’audience, tels qu’Oswald Bumke (1877-1950), Otto Binswanger (1852-1929) et Hans Curschmann (1875-1950), ne manifestent aucun signe d’intérêt à l’égard de ces données cliniques. Seul un (très) bref résumé figure, en plus, dans les actes officiels de la réunion. En outre, alors que la presse publique de Tübingen commente abondamment les conférences psychanalytiques, seules deux lignes sont consacrées à la conférence d’Alois Alzheimer. Cette conférence marque le début d’une quête scientifique complexe, parsemée d’une pléthore d’embûches et de défis, visant à élucider les mystères de cette maladie débilitante qui porte désormais le nom de son découvreur.
Schéma atypique
Avant d’explorer l’univers des traitements classiques et innovants de la maladie d’Alzheimer, un bref détour par l’histoire s’impose. À la suite du décès d’Auguste Deter, son cerveau est acheminé depuis Francfort jusqu’à Munich, là où le Dr Alzheimer se trouvait, accompagné de son dossier médical. Le psychiatre allemand s’empresse alors d’entreprendre une autopsie cérébrale afin d’explorer l’étiologie des symptômes de sa patiente. Assisté par le neurologue italien, Gaetano Perusini (1879-1915), le Dr Alzheimer détecte une atrophie du cortex cérébral, accompagnée d’une altération de la région qui contrôle la mémoire, le langage, le jugement et la pensée. Il découvre également une accumulation de plaques (dites séniles ou amyloïdes) entre les neurones et des enchevêtrements neurofibrillaires à l’intérieur des neurones. Ce schéma clinique, qui ne peut guère être décrit comme atypique pour un patient de 70 à 80 ans, est significatif car Auguste Deter n’avait que 57 ans lorsqu’elle est décédée.
Énigme non résolue
Ces observations ont ainsi contribué à la découverte des caractéristiques neuropathologiques qui sont devenues emblématiques de cette forme de démence. C’est finalement dans le second volume de la huitième édition de son Traité de psychiatrie (1910) qu’Emil Kraepelin (1856-1926) introduit, pour la première fois, l’expression de maladie d’Alzheimer. Dès lors, la prévalence mondiale de cette pathologie a connu une augmentation exponentielle. Selon des projections épidémiologiques, le nombre de patients atteints de la maladie d’Alzheimer devrait franchir la barre des 150 millions de cas, d’ici à 2050. Ces spéculations alarmantes soulignent l’importance de poursuivre et d’intensifier les efforts de recherche sur cette maladie dont l’étiologie demeure complexe, et la pathogenèse, une énigme encore non résolue. Les hypothèses dominantes pointent, toutefois, vers des phénomènes tels que l’accumulation anormale de la protéine bêta-amyloïde, l’hyperphosphorylation de la protéine tau et la neuro-inflammation chronique.
Arsenal thérapeutique réduit
Jusqu’à présent, aucune thérapie permettant de freiner la progression de la maladie d’Alzheimer, voire de restituer les neurones endommagés ou perdus, n’a été mise au point. Cependant, sept molécules ont reçu l’approbation de l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (en anglais U.S. Food and Drug Administration ou FDA) pour un usage médical. Il s’agit de la tacrine (approuvée en 1993 puis interdite en 2013 pour sa toxicité hépatique), du donépézil (approuvé en 1996), de la rivastigmine (approuvée en 1997), de la galanthamine (approuvée en 2001), de la mémantine (approuvée en 2003), de l’aducanumab (approuvé en 2021) et du lecanemab (approuvé en 2023). Les quatre premiers appartiennent à la famille des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, une enzyme dégradant un neurotransmetteur important dans le cerveau, l’acétylcholine. Ces médicaments favorisent ainsi la persistance de l’activité neuronale et l’amélioration des facultés mnésiques. La mémantine, quant à elle, permet de réduire la neurotoxicité due aux acides aminés dits excitatoires, ainsi que l’apoptose neuronale.
Traitements controversés
Néanmoins, il convient de noter que ces médicaments agissent uniquement sur les symptômes en les atténuant. Ils retardent ainsi le déclenchement de la maladie d’Alzheimer, sans toutefois la guérir. Plus récemment, la FDA a octroyé son approbation à un anticorps monoclonal, l’aducanumab, pour le traitement des patients présentant des symptômes légers de la maladie. Il s’agit d’un médicament conçu pour cibler et éliminer les plaques amyloïdes. L’efficacité et l’innocuité de l’aducanumab ont été évaluées par le biais de deux essais cliniques randomisés de phase 3 (Engage et Emerge), menés chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer précoce. Les résultats sont hétérogènes: Engage n’atteint pas son objectif principal, tandis qu’Emerge y réussit.
Ces résultats incohérents ont jeté le doute sur l’efficacité de cibler la protéine bêta-amyloïde, remettant ainsi en question la principale théorie sur l’origine de la maladie. L’approbation de l’aducanumab par la FDA en 2021 a suscité un débat en raison de préoccupations concernant son efficacité, ses effets secondaires et son coût exorbitant. Certains experts estiment que les preuves de son efficacité sont insuffisantes, tandis que d’autres considèrent qu’il offre de l’espoir pour le traitement de la maladie d’Alzheimer, pour laquelle il existe actuellement peu de traitements disponibles.
Un autre anticorps ciblant la protéine bêta-amyloïde et ainsi les plaques séniles, nommé lecanemab, a été approuvé en janvier 2023. Selon les résultats d’un essai clinique multicentrique, en double aveugle, de phase III, le lecanemab a ralenti le taux de déclin cognitif de 27% au cours d’un suivi de 18 mois impliquant des participants en phase précoce de la maladie d’Alzheimer. Toujours selon cette étude publiée dans le New England Journal of Medicine (NEJM), l’incidence des événements indésirables était de 21,3% pour ceux qui ont reçu le lecanemab et de 9,3% pour ceux qui ont reçu un placebo. Des essais à plus long terme s’imposent pour établir définitivement l’efficacité et l’innocuité de ce traitement.
En somme, malgré les progrès réalisés, la maladie d’Alzheimer demeure un défi majeur de santé publique, suscitant ainsi l’engagement incessant de la communauté scientifique dans la recherche de traitements plus efficaces.
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