Vers un début de sortie de crise ?
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Le Moyen-Orient est actuellement le théâtre de développements inhabituels qui pourraient changer la réalité politique régionale dans les mois à venir. Ce qui se produit au Yémen, en Irak, en Syrie, au Liban, et même à Gaza, constitue des signes que la région entre dans une nouvelle étape, celle du compromis. Les indices de progrès dans les négociations en cours sur le nucléaire iranien à Vienne s’inscrivent dans ce cadre. Au même titre que le basculement dans l’équilibre des forces au Yémen et les revers accumulés par les Houthis, contraints de se retirer des provinces du Sud en direction de Sanaa après avoir subi une cuisante défaite à Ma’reb aux mains de la brigade d’élite émiratie, celle des Géants, libérée des Houthis. Les rebelles ont aussitôt répondu lundi par l’attaque contre l’aéroport d’Abou Dhabi, dans une démarche qui pourrait hâter la solution de la crise yéménite. Les Émirats ont annoncé qu’ils répondraient à cette attaque et ont mené des raids en soirée contre les positions houthies à Sanaa.

Ces événements coïncident avec les efforts iraniens pour une rencontre avec l’Arabie saoudite et l’annoncer d’un cessez-le-feu au Yémen et un retour aux relations diplomatiques entre les deux pays après six ans de rupture, au lendemain de l’exécution par Riyad du dignitaire religieux chiite Nimr Baqer el-Nimr en 2016. Téhéran a ainsi annoncé lundi avoir rétabli sa représentation diplomatique au sein de lOrganisation de la coopération islamique en dépêchant trois diplomates à Jeddah.

Ces développements pourraient contribuer au retour de certains pays arabes à un rôle influent et actif sur la scène libanaise en vue de rétablir “l’équilibre politique” évoqué par le président de la Chambre, Nabih Berry, lorsqu’il avait appelé l’ancien Premier ministre Saad Hariri à retourner au Liban et prendre part aux prochaines législatives pour revitaliser la scène sunnite et restaurer quelque peu un équilibre dans les rôles de certaines forces régionales et internationales.

Dans l’optique d’ouvrir la voie au processus de compromis, ils devraient s’accompagner d’efforts locaux visant à freiner l’escalade politique et médiatique et opérer un retour à un discours national modéré, un dialogue et un consensus, afin d’éviter des crispations un dérapage sectaire.

C’est notamment dans ce cadre qu’il faut replacer le communiqué du binôme chiite Hezbollah-Amal, qui ont annoncé samedi leur volonté de libérer les réunions du Conseil des ministres, bloquées du fait du boycott des ministres chiites depuis la mi-octobre 2021. Qui plus est, ce retour au gouvernement est tranché sans que le binôme n’ait obtenu dans la pratique ce pour quoi il avait décidé à l’origine de boycotter le cabinet Mikati, à savoir le déboulonnage du juge d’instruction Tarek Bitar, chargé du dossier de l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020.

Cette démarche du tandem été clarifiée par le président de la Chambre Nabih Berry, selon qui ce retour ferait suite “aux tentatives de nous faire assumer la responsabilité de la hausse du taux de change du dollar et l’effondrement de la situation sociale, économique et financière du pays par plus d’une partie”. Cependant, pour les milieux de l’opposition, il va de soi que M. Berry tentait de camoufler un ordre iranien d’affranchir le gouvernement des limbes dans le cadre du processus de compromis régional en développement.

Pour les milieux du 8 Mars, cette initiative est une tentative de se délester de toute responsabilité du blocage à l’ombre de la crise actuelle et d’en rejeter la faute sur le président de la République, Michel Aoun, et son gendre, Gebran Bassil. La manoeuvre vise aussi à absorber la grogne de la communauté chiite, et même des milieux d’Amal et du Hezbollah, durement touchés par la crise à l’instar du reste  du pays, dans une volonté manifeste des deux partis de restaurer un climat de confiance avec leurs bases électorales à la veille des législatives. Le tandem a d’ailleurs été réconforté par sa démarche, en dépit du maintien de Tarek Bitar - mais l’enquête a de toute façon était bloquée en raison du défaut de quorum au sein de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, et il paraît impossible pour l’heure de procéder à des nominations administratives capables de pallier à cette situation, dans la mesure où ces nominations nécessitent un consensus politique entre les pôles du pouvoir. Or le décret a besoin des contreseings du ministre des Finances, proche de M. Berry, et de la Justice, proche de M. Bassil, outre les signatures du Premier ministre et du président de la République.


À travers l’initiative de  relance du Conseil des ministres, Nabih Berry a donc renvoyé la balle dans le camp de Baabda, en déterminant en plus l’ordre du jour des séances: budget et relance économique. Il a fait chuter au passage, ce faisant, les projets que M. Bassil souhaiterait même sur le tapis, à savoir l’adoption de la 16e circonscription pour les émigrés, les mégacentres électoraux et le panier de nominations auquel il aspire pour placer ses hommes à des postes-clefs en vue de sa campagne présidentielle.

Mais le mandat entend répondre à cette attaque dirigée contre lui, et le chef du CPL souhaiterait mener lui-même l’offensive face au tandem chiite, et M. Berry en particulier. Le président du Parlement hésite encore à convoquer la Chambre et tente d’imposer comme condition la participation de M. Bassil et le vote par le bloc parlementaire du CPL sur le projet de distinction dans l’enquête sur le port entre présidents et ministres d’une part et fonctionnaires de l’autre, les premiers étant déférés devant la Haute cour chargée de juger les présidents et les ministres par le biais d’un comité parlementaire. M. Berry obtiendrait ainsi ce qu’il veut du juge Bitar.

La démarche du tandem a par ailleurs ouvert la voie à une énième controverse sur les prérogatives. Certains estiment que le fait pour les deux partis chiites d’avoir fixé de facto l’ordre du jour en vertu duquel ils prendrait part au Conseil des ministres crée un nouveau précédent et un nouveau usage, comme celui qui avait confié le ministère des Finances à la communauté chiite, contrairement aux dispositions de l’accord de Taëf. Après l’instauration du tiers de blocage, au lendemain de l’accord de Doha, et du “consensualisme” qui octroie désormais un droit de veto à chaque communauté, il s’agirait d’une hérésie supplémentaire qui traduit la suprématie politique   des armes aux dépens de la Constitution. À cela, certains rétorquent que le budget est un acte constitutionnel par excellence, dans la mesure où il détermine la voie financière que l’État doit adopter, et qu’il est tout à fait naturel qu’il soit en tête des priorités.

À l’occasion des débats à venir sur le budget, les instances économiques mettent en garde contre une nouvelle impositions de taxes et d’impôts à l’ombre de la crise économique, ou un retour à la mentalité qui avait conduit à l’adoption de la grille des salaires, laquelle a ruiné l’État. Les forces politiques n’avaient pas pris en compte à l’époque les mises en garde de la Banque centrale et des instances économiques, pour des raisons électorales. Pour l’économiste Sami Nader, il faudrait d’abord mettre en place un plan économique et des réformes, puis le budget, pour que ce dernier traduise concrètement le plan et les réformes. Budget, plan et réformes constitueraient donc un panier global de négociations avec le Fonds monétaire internationale, et les projets de réformes constituent l’entée en matière pour convaincre le FMI d’aider le Liban, souligne M. Nader.

Face à ce tableau extérieur et intérieur, des sources diplomatiques font état de la possibilité d’une conférence de dialogue national sous parrainage international, qui ouvrirait la voie à une solution, à travers l’application intégrale de l’accord de Taëf, pour en arrive à la mise en place d’un État civil en bonne et due forme. D’autant qu’il apparaît que plusieurs pays arabes et occidentaux, soucieux de l’avenir du Liban, refusent les propositions de certaines parties relatives à l’adoption d’un nouveau système politique ou pacte national, fédéralisme, partition, néo-Taëf ou assemblée constituante, dans la mesure où tous ces projets torpillent la formule libanaise et l’identité du Liban. Ce dont le Liban a besoin, selon un ancien responsable, c’est de gens propres qui puissent appliquer Taëf, la Constitution et la loi et l’imposer à tous, afin de consolider la stabilité et sur base du principe que l’intérêt du Liban doit passe avant tous les autres intérêts, personnels et étrangers.

Ainsi, les développements politiques en Irak, militaires au Yémen, constitutionnels en Syrie et surtout la réconciliation saoudo-iranienne devraient enfin mettre la région et le Liban sur le chemin de la sortie de crise - et du salut.
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