La quadrature du cercle du gouverneur
Deux mois de vice-gouverneurs, ou de gouverneur par intérim, déjà. Pas assez pour dresser un bilan, surtout dans un pays qui vit au ralenti peu artistique. Mais, cela dit, faisons quand même un effort d’introspection avec une lucarne sur l’avenir proche.

- Avant la passation du pouvoir, on a entrevu des menaces de démission collective si un nouveau gouverneur n’est pas désigné. Surtout que le chef du Parlement, Nabih Berry ne voulait pas qu’un chiite, proche de lui, se crame à porter la patate chaude. Évidemment, personne n’a fait attention à ces menaces, on en a vu d’autres. Et la vacance eut donc lieu.

- Wassim Mansouri, sentant son heure de gloire arriver, s’employait entretemps à tranquilliser les Américains, en leur assurant qu’il est moins chiite qu’il ne le paraît, un peu la version light. Nabih Berry aura compris alors qu’il doit s’abstenir d'intervenir dans son travail, ou le moins possible, ce qui doit le démanger terriblement.

- Tout de suite après la prise du pouvoir, on a eu droit à une séance de musculation présentée par l’ensemble des ‘vices’, entonnant avec fermeté des exigences communes, à savoir adopter un certain nombre de lois, les mêmes refrains. Avec en plus des dates limites: avant fin août, fin septembre, ou fin de l’année. Encore une fois, tout le monde s’en fichait, on est en plein été avec tous les yeux de la République braqués sur les flux des expats.

- Une fois ces shows terminés, et Wassim Mansouri bien calé au pouvoir, il commence à donner des signaux de sa politique monétaire, avec une fermeté de ton, sinon de fond. D’abord, il déclare que, pour préserver ce qui reste des réserves, il ne veut plus prêter à l’État – ‘’sauf si le Parlement adopte une loi en ce sens’’. En d’autres termes, il est prêt à dilapider une partie de l’argent des déposants à la BDL si d’autres en portent la responsabilité.

- Le ‘’plus aucun sou à l’État’’, ruminé à souhait dans ses interventions ultérieures, doit cependant être nuancé: la BDL poursuit, à la place de l’État, la subvention de certains médicaments, plus d’autres nécessités pour l’industrie et l’agriculture, puis en faveur des fonctionnaires via Sayrafa.

- De plus, la BDL ne rechigne pas à renouveler des dettes étatiques à leur échéance. C’est le cas des Bons de Trésor, ces titres de dette en LL que le gouvernement émet régulièrement. La BDL en détient déjà les deux tiers. Et sa part augmente régulièrement. Car, toutes les semaines, le ministère des Finances émet de nouveaux bons, en remplacement des dettes échues ou pour financer ses opérations. Et, comme les banques n’en veulent pas, c’est la BDL qui rafle le tout.

- On a remarqué cependant dernièrement que la BDL souscrit moins qu’avant à ces Bons, laissant un déficit entre les bons échus et les nouveaux émis. Si ce décalage continue, ou si le gouverneur veut tenir sa promesse, un ‘shutdown’ ou blocage de notre administration sera inévitable: le ministère n’aura plus de liquidité pour payer les fonctionnaires, car le budget de l’État est déficitaire par définition. Ou alors il va falloir imprimer des livres libanaises, ce que Wassim Mansouri dit refuser aussi. Le type s’est mis dans une position en flèche qu’il va avoir du mal à maintenir.


- Cela n’empêche que cette politique restrictive plaît au FMI, qui lui a octroyé un bon point avec gommette. Mais ajoute qu’il reste encore beaucoup, beaucoup, de chemin à faire: d’abord unifier les taux de change, mais surtout au niveau législatif et exécutif, donc hors du cadre de la BDL.

- Le marché des capitaux a également bien accueilli sa politique, via le prix des Eurobons sur le marché. Cela faisait des mois que leur prix était autour de 6%, c’est-à-dire qu’on pouvait acheter un bon à 100.000 dollars en ne payant que 6.000 dollars. Puis, au cours des deux mois passés, le tarif a bougé pour atteindre la semaine passée 8%. C’est toujours lamentable (la pire performance au monde), mais moins pire que notre record de pire.

- Prochain chapitre, la plateforme Sayrafa est supposée passer la main à Bloomberg. L’objectif est d’assurer davantage de transparence et un gage de professionnalisme, et peut-être l’unification à terme des taux de change. Mais le hic n’est pas là. Bloomberg ou pas, est-ce que la BDL va intervenir sur le marché des changes si le dollar dérape? Wassim Mansouri entrevoit une intervention ponctuelle en cas de besoin. Mais, nous ne savons pas dans quelles limites il utiliserait cette arme.

- Entretemps, le gouverneur fait montre d’une avarice accrue au détriment des déposants. La circulaire 158 qui offrait juste un mince filet d’oxygène (400 dollars), réduit sa voilure. Près de 181.000 en profitaient, mais dont 87.000 ont déjà épuisé leurs droits, et la BDL n’offre plus rien à ceux qui veulent renouveler l’opération, ayant nourri leur compte entretemps. Ceux qui n’ont pas profité de la 158 peuvent y accéder, mais en empochant seulement 300 dollars par mois.

- Autrement dit, le gouverneur ne veut plus concéder de sous à l’État, arguant du fait que c’est l’argent des déposants – mais ne veut pas non plus faire profiter les déposants de leur argent. Or les chiffres témoignent en faveur de cette distribution. Depuis l’émission de cette circulaire (juin 2021), la BDL n’a déboursé que 890 millions de dollars (et les banques de même). Une broutille quand on sait que le casse du siècle qui s’appelait ‘subvention des produits de base’ a décimé 8 milliards de dollars et enrichi tous ceux qui étaient au pouvoir jusqu’à la quatrième génération.

Mais en somme, et c’est ce qu’on n’arrête pas de clamer haut et fort dès le début: une banque centrale ne peut à elle seule résoudre notre crise financière. Mais nous sommes dans un pays où les tortues du pouvoir se contentent d’astiquer leur carapace pour briller. 

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