L’éditorial – Liban-Gaza: Qui t’a fait roi?

 
Les Libanais ont été témoins ces derniers jours de deux postures politiques qui résument à elles seules le drame que vit le pays ainsi que le fait accompli qui lui est imposé manu militari depuis des décennies. D’un côté, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, de passage à Beyrouth, qui tenait des propos reflétant une inconcevable propension à s’auto-instaurer «commandant en chef» des forces miliciennes transnationales, dont notamment le Hezbollah, appelées à s’engager dans une aventure guerrière contre Israël. Et d’un autre côté, un «Premier ministre» sortant qui paraît oublier qu’il est censé être, sur le plan du principe, à la tête de l’exécutif et qui s’emploie, tel un simple observateur étranger très serein, à faire la constatation de l’impuissance du gouvernement en place!
Le chef de la diplomatie iranienne nous a ainsi signifié, au terme de sa visite à Beyrouth, que dans le cas d’une extension de la guerre avec Israël, «il reviendra à la résistance de définir ses propres conditions» (au plan de l’engagement militaire), ajoutant que «l’action qu’entreprendra la résistance provoquera un grand séisme au niveau de l’entité sioniste». «Qui t’a fait roi ?», serait-on tenté de dire… Car dans la rhétorique du régime des mollahs, lorsque M. Abdollahian parle de «résistance», il fait allusion à n’en point douter, d’une manière à peine voilée, au véritable commandant, au réel chef d’orchestre, de cette «résistance», en l’occurrence le Guide suprême de la Révolution iranienne, qui détient, lui, exclusivement, la décision de guerre et de paix;  wilayat el-faqih oblige…
Il serait sans doute utile de rappeler à cet égard au ministre iranien que le peuple libanais ne se réduit pas au seul allié inconditionnel des pasdaran. Il existe encore au Liban une diversité de partis politiques, des pôles d’influence, une opinion publique, une presse et des médias libres, une société civile, et même des institutions constitutionnelles, telles que le Parlement et l’armée (en attendant un président de la République) à qui il revient de se prononcer, eux, sur l’opportunité ou non d’engager le Liban dans une nouvelle aventure guerrière dont le seul but, en définitive, serait de mener un combat jusqu’au dernier Libanais et jusqu’au dernier Palestinien, pour uniquement renforcer la position stratégique et le rôle de la République islamique dans le «jeu des nations» en cours.    
Force est de relever à nouveau, également, que les Libanais ont suffisamment enduré depuis la fin des années 1960, et jusqu’à nos jours, des affres de la «guerre des autres» et des conflits proche-orientaux provoqués par les ambitions hégémoniques démesurées de puissances régionales qui ne connaissent visiblement pas leurs limites. Dans un tel contexte, l’écrasante majorité de la population du pays du Cèdre refuse que le régime des mollahs à Téhéran s’octroie le droit de lui imposer une situation de conflit perpétuel, sans horizon et sans autre objectif que de servir la Raison d’État de la République des mollahs. 
Cette offensive géostratégique lancée par l’Iran est malencontreusement facilitée par la neutralisation, savamment orchestrée, du pouvoir central à Beyrouth. Dans un aveu d’impuissance totale et de soumission au bon vouloir du Hezbollah, le Premier ministre sortant a souligné noir sur blanc que la décision de guerre et de paix n’est pas entre les mains de son gouvernement. Une évidence, dira-t-on. Sauf que dans le même temps il réaffirme l’attachement à la résolution 1701 du Conseil de Sécurité, mais s’abstient de prendre les mesures qui s’imposent sur le terrain pour se conformer à cette même résolution.

Pire encore: le Premier ministre relève qu’il a «perçu» (!), en bon observateur, un certain «réalisme et pragmatisme» de la part du Hezbollah pour ce qui a trait à la nécessité d’éviter une conflagration généralisée au Liban-Sud, mais il s’empresse de souligner qu’il n’a reçu «aucune garantie» à cet égard ! On croirait entendre un diplomate étranger faisant état de ses impressions après s’être informé des intentions du parti pro-iranien concernant les perspectives de la prochaine étape. De mémoire, jamais un chef de gouvernement n’a reconnu publiquement et aussi explicitement son impuissance, en précisant que la décision de l’exécutif est exclusivement entre les mains d’une seule faction locale, de surcroît totalement inféodée à une puissance régionale.
Le pouvoir central a atteint, à n’en point douter, l’apogée de son aliénation. À l’ombre des bouleversements en cours, les partis et pôles souverainistes se doivent de ce fait, aujourd’hui plus que jamais, de monter au créneau politiquement, mais surtout au niveau de la gestion de la vie quotidienne dans les régions non soumises à l’emprise de Téhéran.         
 
 
 
 
Michel Touma
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