Il y a quarante ans, jour pour jour, deux attentats-suicide au camion piégé visaient à Beyrouth la Force multinationale de sécurité mise sur pied en septembre 1982 sur décision de l’ONU, à la suite de l’invasion israélienne de juin 1982. La double attaque meurtrière, la première du genre dans l’Histoire contemporaine du Liban et de la région, avait visé presque simultanément le quartier général du contingent américain de la Force multinationale (FM), faisant 220 tués dans les rangs des Marines, ainsi que l’immeuble du Drakkar où était posté un contingent français de la FM. Cinquante-huit parachutistes français avaient été tués dans l’explosion.
Il est généralement admis que cette opération avait été commanditée par le régime des mollahs iraniens et exécutée par ce qui était alors une organisation clandestine qui donnera naissance au Hezbollah deux ans plus tard. Avec le recul, il apparaît aujourd’hui que ce double attentat terroriste du 23 octobre 1983 – à l’instar de celui perpétré contre l’ambassade américaine en avril de la même année – était l’acte précurseur d’attaques semblables et de développements destructeurs ou déstabilisateurs futurs, fomentés essentiellement par l’Iran pour influer sur le cours des événements sur la double scène libanaise et régionale.
Un survol rapide de la conjoncture de l’époque permet de cerner certains facteurs qui auraient pu motiver un tel acte terroriste. Force est de relever d’abord, en première analyse, que la région du Moyen-Orient était alors plongée dans une féroce guerre entre l’Iran et l’Irak. Les États-Unis et la France soutenaient activement le régime de Saddam Hussein et lui fournissaient, plus particulièrement, une importante aide militaire. Il est, de ce fait, possible de supposer que l’attaque contre les unités françaises et américaines ait été en quelque sorte, entre autres, une riposte au positionnement de Paris et Washington dans le conflit irako-iranien.
Mais c’est la dimension géostratégique du double attentat qui en constitue, à n’en point douter, le facteur prédominant. La Force multinationale qui était déployée à Beyrouth avait été créée afin d’aider le régime, en place depuis septembre 1982, et avec lui l’armée libanaise, à rétablir l’autorité de l’État central, profondément ébranlée par huit années de guerres internes. La présence d’importantes forces militaires américaines, françaises, italiennes et britanniques devait permettre de consolider sur des bases solides un pouvoir allié à l’Occident.
Pour le camp des mollahs iraniens, tenants du projet d’exportation de la Révolution islamique, il était vital de stopper, d’abord, l’émergence d’un tel État pro-occidental… Il était également tout aussi crucial de provoquer le départ de cette Force multinationale qui ne pouvait qu’empêcher le futur Hezbollah, qui était alors en gestation, d’avoir une large marge de manœuvre au Liban. Les dirigeants de la République islamique sont sans doute à cet égard d’excellents joueurs d’échecs – réels ou potentiels – et savent pertinemment planifier et anticiper les coups dans le cadre d’une stratégie préconçue visant à paver la voie à l’expansion du projet khomeyniste.
Cette opération du 23 octobre 1983 présente, convient-il de le relever, une certaine similitude, quant à sa «logique» (excusez l’abus de langage…), avec l’attaque de Gaza du 7 octobre dernier. Dans l’un et l’autre cas, il s’agissait de porter un grand coup sécuritaire, par le biais d’une action terroriste spectaculaire, afin de stopper une dynamique politique en marche qui constituait un danger pour les ambitions hégémoniques du régime des mollahs. L’objectif recherché dans ce cadre était d’avancer des pièces maitresses sur l’échiquier afin de se réinsérer avec force dans le «jeu de nations». Que cette stratégie de repositionnement dans l’espace vital politique ambiant se fasse en faisant payer à autrui un très lourd tribut, cela ne constitue, à l’évidence, pour les maitres de Téhéran qu’un simple et léger dommage collatéral…
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