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- Israël-Hamas: l'information, l'autre face du conflit 1/2
Propagande, désinformation, radicalisation des opinions... Au-delà du champ de bataille, la guerre entre Israël et le Hamas fait aussi des ravages sur le terrain de l'information. Pour les deux camps, tous les coups sont permis dans le but de rallier l'opinion publique à leur cause... souvent au prix de la réalité et de la rationalité.
Le Hamas, un as de la communication? Lundi 23 octobre, le groupe islamiste libérait deux otages israéliennes. Au cours d'une interview donnée à la BBC, l'une d'entre elles, Yocheved Lifshitz, a tout d'abord expliqué avoir "traversé l'enfer" lors de son enlèvement.
Ces premiers mots furent toutefois rapidement éclipsés, l'intéressée insistant sur le traitement "courtois" reçu au cours de sa captivité. Elle affirme y avoir bénéficié d'un suivi médical et mangé à sa faim. Symbole fort: les premières images ayant filtré de la libération de l'otage montrent même cette dernière leur serrer la main.
Capture d'écran d'une vidéo montrant l'otage israélienne Yocheved Lifshitz lors de son transfert au personnel de la Croix-Rouge par des combattants du Hamas, le 23 octobre 2023. (Compte X, @MiddleEastMnt)
Si la plupart des médias occidentaux ont titré sur la première partie de cette interview, de nombreux soutiens de la cause palestinienne ont choisi de mettre en exergue la seconde. Car, en présentant ses ravisseurs sous un aspect humain, Mme Lifshitz a involontairement amélioré l'image du Hamas. Cela contredit le discours des officiels israéliens qui cherchent à placer le Hamas sur le même plan terroriste que Daech.
L'Israélienne de 85 ans a donc indirectement permis au groupe islamiste soutenu par l'Iran de remporter une victoire sur l'autre grand champ de bataille qui caractérise ce conflit: celui de l'information. Sans pour autant y être lié, le jour de sa libération coïncidait avec l'organisation d'une conférence de presse par l'armée israélienne. Avec un but précis: dévoiler davantage d'images des massacres perpétrés le 7 octobre par le Hamas.
Un membre des forces de sécurité israéliennes se tient près d'une voiture touchée par une roquette tirée depuis Gaza, dans la ville de Sderot, dans le sud d'Israël, le 9 octobre 2023. (JACK GUEZ, AFP)
Depuis le début du conflit, la guerre de l’information fait rage entre les deux camps. Les images du massacre initial avaient provoqué un élan de sympathie pour Israël dans les pays occidentaux. Elles ont toutefois été rapidement supplantées par celles des bombardements israéliens meurtriers, causant une hécatombe au sein de la population palestinienne de l'enclave.
Il faut pointer là l'effet pervers du contenu dévoilé par les caméras embarquées dont étaient munis les combattants du Hamas. Les responsables de l'opération ont sciemment choisi d'équiper ces derniers en nombre, sachant que ces caméras seraient récupérées par les autorités israéliennes au terme d'une offensive suicide. Leur contenu avait pour but d'horrifier la population israélienne et de l'inciter à soutenir une riposte aussi forte que possible.
Mais cela a aussi permis au groupe contrôlant l'enclave palestinienne de bénéficier d'une communication à moindre frais. Postées directement par les Gazaouis sur les réseaux sociaux et relayées par les sympathisants de la cause palestinienne, les images des bombardements et des milliers de tués – dont la moitié n'a pas 18 ans – suffisent à discréditer l'action de Tel Aviv dans de larges franges de l'opinion mondiale.
Des Palestiniens cherchent des survivants dans les décombres d'un bâtiment du camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, le 31 octobre 2023. (Mahmud HAMS, AFP)
Plus récemment, le Hamas a dévoilé un nouvel outil de propagande sous la forme des otages capturés au cours de l'offensive initiale. Dans une vidéo publiée lundi 30 octobre, trois femmes présentées comme captives israéliennes accusent le Premier ministre Benjamin Netanyahu de n'avoir aucune considération pour les otages, tout en lui imputant la responsabilité du 7 octobre.
S'il est fort probable que ces paroles soient dictées aux otages, elles contribuent à alimenter le récit considérant Netanyahu comme seul responsable de la situation. Indirectement, cela renforce aussi le discours du groupe islamiste se posant en victime face aux bombardements israéliens, aux dépens des civils gazaouis.
Enfin, au-delà des Israéliens et de l'opinion publique internationale, la communication du Hamas s'adresse aussi aux Palestiniens. En menant une action à grande échelle contre Israël, celui-ci tente de s'imposer davantage comme le seul acteur politique encore capable de mener la lutte. C'est notamment le cas face au Fateh de Mahmoud Abbas, au pouvoir en Cisjordanie et considéré comme étant particulièrement corrompu.
En face, le gouvernement Netanyahu bénéficie aussi des conséquences de la prolifération des images du 7 octobre. En effet, leur impact sur l'opinion publique israélienne rend cette dernière plus malléable à la vision du cabinet le plus extrémiste de l'histoire du pays.
Ainsi, certains responsables politiques n'ont pas hésité à recourir à des mots et des mesures encourageant fortement l'engrenage des violences. C'est notamment le cas du ministre de la Défense israélien Yoav Gallant. En utilisant des termes déshumanisants, celui-ci conditionne une partie des Israéliens à accepter les crimes de guerre commis par l'armée.
En outre, Tel Aviv déploie des moyens conséquents pour alimenter sa machine de guerre informationnelle. Dernier exemple en date: une campagne publicitaire de propagande anti-Hamas, diffusée par son ministère des Affaires étrangères, sur des réseaux sociaux et des jeux mobiles, en y mettant en avant les massacres commis par le groupe islamiste palestinien. Dans certaines vidéos, celui-ci est même assimilé à l'organisation État Islamique (Daech).
Capture d'écran d'une publicité financée par le ministère des Affaires étrangères israélien. (Compte YouTube @IsraelMFA)
Ayant coûté plusieurs millions de dollars selon le quotidien français Libération, la campagne publicitaire anti-Hamas a notamment visé Twitter ou YouTube, ainsi que le jeu Candy Crush. Avec un but précis: susciter l'émotion et le soutien de la jeunesse des pays concernés vis-à-vis de la politique israélienne.
En ce sens, la communication de Tel Aviv diffère de celle de son adversaire. Une stratégie qui porte un nom précis: la "Hasbara". Ce terme, qui signifie "explication" en hébreu, désigne la stratégie de communication promue par les ministères de La Défense et des Affaires étrangères israéliens. Elle peut prendre plusieurs formes: campagnes de communication via des influences, diffusion de vidéos de propagande militaire par l'armée israélienne, experts justifiant le bien-fondé de son action et, bien sûr, les clips publicitaires présentés en amont.
Ainsi, là où le Hamas cherche à se poser en victime de la réaction du gouvernement Netanyahu, ce dernier cherche davantage à légitimer sa réponse militaire via une communication institutionnalisée.
Dans une seconde partie, nous approfondirons les questions liées à la désinformation, la liberté de la presse et la place des réseaux sociaux dans ce contexte.
Le Hamas, un as de la communication? Lundi 23 octobre, le groupe islamiste libérait deux otages israéliennes. Au cours d'une interview donnée à la BBC, l'une d'entre elles, Yocheved Lifshitz, a tout d'abord expliqué avoir "traversé l'enfer" lors de son enlèvement.
Ces premiers mots furent toutefois rapidement éclipsés, l'intéressée insistant sur le traitement "courtois" reçu au cours de sa captivité. Elle affirme y avoir bénéficié d'un suivi médical et mangé à sa faim. Symbole fort: les premières images ayant filtré de la libération de l'otage montrent même cette dernière leur serrer la main.
Capture d'écran d'une vidéo montrant l'otage israélienne Yocheved Lifshitz lors de son transfert au personnel de la Croix-Rouge par des combattants du Hamas, le 23 octobre 2023. (Compte X, @MiddleEastMnt)
Guerre des images
Si la plupart des médias occidentaux ont titré sur la première partie de cette interview, de nombreux soutiens de la cause palestinienne ont choisi de mettre en exergue la seconde. Car, en présentant ses ravisseurs sous un aspect humain, Mme Lifshitz a involontairement amélioré l'image du Hamas. Cela contredit le discours des officiels israéliens qui cherchent à placer le Hamas sur le même plan terroriste que Daech.
L'Israélienne de 85 ans a donc indirectement permis au groupe islamiste soutenu par l'Iran de remporter une victoire sur l'autre grand champ de bataille qui caractérise ce conflit: celui de l'information. Sans pour autant y être lié, le jour de sa libération coïncidait avec l'organisation d'une conférence de presse par l'armée israélienne. Avec un but précis: dévoiler davantage d'images des massacres perpétrés le 7 octobre par le Hamas.
Un membre des forces de sécurité israéliennes se tient près d'une voiture touchée par une roquette tirée depuis Gaza, dans la ville de Sderot, dans le sud d'Israël, le 9 octobre 2023. (JACK GUEZ, AFP)
Depuis le début du conflit, la guerre de l’information fait rage entre les deux camps. Les images du massacre initial avaient provoqué un élan de sympathie pour Israël dans les pays occidentaux. Elles ont toutefois été rapidement supplantées par celles des bombardements israéliens meurtriers, causant une hécatombe au sein de la population palestinienne de l'enclave.
Stratégie du Hamas
Il faut pointer là l'effet pervers du contenu dévoilé par les caméras embarquées dont étaient munis les combattants du Hamas. Les responsables de l'opération ont sciemment choisi d'équiper ces derniers en nombre, sachant que ces caméras seraient récupérées par les autorités israéliennes au terme d'une offensive suicide. Leur contenu avait pour but d'horrifier la population israélienne et de l'inciter à soutenir une riposte aussi forte que possible.
Mais cela a aussi permis au groupe contrôlant l'enclave palestinienne de bénéficier d'une communication à moindre frais. Postées directement par les Gazaouis sur les réseaux sociaux et relayées par les sympathisants de la cause palestinienne, les images des bombardements et des milliers de tués – dont la moitié n'a pas 18 ans – suffisent à discréditer l'action de Tel Aviv dans de larges franges de l'opinion mondiale.
Des Palestiniens cherchent des survivants dans les décombres d'un bâtiment du camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, le 31 octobre 2023. (Mahmud HAMS, AFP)
Plus récemment, le Hamas a dévoilé un nouvel outil de propagande sous la forme des otages capturés au cours de l'offensive initiale. Dans une vidéo publiée lundi 30 octobre, trois femmes présentées comme captives israéliennes accusent le Premier ministre Benjamin Netanyahu de n'avoir aucune considération pour les otages, tout en lui imputant la responsabilité du 7 octobre.
S'il est fort probable que ces paroles soient dictées aux otages, elles contribuent à alimenter le récit considérant Netanyahu comme seul responsable de la situation. Indirectement, cela renforce aussi le discours du groupe islamiste se posant en victime face aux bombardements israéliens, aux dépens des civils gazaouis.
Enfin, au-delà des Israéliens et de l'opinion publique internationale, la communication du Hamas s'adresse aussi aux Palestiniens. En menant une action à grande échelle contre Israël, celui-ci tente de s'imposer davantage comme le seul acteur politique encore capable de mener la lutte. C'est notamment le cas face au Fateh de Mahmoud Abbas, au pouvoir en Cisjordanie et considéré comme étant particulièrement corrompu.
Stratégie du gouvernement Netanyahu: le concept de la Hasbara
En face, le gouvernement Netanyahu bénéficie aussi des conséquences de la prolifération des images du 7 octobre. En effet, leur impact sur l'opinion publique israélienne rend cette dernière plus malléable à la vision du cabinet le plus extrémiste de l'histoire du pays.
Ainsi, certains responsables politiques n'ont pas hésité à recourir à des mots et des mesures encourageant fortement l'engrenage des violences. C'est notamment le cas du ministre de la Défense israélien Yoav Gallant. En utilisant des termes déshumanisants, celui-ci conditionne une partie des Israéliens à accepter les crimes de guerre commis par l'armée.
En outre, Tel Aviv déploie des moyens conséquents pour alimenter sa machine de guerre informationnelle. Dernier exemple en date: une campagne publicitaire de propagande anti-Hamas, diffusée par son ministère des Affaires étrangères, sur des réseaux sociaux et des jeux mobiles, en y mettant en avant les massacres commis par le groupe islamiste palestinien. Dans certaines vidéos, celui-ci est même assimilé à l'organisation État Islamique (Daech).
Capture d'écran d'une publicité financée par le ministère des Affaires étrangères israélien. (Compte YouTube @IsraelMFA)
Ayant coûté plusieurs millions de dollars selon le quotidien français Libération, la campagne publicitaire anti-Hamas a notamment visé Twitter ou YouTube, ainsi que le jeu Candy Crush. Avec un but précis: susciter l'émotion et le soutien de la jeunesse des pays concernés vis-à-vis de la politique israélienne.
En ce sens, la communication de Tel Aviv diffère de celle de son adversaire. Une stratégie qui porte un nom précis: la "Hasbara". Ce terme, qui signifie "explication" en hébreu, désigne la stratégie de communication promue par les ministères de La Défense et des Affaires étrangères israéliens. Elle peut prendre plusieurs formes: campagnes de communication via des influences, diffusion de vidéos de propagande militaire par l'armée israélienne, experts justifiant le bien-fondé de son action et, bien sûr, les clips publicitaires présentés en amont.
Ainsi, là où le Hamas cherche à se poser en victime de la réaction du gouvernement Netanyahu, ce dernier cherche davantage à légitimer sa réponse militaire via une communication institutionnalisée.
Dans une seconde partie, nous approfondirons les questions liées à la désinformation, la liberté de la presse et la place des réseaux sociaux dans ce contexte.
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