L'offensive terrestre israélienne sur Gaza: à quoi s'attendre?

Aux premières heures du jeudi, Israël a mené une incursion, la première de cette envergure depuis le 7 octobre, au nord de Gaza. Cela ne «rassure» toutefois pas ceux dont le questionnement principal gravite autour de l’opération terrestre de l’armée israélienne, qui n’a toujours pas démarré, ayant été reportée à plusieurs reprises. Le quasi-immobilisme israélien constituerait-il un aveu de faiblesse? Comment peut-on comprendre la nature et les modalités de l’offensive prévue par Tsahal?
«Les différents paramètres desquels dépend l’initiation de cette offensive sont révélateurs de la stratégie militaire de l’État hébreu, qui jouerait avec le temps en sa faveur et ne devrait pas être perçu comme une faiblesse de Tsahal», explique Didier Leroy, interrogé par Ici Beyrouth. Selon le chercheur à l’École royale militaire de Belgique, l’armée israélienne a dû tenir compte de plusieurs considérations logistiques. «Elle doit recruter, équiper, nourrir et loger le plus grand nombre de réservistes, de profils différents, et dont certains éprouvent la nécessité de reprendre une partie de leur formation militaire de base. L’armée doit aussi faire acquisition de tout le matériel et des véhicules nécessaires pour mener à bien l’offensive», explique M. Leroy.
Un deuxième élément qui retarde le lancement de l’opération est la collecte de renseignements humains. «Les Israéliens ont, entre leurs mains, des prisonniers parmi les assaillants du Hamas, qu’ils sont en train d’interroger de manière à en extraire un maximum d’informations», signale l’expert.
Sur le plan stratégique, ils usent de ce temps pour: primo, détruire le plus grand nombre de bâtiments élevés pouvant servir de postes d’observation, de centres de contrôle et de commandement mais aussi de positions pour les snipers du Hamas, secundo, établir un plan de coordination entre les différentes forces, surtout que l’on s’attend à ce qu’ils entrent dans Gaza par voies terrestre, aérienne et maritime, et tertio, faire baisser le niveau d’éveil des sentinelles du Hamas qui se trouvent dans les tunnels de Gaza. «Alors qu’une partie des assaillants du Hamas est interrogée par les services israéliens, une autre partie, cachée dans le fameux métro de Gaza (ce labyrinthe souterrain construit par le groupe palestinien) est dans l’attente», indique M. Leroy. «Un combattant du Hamas qui a pour mission de faire détoner une charge explosive à l’approche de soldats israéliens du tunnel était beaucoup plus alerte il y a trois jours qu’il ne l’est aujourd’hui. C’est une manière d’éroder l’opposant en le faisant attendre de la sorte», poursuit-il.

Légitimer cette opération n’est toutefois pas chose acquise. Même si une grande partie de la population mondiale, toujours sous le choc de l’attaque du Hamas, qui a remis en question, le 7 octobre dernier, la force des services de renseignement israéliens, appuie la volonté israélienne d’entrer à Gaza, l’on constate que plus le temps s’écoule, plus le curseur se déplace vers l’aspect humanitaire de la crise, dans l’enclave de Gaza.
Les États-Unis ont, certes, fait preuve d’un grand soutien politique et militaire à l’égard de l’État hébreu. Il n’en demeure pas moins que, selon M. Leroy, ils seraient en train d’essayer de « tempérer la rage israélienne et de mener des négociations, évitant d’être entraînés dans une guerre régionale à cause d’un tempérament revancheur».
Éradiquer le Hamas?
À plusieurs reprises depuis l’offensive du 7 octobre, Israël a fait part de sa volonté d’éradiquer le Hamas. «Tout le monde le sait: il s’agit d’un objectif inatteignable», souligne M. Leroy. Ce que l'armée israélienne tendrait à faire, c’est d’essayer de «décapiter le leadership de la branche armée du Hamas», affirme-t-il. Et de poursuivre: «Ils vont certainement vouloir neutraliser la ville souterraine, l’explorer et tenter de libérer une partie de leurs otages – l’affaire des otages étant reléguée au second plan.» Comment?

Si l’on se fonde sur les précédents égyptiens, l’armée israélienne pourrait inonder ces souterrains avec de l’eau des égouts. En 2013, le Caire avait commencé à noyer les tunnels de contrebande gazaouis avec des eaux d’égout. Or, «cette technique n’est efficace que temporairement, puisqu’il y a toujours moyen de pomper l’eau». D’après M. Leroy, les deux autres moyens auxquels pourrait recourir l’armée israélienne seraient les suivants: détoner des explosifs pour que les tunnels s’effondrent sur eux-mêmes, ce qui pourrait engendrer des dégâts à la surface, nuisibles aux troupes sur le sol ou faire couler du béton. Cela s’était produit en 2009 notamment, dans le désert du Sinaï, lorsque l’Égypte avait réussi à neutraliser plusieurs tunnels du Hamas.
L’objectif final?
Par simple observation de la nature des cibles des bombardements israéliens à Gaza, on constate que ce sont non seulement les positions du Hamas qui font l’objet d’attaques mais aussi des quartiers fréquentés par la classe moyenne gazaouie, prise entre les deux extrêmes. Cette partie de la population n’est pas une fervente défenderesse du groupe palestinien. Elle ne penche évidemment pas non plus du côté israélien. En ciblant ainsi ces quartiers, l’armée israélienne manifesterait «une volonté de jeter une malédiction sur l’avenir des familles de la classe moyenne et d’amplifier la grogne contre le Hamas», comme le signale l’expert. Une technique que l'État hébreu utilisait déjà au Liban dans les années 1970, lorsqu'il bombardait des villages libanais en représailles aux opérations de l’OLP.
L’opération à Gaza, qui pourrait durer des semaines, voire des mois, se ferait, côté israélien, avec l’objectif ultime de se replier, après avoir rogné davantage de territoires dans le nord et à l’est de Gaza. «N’ayant pas l’intention d’occuper de nouveau la bande, Israël chercherait à détruire, du fait de l’offensive terrestre, des quartiers résidentiels, d’avancer sur les zones agricoles du nord de Gaza et d’ériger un mur en béton sur plusieurs mètres de profondeur, sur le flanc est de la bande, pour emmurer davantage le territoire palestinien et le rétrécir», estime M. Leroy. Avec une superficie réduite et une population davantage sous le joug israélien, l’on peut imaginer le come-back du Hamas, d’ici à quelques années.
Et le Hezbollah?
Le front nord d’Israël avec le Liban est celui qu’on redoute le plus, en termes d’élargissement régional. D’après M. Leroy, le Hezbollah tente aujourd’hui «d’étudier la situation, notamment en Cisjordanie, pour savoir dans quel sens l’opinion publique, avant tout palestinienne, se dirige pour savoir dans quelle mesure il a intérêt à accélérer ou ralentir sa lente mais manifeste escalade dans le conflit». À ce stade, le parti pro-iranien n’a toujours pas initié de vastes campagnes offensives, bien que l’on soit conscient de son arsenal. Les affrontements qui ont lieu au Liban-Sud ne sont pas provocateurs, dans la mesure où ils se tiennent dans des régions non susceptibles de changer les règles du conflit tacites entre le Hezbollah et Israël.
Néanmoins, les tirs du Hezbollah ces derniers jours ont «dévoilé l’usage de missiles et de roquettes munies de système de guidage relativement sophistiqué, qui se démarqueraient de ceux desquels a fait usage le parti pro-iranien au cours des dernières années », indique M. Leroy.
Même si l’on témoigne d’une escalade lente, mais manifeste et constante, le Hezbollah se fait prudent du fait de la situation économique déplorable au Liban. «L’économie constitue un garde-fou pour le parti, dans la mesure où, depuis la détente irano-saoudienne, le pays pouvait enfin envisager de voir le retour des investissements de certains acteurs du Golfe. Ce serait paralyser cet espoir en provoquant une guerre de haute intensité», signale M. Leroy.
De son côté, Téhéran, qui a donné un feu vert de principe pour se lancer dans la bataille, se montre également réticent à l’égard d’une participation au conflit. «Cela initierait une contre-offensive de l’armée israélienne qui risquerait d’affaiblir considérablement l’atout majeur de l’Iran au Moyen-Orient et de remettre en question la survie du Hezbollah sur le plan interne, surtout qu’une question majeure polarise une partie des factions politiques libanaises mais aussi de la population: celle de l’arsenal du Hezbollah», déclare l’expert interrogé.
Jusqu’où iraient les protagonistes de ce conflit, eux qui cherchent à préserver leur égo et à montrer une posture de défiance l’un vis-à-vis de l’autre? Où se situe la ligne rouge à ne pas dépasser? Quel niveau atteindront les négociations sur le plan régional et international?
 
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