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- Du siège de Jérusalem au blocus de Gaza
Les leaders du Hamas ne pouvaient ignorer l’ampleur de la réaction israélienne et ce à quoi allait être exposée la population exsangue des Gazaouis.
«Coupés ainsi du dehors, les Juifs perdaient en même temps toute espérance de salut, tandis que la famine, étendant ses ravages, dévorait dans la population par maisons et familles. Les terrasses étaient encombrées de femmes et de petits enfants exténués, les ruelles de vieillards morts; des garçons et des jeunes gens erraient comme des fantômes, le corps gonflé. Sur les places, ils tombaient là où le fléau les accablait. Les malades n’avaient pas la force d’ensevelir les cadavres de leurs proches; ceux qui étaient encore vigoureux différaient ce soin, effrayés par la multitude des cadavres et l’incertitude de leur propre sort; beaucoup tombaient morts sur ceux qu’ils ensevelissaient; beaucoup allaient à leur tombe avant que fût venu pour eux le moment fatal.» (1) Ce texte du Ier siècle AD est de Flavius Josèphe. Il relate le siège de Jérusalem en 70 par le futur empereur romain Titus. La ville était tenue par ses défenseurs juifs depuis 66; elle est mise à sac et le second Temple est détruit.
En rappelant ce passage enfoui dans les mémoires, l’idée n’était pas de faire un exposé historique sur un épisode vieux de deux mille ans, mais plutôt de remplacer «Juifs» par «Gazaouis» pour se faire une idée de la catastrophe humanitaire qu’on peut suivre à tout moment sur nos écrans.
Dans la véhémence et l’horreur, peut-on encore prendre parti? Sur le terrain, on compte les victimes innocentes des hauts exploits des professionnels du massacre. Je choisis d’être à l’écoute d’Amnesty International et de Human Rights Watch, alors que l’Assemblée générale des Nations Unies, dans son impuissance, vient d’adopter une résolution (non contraignante) appelant à une trêve humanitaire immédiate.
Israël, adepte des ripostes disproportionnées
Le 7 octobre dernier, plus de deux mille combattants palestiniens ont pénétré dans le territoire sanctuarisé d’Israël à travers vingt-cinq brèches pratiquées dans la barrière qui clôturait la bande de Gaza. Ils ont laissé derrière eux mille quatre cents victimes et ils ont capturé environ deux cent vingt otages. Ce raid, qui s’en est pris indistinctement aux civils et aux militaires, aux femmes, aux vieillards et aux enfants, peut être considéré comme un succès militaire par ceux du Hamas qui l’avaient commandité. Mais ces mêmes leaders savaient très bien que l’État sioniste se devait de rendre les coups et qu’il n’allait pas faire dans la dentelle. Il est acquis que les représailles qu’il exerce généralement contre ceux qui portent atteinte à sa sécurité sont si disproportionnées qu’elles piétinent le droit international sans souci aucun de l’opinion publique. Pour preuve, rappelons les propos tenus par Mme Navi Pillay, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, qui accusa Israël en juillet 2014 de défier les instances internationales dans sa guerre contre le Hamas. Lors de sa conférence de presse, elle condamna les attaques menées contre maisons, écoles, hôpitaux et centres de l’ONU et ajouta: «Aucune d’entre elles (de ces attaques) ne semble être accidentelle. Elles semblent être un acte de défi délibéré vis-à-vis des obligations résultant du droit international» (2).
Les leaders du Hamas ne pouvaient ignorer l’ampleur de la réaction israélienne et ce à quoi allait être exposée la population exsangue des Gazaouis. Néanmoins, ils ont laissé leurs militants retrouver leurs bases arrière et se disséminer en zones urbaines. Les guerres se suivent et se ressemblent et ce sont les civils qui «trinquent». Alors la question se pose de savoir si des belligérants ont le droit d’exposer les non-combattants aux représailles en se «faufilant» parmi eux, en prenant le maquis en zones densément peuplées, quitte à s’en servir, dans certains cas extrêmes, comme de boucliers humains?
Le syndrome de Stalingrad
En 1982, Ariel Sharon et Tsahal étaient aux portes de la capitale libanaise. L’OLP était prise comme dans une souricière dans les quartiers Ouest qui étaient bombardés sans pitié. Le commandement israélien s’était promis de liquider la Résistance palestinienne. Cette dernière, retranchée avec ses alliés en zone urbaine, c’est-à-dire au milieu de la population civile, s’était promis de poursuivre des combats de rue jusqu’à faire de Beyrouth un autre Stalingrad (3). Les notables de la ville, et à leur tête Saëb Salam, s’étaient élevés contre cette résolution suicidaire. Ils firent comprendre à Arafat que la ville qui lui avait ouvert les bras et l’avait soutenu ne pouvait être traitée de la sorte. Sous la pression générale, Abou Ammar avait fini par admettre qu’il ne pouvait sacrifier la capitale libanaise pour sauver l’honneur des fédayins et préserver leur cause sacrée.
Quarante ans après, nous sommes une fois de plus dans le même cas de figure. Les Palestiniens vont finalement avoir droit à un Stalingrad où ils pourront se mesurer à Tsahal sur le terrain de lutte qu’ils auront choisi. Et le Hamas va enfin pouvoir livrer sa bataille décisive dans les dédales, les tunnels et les «catacombes» de Gaza-City contre ceux qui ont juré son éradication de la surface de la terre.
Ou alors, contre toute attente, faut-il s’attendre à voir les responsables palestiniens exfiltrés vers une destination à déterminer par les parties prenantes au conflit? Abou Ammar avait bien pris la poudre d’escampette en août 1982 sur un navire français!
Youssef Mouawad
[email protected]
1- Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, Edition Olivier Munnich, Livre V, paragraphes 512-514.
2- Youssef Mouawad, Israël, La disproportion, in Sextant Égaré, L’Orient des Livres, 2016, pp. 163-165.
3- Une autre version nous est rapportée. Arafat aurait dit: «Si Beyrouth avait été une ville palestinienne, j’en aurais fait un Stalingrad.» C’était comme pour se justifier d’interrompre les combats et de s’embarquer sur les bâtiments de la flotte française à destination de la Tunisie. Mais Abou Ammar n’était pas à une feinte près, il pouvait dire une chose et aussitôt (ou simultanément) son contraire!
«Coupés ainsi du dehors, les Juifs perdaient en même temps toute espérance de salut, tandis que la famine, étendant ses ravages, dévorait dans la population par maisons et familles. Les terrasses étaient encombrées de femmes et de petits enfants exténués, les ruelles de vieillards morts; des garçons et des jeunes gens erraient comme des fantômes, le corps gonflé. Sur les places, ils tombaient là où le fléau les accablait. Les malades n’avaient pas la force d’ensevelir les cadavres de leurs proches; ceux qui étaient encore vigoureux différaient ce soin, effrayés par la multitude des cadavres et l’incertitude de leur propre sort; beaucoup tombaient morts sur ceux qu’ils ensevelissaient; beaucoup allaient à leur tombe avant que fût venu pour eux le moment fatal.» (1) Ce texte du Ier siècle AD est de Flavius Josèphe. Il relate le siège de Jérusalem en 70 par le futur empereur romain Titus. La ville était tenue par ses défenseurs juifs depuis 66; elle est mise à sac et le second Temple est détruit.
En rappelant ce passage enfoui dans les mémoires, l’idée n’était pas de faire un exposé historique sur un épisode vieux de deux mille ans, mais plutôt de remplacer «Juifs» par «Gazaouis» pour se faire une idée de la catastrophe humanitaire qu’on peut suivre à tout moment sur nos écrans.
Dans la véhémence et l’horreur, peut-on encore prendre parti? Sur le terrain, on compte les victimes innocentes des hauts exploits des professionnels du massacre. Je choisis d’être à l’écoute d’Amnesty International et de Human Rights Watch, alors que l’Assemblée générale des Nations Unies, dans son impuissance, vient d’adopter une résolution (non contraignante) appelant à une trêve humanitaire immédiate.
Israël, adepte des ripostes disproportionnées
Le 7 octobre dernier, plus de deux mille combattants palestiniens ont pénétré dans le territoire sanctuarisé d’Israël à travers vingt-cinq brèches pratiquées dans la barrière qui clôturait la bande de Gaza. Ils ont laissé derrière eux mille quatre cents victimes et ils ont capturé environ deux cent vingt otages. Ce raid, qui s’en est pris indistinctement aux civils et aux militaires, aux femmes, aux vieillards et aux enfants, peut être considéré comme un succès militaire par ceux du Hamas qui l’avaient commandité. Mais ces mêmes leaders savaient très bien que l’État sioniste se devait de rendre les coups et qu’il n’allait pas faire dans la dentelle. Il est acquis que les représailles qu’il exerce généralement contre ceux qui portent atteinte à sa sécurité sont si disproportionnées qu’elles piétinent le droit international sans souci aucun de l’opinion publique. Pour preuve, rappelons les propos tenus par Mme Navi Pillay, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, qui accusa Israël en juillet 2014 de défier les instances internationales dans sa guerre contre le Hamas. Lors de sa conférence de presse, elle condamna les attaques menées contre maisons, écoles, hôpitaux et centres de l’ONU et ajouta: «Aucune d’entre elles (de ces attaques) ne semble être accidentelle. Elles semblent être un acte de défi délibéré vis-à-vis des obligations résultant du droit international» (2).
Les leaders du Hamas ne pouvaient ignorer l’ampleur de la réaction israélienne et ce à quoi allait être exposée la population exsangue des Gazaouis. Néanmoins, ils ont laissé leurs militants retrouver leurs bases arrière et se disséminer en zones urbaines. Les guerres se suivent et se ressemblent et ce sont les civils qui «trinquent». Alors la question se pose de savoir si des belligérants ont le droit d’exposer les non-combattants aux représailles en se «faufilant» parmi eux, en prenant le maquis en zones densément peuplées, quitte à s’en servir, dans certains cas extrêmes, comme de boucliers humains?
Le syndrome de Stalingrad
En 1982, Ariel Sharon et Tsahal étaient aux portes de la capitale libanaise. L’OLP était prise comme dans une souricière dans les quartiers Ouest qui étaient bombardés sans pitié. Le commandement israélien s’était promis de liquider la Résistance palestinienne. Cette dernière, retranchée avec ses alliés en zone urbaine, c’est-à-dire au milieu de la population civile, s’était promis de poursuivre des combats de rue jusqu’à faire de Beyrouth un autre Stalingrad (3). Les notables de la ville, et à leur tête Saëb Salam, s’étaient élevés contre cette résolution suicidaire. Ils firent comprendre à Arafat que la ville qui lui avait ouvert les bras et l’avait soutenu ne pouvait être traitée de la sorte. Sous la pression générale, Abou Ammar avait fini par admettre qu’il ne pouvait sacrifier la capitale libanaise pour sauver l’honneur des fédayins et préserver leur cause sacrée.
Quarante ans après, nous sommes une fois de plus dans le même cas de figure. Les Palestiniens vont finalement avoir droit à un Stalingrad où ils pourront se mesurer à Tsahal sur le terrain de lutte qu’ils auront choisi. Et le Hamas va enfin pouvoir livrer sa bataille décisive dans les dédales, les tunnels et les «catacombes» de Gaza-City contre ceux qui ont juré son éradication de la surface de la terre.
Ou alors, contre toute attente, faut-il s’attendre à voir les responsables palestiniens exfiltrés vers une destination à déterminer par les parties prenantes au conflit? Abou Ammar avait bien pris la poudre d’escampette en août 1982 sur un navire français!
Youssef Mouawad
[email protected]
1- Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, Edition Olivier Munnich, Livre V, paragraphes 512-514.
2- Youssef Mouawad, Israël, La disproportion, in Sextant Égaré, L’Orient des Livres, 2016, pp. 163-165.
3- Une autre version nous est rapportée. Arafat aurait dit: «Si Beyrouth avait été une ville palestinienne, j’en aurais fait un Stalingrad.» C’était comme pour se justifier d’interrompre les combats et de s’embarquer sur les bâtiments de la flotte française à destination de la Tunisie. Mais Abou Ammar n’était pas à une feinte près, il pouvait dire une chose et aussitôt (ou simultanément) son contraire!
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