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- Et si le Hezbollah finissait par l’emporter?
Pour ceux qui font mine de l’ignorer, il n’est pas vain de faire la part des choses entre notre République libanaise libérale et la République islamique d’Iran. Comme il n’est pas vain de rappeler ce qu’il faut comme flatteries serviles pour se hisser au premier plan.
Imaginons que l’axe de la récalcitrance (al-Moumana’a) sorte victorieux de la partie de bras de fer qui se joue sur la scène du Moyen-Orient. Imaginons que le Hezbollah ait tiré ses marrons du feu et, sans s’être impliqué pleinement dans les combats, ait poursuivi le grignotage de l’État libanais. Le parti des ayatollahs est à l’évidence assez roué pour «tourner à son avantage, et aux dépens d’autrui, une situation fort hasardeuse où il y avait de gros risques à courir et beaucoup à perdre».
«What if?», s’interrogeraient certains. Oui, alors où en serions-nous et qu’adviendrait-il de notre cadre de vie familier? Avec un peu d’inspiration et de créativité, nous pouvons aisément nous représenter le régime politique et surtout mental qui nous serait réservé par un parti affilié à l’Iran, ivre des victoires divines qu’il aurait remportées en versant le sang des Gazaouis.
Ce qui nous attend
Pour nous livrer à cet exercice, revenons quelque peu en arrière et extrapolons!
Dans la foulée de l’octroi du prix Nobel 2023 de la paix à la militante iranienne Narges Mohammadi, actuellement en prison pour son combat contre l’oppression des femmes, il aurait été instructif de souligner ce qui sépare notre culture politique libanaise de la culture prônée par les mollahs iraniens et leurs sbires libanais. De même, il n’aurait pas été inutile de relever ce qui distingue notre République, si décadente en ce moment, de la République islamique d’Iran, paradis d’hommes épanouis et de femmes libres.
Mais alors, à quoi s’attendre, si le Hezbollah se saisissait formellement du pouvoir? Quelles réformes profondes engagerait-il pour mettre un point final à notre système politique déficient et corrompu, ce système concocté à l’usage des mécréants que nous sommes? Car, selon l’idéologie du parti des mollahs, nous vivons la jahiliya, un état de chaos social et d’impureté morale.
Au Liban, on sait à peu près comment le pouvoir a été exercé jusqu’à ces jours-ci. Et dans la pratique, ce n’est pas brillant, même si les textes constitutionnels qui soi-disant nous régissent peuvent, ne serait-ce qu’en théorie, prétendre à un statut honorable. Une charte suprême ne vaut que par sa mise en application pratique. Et ne pouvant nier l’évidence, nous admettrons aisément que les garants de la Constitution réformée de Taëf avaient été les premiers à en dévoyer aussi bien l’esprit que la lettre.
République libérale et République islamique
Certes, comparaison n’est pas raison. Examinons cependant le modèle étatique que le parti armé jusqu’aux dents prend pour exemple.
Une question de prime abord: «Qui exerce le pouvoir en République islamique? Réponse: Depuis la prise du pouvoir par l’ayatollah Khomeini en 1979, les Iraniens sont régis par un modèle de gouvernement hybride qui se targue d’une double légitimité, religieuse et populaire. Et, qui plus est, la Constitution iranienne accorde au Guide suprême de la Révolution, en l’espèce l’ayatollah Ali Khamenei, le pouvoir de fixer les grandes orientations de la politique générale et de superviser l’ensemble des institutions étatiques telles que les Affaires étrangères, la Défense, la Justice, la moralité publique, etc. L’armée, les forces de sécurité intérieure et le corps des Gardiens de la Révolution islamique, milice idéologique du régime qui compte 150.000 membres, sont à ses ordres. Le président de la République, Ebrahim Raïssi, élu au suffrage universel direct pour un mandat de quatre ans renouvelable une seule fois, n’est au fait qu’un grand commis de l’État qui gère les affaires courantes et qui est «responsable devant le Parlement et le Guide», comme n’a pas manqué de le signaler Le Monde diplomatique.
Ainsi, au cas où on viendrait à mater des manifestations dans ce monde orwellien qu’on nous propose, ce serait les bassidjis, les paramilitaires du régime, qui se chargeraient du beau rôle. Avis aux amateurs de sensations fortes et d’exotisme, avis à ceux de la thaoura qui avaient oublié que le mot de Résistance n’était que l’alibi de l’occupation iranienne!
Mais est-ce donc là une République démocratique où la volonté populaire a toute latitude pour s’exprimer? Je vous laisse deviner.
Dès lors pourquoi s’étonner?
Au Liban, la moumana'a s’est engagée dans un processus de blocage des institutions pour empêcher l’arrivée à Baabda de tout candidat qui ne lui serait pas acquis, ou qui ne serait pas à sa dévotion, comme n’a pas manqué de l’être le général Michel Aoun. Et pourquoi ne le ferait-elle pas, quand ses maîtres de Téhéran lui ont donné l’exemple à suivre?
Ainsi en 2005, c’est d’autorité que les conservateurs iraniens ont limité le nombre des candidats à la présidentielle, ce qui eut pour effet une forte abstention dans les rangs de la société civile, laquelle abstention favorisa l’élection du candidat Mahmoud Ahmadinejad. Ce maire de Téhéran avait la réputation de réactionnaire et ne cachait pas son intention d’éradiquer les influences occidentales qui infectaient son pays. Écoutons ce que nous rapporte Paul Balta: «Par trois fois, lors des élections en 1997, en 2001 et en 2005 ce dernier (le peuple) a manifesté sa maturité politique, récusé l’islam politique et confirmé son option démocratique, mais les mollahs conservateurs ont recouru aux ‘ruses juridico-religieuses’ pour accroître leur pouvoir et renforcer la théocratie au détriment de la démocratie.» (1)
Les «ruses juridico-religieuses» nous rappellent bien entendu les artifices juridico-confessionnels du président de la Chambre, Nabih Berry, pour justifier en 2007 le lock-out de l’Assemblée nationale (2). Dès lors, pourquoi s’étonner des tours de passe-passe auxquels se livre le duo chiite pour avoir le dernier mot dans cette épreuve de la présidentielle?
Post-scriptum
Un an déjà que le siège de Baabda est vacant, mais pas faute de postulants. Et puis soudain, l’imprévu de Gaza a mis le feu aux poudres et bouleversé toutes les données sur la scène régionale. Il n’en reste pas moins que dans la course à l’échalote, le candidat Gebran Bassil n’allait pas perdre de vue ses intérêts. Alors au moment précis où le Liban devrait faire preuve d’extrême prudence donc prendre la tangente, le leader du Courant patriotique libre allait nous offrir en pâture à la ‘Résistance’; «sans elle, proclama-t-il, Dieu seul sait ce qu’Israël aurait fait de nous» (3). Voilà ce qu’il faut dire pour être bien en cour, la flagornerie d’après le Larousse se définissant comme une flatterie basse et intéressée.
Et comprenne qui voudra: c’est là toute la différence entre la dignité dont fait preuve Narges Mohammadi dans les geôles des tyrans et la servilité qui caractérise le quémandeur et l’intrigant!
Youssef Mouawad
[email protected]
1- Paul Balta, L’Islam, Le Cavalier Bleu, 3e édition, pp. 107-108.
2- En 2007, pour éviter d’aborder la question du Tribunal spécial pour le Liban, le président de la chambre, Nabih Berry, avait maintenu le Parlement clos, au prétexte que le Pacte national était violé.
3- Michel Touma, «Entre souverainisme et société guerrière», Ici Beyrouth, 31 octobre 2023.
Imaginons que l’axe de la récalcitrance (al-Moumana’a) sorte victorieux de la partie de bras de fer qui se joue sur la scène du Moyen-Orient. Imaginons que le Hezbollah ait tiré ses marrons du feu et, sans s’être impliqué pleinement dans les combats, ait poursuivi le grignotage de l’État libanais. Le parti des ayatollahs est à l’évidence assez roué pour «tourner à son avantage, et aux dépens d’autrui, une situation fort hasardeuse où il y avait de gros risques à courir et beaucoup à perdre».
«What if?», s’interrogeraient certains. Oui, alors où en serions-nous et qu’adviendrait-il de notre cadre de vie familier? Avec un peu d’inspiration et de créativité, nous pouvons aisément nous représenter le régime politique et surtout mental qui nous serait réservé par un parti affilié à l’Iran, ivre des victoires divines qu’il aurait remportées en versant le sang des Gazaouis.
Ce qui nous attend
Pour nous livrer à cet exercice, revenons quelque peu en arrière et extrapolons!
Dans la foulée de l’octroi du prix Nobel 2023 de la paix à la militante iranienne Narges Mohammadi, actuellement en prison pour son combat contre l’oppression des femmes, il aurait été instructif de souligner ce qui sépare notre culture politique libanaise de la culture prônée par les mollahs iraniens et leurs sbires libanais. De même, il n’aurait pas été inutile de relever ce qui distingue notre République, si décadente en ce moment, de la République islamique d’Iran, paradis d’hommes épanouis et de femmes libres.
Mais alors, à quoi s’attendre, si le Hezbollah se saisissait formellement du pouvoir? Quelles réformes profondes engagerait-il pour mettre un point final à notre système politique déficient et corrompu, ce système concocté à l’usage des mécréants que nous sommes? Car, selon l’idéologie du parti des mollahs, nous vivons la jahiliya, un état de chaos social et d’impureté morale.
Au Liban, on sait à peu près comment le pouvoir a été exercé jusqu’à ces jours-ci. Et dans la pratique, ce n’est pas brillant, même si les textes constitutionnels qui soi-disant nous régissent peuvent, ne serait-ce qu’en théorie, prétendre à un statut honorable. Une charte suprême ne vaut que par sa mise en application pratique. Et ne pouvant nier l’évidence, nous admettrons aisément que les garants de la Constitution réformée de Taëf avaient été les premiers à en dévoyer aussi bien l’esprit que la lettre.
République libérale et République islamique
Certes, comparaison n’est pas raison. Examinons cependant le modèle étatique que le parti armé jusqu’aux dents prend pour exemple.
Une question de prime abord: «Qui exerce le pouvoir en République islamique? Réponse: Depuis la prise du pouvoir par l’ayatollah Khomeini en 1979, les Iraniens sont régis par un modèle de gouvernement hybride qui se targue d’une double légitimité, religieuse et populaire. Et, qui plus est, la Constitution iranienne accorde au Guide suprême de la Révolution, en l’espèce l’ayatollah Ali Khamenei, le pouvoir de fixer les grandes orientations de la politique générale et de superviser l’ensemble des institutions étatiques telles que les Affaires étrangères, la Défense, la Justice, la moralité publique, etc. L’armée, les forces de sécurité intérieure et le corps des Gardiens de la Révolution islamique, milice idéologique du régime qui compte 150.000 membres, sont à ses ordres. Le président de la République, Ebrahim Raïssi, élu au suffrage universel direct pour un mandat de quatre ans renouvelable une seule fois, n’est au fait qu’un grand commis de l’État qui gère les affaires courantes et qui est «responsable devant le Parlement et le Guide», comme n’a pas manqué de le signaler Le Monde diplomatique.
Ainsi, au cas où on viendrait à mater des manifestations dans ce monde orwellien qu’on nous propose, ce serait les bassidjis, les paramilitaires du régime, qui se chargeraient du beau rôle. Avis aux amateurs de sensations fortes et d’exotisme, avis à ceux de la thaoura qui avaient oublié que le mot de Résistance n’était que l’alibi de l’occupation iranienne!
Mais est-ce donc là une République démocratique où la volonté populaire a toute latitude pour s’exprimer? Je vous laisse deviner.
Dès lors pourquoi s’étonner?
Au Liban, la moumana'a s’est engagée dans un processus de blocage des institutions pour empêcher l’arrivée à Baabda de tout candidat qui ne lui serait pas acquis, ou qui ne serait pas à sa dévotion, comme n’a pas manqué de l’être le général Michel Aoun. Et pourquoi ne le ferait-elle pas, quand ses maîtres de Téhéran lui ont donné l’exemple à suivre?
Ainsi en 2005, c’est d’autorité que les conservateurs iraniens ont limité le nombre des candidats à la présidentielle, ce qui eut pour effet une forte abstention dans les rangs de la société civile, laquelle abstention favorisa l’élection du candidat Mahmoud Ahmadinejad. Ce maire de Téhéran avait la réputation de réactionnaire et ne cachait pas son intention d’éradiquer les influences occidentales qui infectaient son pays. Écoutons ce que nous rapporte Paul Balta: «Par trois fois, lors des élections en 1997, en 2001 et en 2005 ce dernier (le peuple) a manifesté sa maturité politique, récusé l’islam politique et confirmé son option démocratique, mais les mollahs conservateurs ont recouru aux ‘ruses juridico-religieuses’ pour accroître leur pouvoir et renforcer la théocratie au détriment de la démocratie.» (1)
Les «ruses juridico-religieuses» nous rappellent bien entendu les artifices juridico-confessionnels du président de la Chambre, Nabih Berry, pour justifier en 2007 le lock-out de l’Assemblée nationale (2). Dès lors, pourquoi s’étonner des tours de passe-passe auxquels se livre le duo chiite pour avoir le dernier mot dans cette épreuve de la présidentielle?
Post-scriptum
Un an déjà que le siège de Baabda est vacant, mais pas faute de postulants. Et puis soudain, l’imprévu de Gaza a mis le feu aux poudres et bouleversé toutes les données sur la scène régionale. Il n’en reste pas moins que dans la course à l’échalote, le candidat Gebran Bassil n’allait pas perdre de vue ses intérêts. Alors au moment précis où le Liban devrait faire preuve d’extrême prudence donc prendre la tangente, le leader du Courant patriotique libre allait nous offrir en pâture à la ‘Résistance’; «sans elle, proclama-t-il, Dieu seul sait ce qu’Israël aurait fait de nous» (3). Voilà ce qu’il faut dire pour être bien en cour, la flagornerie d’après le Larousse se définissant comme une flatterie basse et intéressée.
Et comprenne qui voudra: c’est là toute la différence entre la dignité dont fait preuve Narges Mohammadi dans les geôles des tyrans et la servilité qui caractérise le quémandeur et l’intrigant!
Youssef Mouawad
[email protected]
1- Paul Balta, L’Islam, Le Cavalier Bleu, 3e édition, pp. 107-108.
2- En 2007, pour éviter d’aborder la question du Tribunal spécial pour le Liban, le président de la chambre, Nabih Berry, avait maintenu le Parlement clos, au prétexte que le Pacte national était violé.
3- Michel Touma, «Entre souverainisme et société guerrière», Ici Beyrouth, 31 octobre 2023.
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