Nous avons vu dans les articles précédents qu’il ne faut pas négliger l’impact de l’effet de surprise causé par le phénomène traumatique et ses conséquences dramatiques sur le psychisme. Durant la guerre civile, par exemple, un ensemble d’éléments pouvait faire qu’un certain nombre de signaux précurseurs, des sortes de signaux d’alarme (la radio, les rumeurs, les contacts, les rituels) préparaient les gens, dans une certaine mesure, à la reprise des tirs ou des bombardements. Ils se dépêchaient de chercher les protections indispensables.
Avec l’explosion du 4 août, rien de tout cela n’a pu avoir lieu, aucun signe avertisseur de la catastrophe à venir n’est apparu. Brutalement confrontés à l’agression dont ils ont été victimes, pris totalement au dépourvu, les Libanais ont été submergés par un intense sentiment de vulnérabilité, une immense fragilisation psychosomatique et, pour certains, par une émotion totalement insoutenable, impossible à penser.
Une Libanaise résidant à Achrafieh témoigne: «Le jour de l’explosion, je me trouvais dans un mall avec mon fils adolescent. Nous nous sommes perdus de vue, chacun vaquant à ses achats. L’explosion m’a figée sur place, hébétée, saisie de panique totale surtout lorsque des rumeurs ont circulé à propos d’une bombe ayant éclaté dans le bâtiment même (plusieurs autres sources font part de ce même sentiment: l’impression d’un bombardement de l’endroit où elles se trouvaient). À moitié sonnée, je suis parvenue dans la bousculade à sortir du mall. Je parcourais hébétée les rues d’Achrafieh à la recherche angoissée de mon fils avec le sentiment de me retrouver au milieu de ruines apocalyptiques. Les appels téléphoniques m’ont appris avec désespoir que ma maison et celle d’autres parents à nous avaient été détruites. Mon fils s’était réfugié chez une parente et refusait de rentrer chez lui, craintif, effarouché, courant ouvrir les fenêtres à chaque bruit suspect. Il est aujourd’hui toujours submergé par l’angoisse. Avec le confinement, il n’a plus les contacts sociaux habituels. Le plus difficile pour moi, c’est que moi-même je me retrouve impuissante à le soulager ou à le sécuriser (c’est d’ailleurs cette même douloureuse constatation qu’expriment d’autres parents qui tentent, tant bien que mal, de cacher leurs propres angoisses et leurs insécurités sans véritablement y parvenir).
Une autre Libanaise: Mon lieu de résidence est bien éloigné de Beyrouth. Néanmoins, je ne peux plus regarder les images et vidéos de l’explosion, celles des dégâts matériels et des victimes en sang parce qu’à chaque fois, c’est comme si je les voyais pour la première fois. Et j’ai de très forts sentiments de culpabilité, je me reproche de ne pas avoir pu être sur place afin d’apporter mon aide aux victimes.
Une autre mère de trois enfants éclate en sanglots: En entendant ces témoignages, mon cœur bat la chamade. Je revis le moment de l’explosion. Moi aussi je me trouvais à proximité de la zone du port et j’ai revécu les moments terribles de la guerre civile, pensant à un bombardement. Fuyant la zone, indemne par miracle, j’ai traversé les zones détruites, côtoyé des personnes ensanglantées, errantes. Je cherchais à retrouver ma famille. Même aujourd’hui, lorsque je regarde les vidéos des destructions et des victimes, je ne peux m’empêcher de pleurer et de revivre les mêmes angoisses.
Une autre jeune femme témoigne: Je n’ai pas vécu la guerre civile. J’écoutais les membres de ma famille raconter leurs terreurs vécues durant cette période et, dans ma tête, se dessinaient des images, des figurations illustrant ce que j’entendais. Nous habitons bien loin de Beyrouth, mais dans une région côtière donnant sur la mer. Lorsque l’explosion a eu lieu, nous en avons entendu la déflagration et vu l’épaisse fumée noire, rouge et jaune qui en jaillissait. J’ai alors été saisie d’un vertige et renvoyée soudainement à ces images construites dans ma tête. Je revivais, à travers elles, les récits effrayants de mes parents traumatisés.
Ces témoignages ont été recueillis en juin 2021 et sont publiés avec l’accord de leurs auteurs.
Lire aussi : Le traumatisme (2) – Ce qu’il faut d’abord savoir
Avec l’explosion du 4 août, rien de tout cela n’a pu avoir lieu, aucun signe avertisseur de la catastrophe à venir n’est apparu. Brutalement confrontés à l’agression dont ils ont été victimes, pris totalement au dépourvu, les Libanais ont été submergés par un intense sentiment de vulnérabilité, une immense fragilisation psychosomatique et, pour certains, par une émotion totalement insoutenable, impossible à penser.
Une Libanaise résidant à Achrafieh témoigne: «Le jour de l’explosion, je me trouvais dans un mall avec mon fils adolescent. Nous nous sommes perdus de vue, chacun vaquant à ses achats. L’explosion m’a figée sur place, hébétée, saisie de panique totale surtout lorsque des rumeurs ont circulé à propos d’une bombe ayant éclaté dans le bâtiment même (plusieurs autres sources font part de ce même sentiment: l’impression d’un bombardement de l’endroit où elles se trouvaient). À moitié sonnée, je suis parvenue dans la bousculade à sortir du mall. Je parcourais hébétée les rues d’Achrafieh à la recherche angoissée de mon fils avec le sentiment de me retrouver au milieu de ruines apocalyptiques. Les appels téléphoniques m’ont appris avec désespoir que ma maison et celle d’autres parents à nous avaient été détruites. Mon fils s’était réfugié chez une parente et refusait de rentrer chez lui, craintif, effarouché, courant ouvrir les fenêtres à chaque bruit suspect. Il est aujourd’hui toujours submergé par l’angoisse. Avec le confinement, il n’a plus les contacts sociaux habituels. Le plus difficile pour moi, c’est que moi-même je me retrouve impuissante à le soulager ou à le sécuriser (c’est d’ailleurs cette même douloureuse constatation qu’expriment d’autres parents qui tentent, tant bien que mal, de cacher leurs propres angoisses et leurs insécurités sans véritablement y parvenir).
Une autre Libanaise: Mon lieu de résidence est bien éloigné de Beyrouth. Néanmoins, je ne peux plus regarder les images et vidéos de l’explosion, celles des dégâts matériels et des victimes en sang parce qu’à chaque fois, c’est comme si je les voyais pour la première fois. Et j’ai de très forts sentiments de culpabilité, je me reproche de ne pas avoir pu être sur place afin d’apporter mon aide aux victimes.
Une autre mère de trois enfants éclate en sanglots: En entendant ces témoignages, mon cœur bat la chamade. Je revis le moment de l’explosion. Moi aussi je me trouvais à proximité de la zone du port et j’ai revécu les moments terribles de la guerre civile, pensant à un bombardement. Fuyant la zone, indemne par miracle, j’ai traversé les zones détruites, côtoyé des personnes ensanglantées, errantes. Je cherchais à retrouver ma famille. Même aujourd’hui, lorsque je regarde les vidéos des destructions et des victimes, je ne peux m’empêcher de pleurer et de revivre les mêmes angoisses.
Une autre jeune femme témoigne: Je n’ai pas vécu la guerre civile. J’écoutais les membres de ma famille raconter leurs terreurs vécues durant cette période et, dans ma tête, se dessinaient des images, des figurations illustrant ce que j’entendais. Nous habitons bien loin de Beyrouth, mais dans une région côtière donnant sur la mer. Lorsque l’explosion a eu lieu, nous en avons entendu la déflagration et vu l’épaisse fumée noire, rouge et jaune qui en jaillissait. J’ai alors été saisie d’un vertige et renvoyée soudainement à ces images construites dans ma tête. Je revivais, à travers elles, les récits effrayants de mes parents traumatisés.
Ces témoignages ont été recueillis en juin 2021 et sont publiés avec l’accord de leurs auteurs.
Lire aussi : Le traumatisme (2) – Ce qu’il faut d’abord savoir
Lire aussi
Commentaires