La guerre du Vietnam, qui a duré vingt ans (1955-1975), a provoqué de graves bouleversements psychiques chez les soldats américains que les psychiatres ont alors diagnostiqués sous l’abréviation PTSD (post-traumatic stress disorder). Si ce diagnostic a permis de rendre compte de l’ampleur du traumatisme de guerre éprouvé par ces soldats, il n’en demeure pas moins que cette appellation se révèle inadéquate d’un point de vue psychanalytique.

L’emploi du terme "stress", d’origine physiologique, est trop abstrait et risque de dissimuler la réponse subjective d’un sujet à un événement traumatique. Elle induit une tendance à rendre objectif, généralisable, l’impact du phénomène traumatique. Cela peut faire croire, par exemple, que tous les individus réagissent à un traumatisme de la même façon, ce qui n’est en aucune manière le cas. Le retentissement d’un traumatisme concerne toujours un sujet avec une histoire personnelle unique qui frémit selon son organisation singulière. C’est ce qui a fait dire qu’il existe autant de réponses traumatiques que de sujets traumatisés. Chaque personne vit un traumatisme en fonction de son histoire psychosomatique personnelle et à un moment donné de son existence. Le vécu traumatique dépend ainsi de plusieurs facteurs: de l’âge, du sexe, de l’environnement socioculturel, de la manière dont se sont déroulées les relations parents/enfant, des expériences existentielles traversées ainsi que de l’état psychologique dans lequel on se trouve au moment du choc. Vous voyez combien peuvent être nombreux les paramètres qui entrent en jeu et que l’on ne peut absolument pas ignorer. Parler d’un traumatisme collectif risque d’objectiver un vécu traumatique qui atteint un sujet dans son intime même. Il faudra, par conséquent, relativiser les recommandations très générales que l’on trouve un peu partout et qui risquent de faire croire qu’elles offrent des solutions suffisantes.

Ce qu’il faut d’abord savoir 

Notre équilibre psychique repose sur la liaison entre deux assises: la première est constituée par notre monde interne, c’est-à-dire l’organisation psychique et somatique interne (par exemple notre monde affectif formé par nos sentiments, nos émotions et leurs relations avec notre corps).

La seconde assise est constituée par l’apport du monde extérieur et notre capacité à contenir les éléments qui en proviennent, sans que cela ne perturbe trop l’organisation interne mentionnée ci-dessus.

Imaginez, par exemple, qu’il y a dans notre organisation somato-psychique une sorte de porte d’entrée qui laisse passer à l’intérieur ce que nous pouvons tolérer et qui reste close devant ce que nous ne le pouvons pas. Lorsque cette porte régularise, de cette façon, ce qui entre en nous et ce qui en sort, nous nous trouvons alors dans un certain équilibre psychosomatique. Mais lorsque les éléments externes exercent une force si puissante sur cette porte que celle-ci cède, il y a alors irruption de ces éléments à l’intérieur du psychisme, ce qui entraîne une rupture de l’équilibre qui régnait jusqu’alors. On peut évidemment donner l’exemple de l’explosion du 4 août 2020 accompagnée de son souffle dévastateur qui a provoqué la rupture de cet équilibre avec des conséquences dramatiques tant au niveau psychique que corporel, bouleversant le fonctionnement habituel quotidien. L’effet de surprise conjugué avec une confrontation brutale au sentiment indicible d’une mort imminente provoque une conscience trop douloureuse de la réalité. En d’autres termes, chacun vaquait à ses activités habituelles et voilà que, sans aucun avertissement, sans aucune préparation, la déflagration et son puissant souffle lui tombe dessus, la maison lui tombe dessus, provoquant une terreur perçue non seulement par ceux qui sont proches du port, mais également par ceux qui en sont éloignés, par identification aux autres, comme si, eux aussi, vivent ces peurs, ces sentiments de terreur qui entraînent détresses et marasmes. Une caricature illustrant cela est parue dans l’excellent livre Beyrouth, mon amour qui regroupe les témoignages des victimes de l’explosion. Cette caricature montre une personne assise devant la télé et qui reçoit brutalement, elle aussi, en pleine face, le souffle de cette explosion. Cela décrit bien le fait qu’on n’a pas besoin d’avoir vécu directement l’événement, on peut l’avoir vu à la télé ou sur des vidéos et en avoir été affecté. On peut aussi être loin géographiquement de la zone d’impact, on peut être à l’étranger, on peut avoir été témoin des réactions d’autres personnes (des parents pour les enfants par exemple) et néanmoins en ressentir des effets traumatiques.

Tout traumatisme obéit à ce processus aux conséquences singulières.