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- Al-Chifa: peut-on le prendre d’assaut?
Peut-on se livrer à des actes perfides si l’esprit est chevaleresque ou respectueux des normes qui régissent les nations civilisées? Certes non! On ne tire guère sur une ambulance, sur un dispensaire, des blessés, des prisonniers ou du personnel médical. Ce sont là, du moins en théorie, des lieux sanctuarisés et des personnes protégées.
L’hôpital Al-Chifa de Gaza s’est acquis, tout dernièrement, une sinistre notoriété: autour de ce complexe hospitalier s’est cristallisé tout un débat sur la notion de «guerre juste». L’affaire constitue désormais, plus qu’une hypothèse de travail, un cas d’école. Et elle est d’autant plus instructive qu’en date du samedi 18 novembre, les forces d’assaut israéliennes, qui s’étaient assurées des lieux, allaient donner à des centaines de Gazaouis l’ordre d’évacuation «dans l’heure qui suit». Bref, on n’a pas fini d’en entendre parler et l’on doit s’attendre à d’autres épisodes dans la foulée.
Les deux versions d’un même événement
«Épicentre des combats» (1) ou microcosme du conflit plus général opposant l’État hébreu à l’organisation Hamas, cet établissement sanitaire imposant regroupait avant son investissement par la troupe israélienne 2.000 réfugiés, 400 membres du personnel soignant, 650 blessés et 36 bébés prématurés; une fosse commune y avait été creusée pour recueillir 179 cadavres. C’est bien entendu la version des autorités gazaouies qui ne manquent pas de relever que ce complexe médical était déjà privé d’eau et d’électricité, comme à court de médicaments et de nourriture, quand la troupe l’a investie. Et qui plus est, en occupant les lieux, l’unité aéroportée les a transformés en centre de détention, allant jusqu’à interroger le personnel médical et les civils qui s’y étaient réfugiés.
Toutefois, pour les Israéliens, l’aile pédiatrique de ce complexe aurait abrité un centre de commandement opérationnel du Hamas, de même qu’elle aurait servi à cacher des armes et détenir les otages pris en date du 7 octobre.
À bien y regarder
Certes, en 2015 déjà, Amnesty International dénonçait le fait que le sous-sol de l’hôpital Al-Chifa servait de geôles aux ennemis de Hamas, tels que les responsables du Fatah, geôles où la torture était pratiquée. Mais est-ce à dire que ce centre médical constituait en novembre 2023 une menace que les commandos israéliens devaient écarter dans le cadre de leurs opérations de ratissage? Des fusils d’assaut ont été saisis, ce qui n’implique guère la présence d’un centre névralgique. «Israël n’a pas réussi à fournir des preuves qui s’approchent du niveau requis pour justifier l’exception en vertu de laquelle les hôpitaux peuvent être ciblés conformément aux lois de la guerre» (2). Ces propos ont été confirmés par l’équipe de la BBC présente sur les lieux.
L’arsenal militaire et l’arsenal juridique
Les conventions de Genève ont formellement prohibé les actions militaires contre les hôpitaux, à moins que ces derniers n’aient servi à «commettre, en dehors des devoirs humanitaires, des actes nuisibles à l’ennemi». Cet article 19 de la quatrième convention ajoute cependant en son alinéa 2: «Ne sera pas considéré comme acte nuisible le fait […] qu’il s’y trouve des armes portatives.» (3) Or, jusque-là, Israël n’a pu produire comme preuve que de telles armes personnelles. Et à moins de prouver irréfutablement que l’hôpital aurait servi de lieu de détention aux otages, comme le suggère Seymour Hersch (4), Netanyahou est dans son tort quand il déclare le 16 novembre à la chaîne américaine CBS: «Nous avions de fortes indications selon lesquelles des otages étaient détenus à l’hôpital Al-Chifa, et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous y sommes entrés. Si les otages étaient bien en place, ils ont été transférés en un autre lieu.» (5)
Au bout du compte, même si la mainmise sur Al-Chifa s’est faite dans un climat de brutalité condamnable, d’arrestations arbitraires, d’interrogatoires musclés et de vandalisme assumé, on n’a déploré ni massacres ni exécutions sommaires. Le «droit de la guerre» était sauf, du moins au niveau de la forme, dirait-on pour persifler!
Dans le feu de l’action
Cependant, dans le feu de l’action, les assaillants pouvaient-ils prendre des risques et considérer l’hôpital comme un sanctuaire neutre dont ils n’auraient rien à craindre? Pour répondre à cette question, est-il suffisant de rappeler l’article 19 susmentionné, qui dispose que la protection accordée à l’hôpital ne cesserait «qu’après une sommation fixant, dans tous les cas opportuns, un délai raisonnable et demeuré sans effet»?
Mais au-delà de ces considérations, imaginons le cas où les combattants du Hamas, barricadés dans le centre hospitalier, auraient tiré sur les assaillants, que la sommation ait été lancée ou non. Ces derniers n’auraient pas été dans leur tort de répliquer et d’engager un combat qui aurait décimé blessés et réfugiés. Un combat qui aurait été mené dans la «conformité au droit humanitaire», tant que le principe de proportionnalité dans la riposte n’aura pas été transgressé.
Amères victoires que celles remportées sur des victimes collatérales!
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1- Guillaume de Dieuleveult, «La manœuvre à huis clos de Tsahal pour le contrôle de l’hôpital al-Chifa», Le Figaro, 15 novembre 2023.
2- Déclaration de Mai el-Sadany, avocate des droits de l’homme et directrice de l’Institut Tahrir pour la politique du Moyen-Orient à Washington. Cf. Julian Borgerin, «IDF Evidence so Far Falls well short of al-Chifa Hospital Being Hamas HQ», The Guardian, 17 novembre 2023.
3- Ces dispositions valent aussi bien pour Hamas que pour l’État hébreu, quoique ce dernier se soit retiré de la Quatrième convention de Genève. Israël reste lié par les dispositions du droit humanitaire qui peut prétendre à un statut d’universalité.
4- Seymour Hersh, After al-Chifa, Secret talks between Hamas, Israel, and the US continue as the war in Gaza drags on, Novembre 2018, 2023.
5- Les autorités militaires israéliennes viennent d’annoncer la découverte d’un tunnel sous le complexe hospitalier d’al-Chifa, tunnel qui aurait servi à évacuer les otages. C’est à vérifier, mais qui dit tunnel ne dit pas centre opérationnel de commandement.
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