Il y a, en ce moment, une pièce jouée au Parlement sous le titre L’illusion optique d’un budget. Basée sur des faits réels, elle n’en reste pas moins une œuvre de fiction, grinçante, mais somme toute assez amusante, dans le genre La cantatrice chauve.
La pièce tourne autour d’un document de 1.200 pages, appelé «projet du budget 2024». Les spectateurs que nous sommes ont droit à des monologues interminables et oiseux au Parlement, puis à des séances de bodybuilding qui se donnent devant une cohorte de journalistes après chaque acte de cette creuse commission des Finances, où l’on assiste à des poumons qui se gonflent de fierté jusqu’à l’éclatement.
Mais, à force, cela risque d’être ennuyant avec ces suites de chiffres à 15 digits, qui se télescopent d’un bout à l’autre de l’hémicycle. Pendant ce temps, les principaux intéressés, les contribuables, crient au scandale face à cette tentative de dévaliser le peu qui reste de leurs moyens de subsistance. Mais, voyons en résumé quelques repères pour tenter de décortiquer l’affaire:
– D’abord, il ne faut pas croire tout ce que le budget raconte à propos des dépenses (3,34 milliards de dollars selon le cours actuel), des recettes (2,87 milliards) et du déficit (332 millions de dollars). Ils ont toujours eu un problème d’arithmétique au ministère des Finances. Déjà avant la crise, avec un seul taux de change et une situation normale, ils se trompaient parfois de plusieurs centaines de millions de dollars. Ou alors, ils camouflaient en fin d’année le vrai déficit par des impayés aux différents fournisseurs de l’État.
– Actuellement, avec les différents taux de change, des multiplicateurs appliqués oiseusement aux tarifs des formalités ( x10, 20, 40, 120…) et une visibilité nulle sur l’économie, l’approximation passée devient ce que nos amis anglais appellent as good as anybody’s guess.
– Une petite anecdote significative en passant: on a consacré un tiers des dépenses aux «réserves du budget». De quoi s’agit-il? En fait, c’est un montant (1,13 milliard de dollars) qu’on affectera selon l’humeur du moment, l’insistance d’un ministre influent ou l’intérêt propre d’un autre, sans l’aval d’un quelconque contrôleur. Déjà, actuellement – voilà un chef-d’œuvre du surréalisme –, le Conseil des ministres affecte des montants pour un ministère ou l’autre, qui sont transférés des réserves du budget… de 2023. Un budget qui n’a jamais été adopté ou discuté, qui n’existe pas.
– On arrive maintenant à la partie qui intéresse le pauvre bougre que vous êtes. En gros, pour atteindre ce déficit (théorique) minime, les impôts pleuvent à torrent. On vous évite les détails scabreux. Les organismes économiques et les associations en ont dressé une longue liste et crient au scandale: comment un responsable sain d’esprit peut-il décider d’une telle pression fiscale dans une économie en décrépitude, des évasions fiscales à 50%, des dépôts emprisonnés dans les banques, des réformes inexistantes, un taux de pauvreté de 80%, des investissements anémiques, une mainmise certifiée sur les fonds publics...?
– Qui plus est, des recettes sans aucun service rendu en échange à la population. Des recettes qui ne servent à rien en somme, à part payer les fonctionnaires qui les perçoivent et dont la particularité est qu’ils ne fonctionnent pas. Munis de maigres salaires, ils seront susceptibles d’imposer à leur employeur des augmentations, que le projet de budget ne prévoit pas.
– Signe des temps, encore un fait unique au monde, ce sont désormais les jours d’ouverture, de non-grève, que les fonctionnaires annoncent sporadiquement: «Pour les transactions immobilières, le service sera provisoirement ouvert les mardi et jeudi, le mois prochain…»
– Maintenant, la commission parlementaire des Finances tente justement de parlementer avec le ministre sur des modifications. Avant de se rendre compte que ce ministre des Finances, pas plus que les autres ministres, n’en sait pas grand-chose du contenu, le texte ayant été préparé par Saadé Chami.
– Que va-t-il se passer ensuite? Soit le Parlement modifie le projet du budget, en baissant les impôts (à supposer que le quorum puisse être assuré, ce qui est problématique). Soit, si cela ne se produit pas avant fin janvier, le gouvernement peut le publier par décret. On aura alors, selon le cas, soit un grand déficit, soit un petit. Mais, dans les deux cas, personne ne sait comment combler ce déficit. On ne peut s’endetter ni de l’étranger, depuis le défaut de 2020, ni en livres libanaises tant que Mansouri s’entête à cadenasser sa tirelire.
– Comme à l’accoutumée, le gouvernement, qui ne gouverne rien, se met dans une impasse inextricable. Évidemment on aurait pu considérer, théoriquement, d’autre solutions de rechange out of the box: opter pour des impôts plus équitables, proposer des recettes non fiscales, des privatisations, réduire les effectifs, ou même, chose insensée, cesser de piller… ou alors améliorer le QI des responsables par des sessions intensives.
Mais tenter d’instruire un responsable véreux, c’est comme recoller un pot cassé, ça coule toujours.
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