Avec ces quelques lignes, «On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux», Saint-Exupéry a été le porte-parole de ceux qui s’aiment, plus encore, celui de l’Amour même. Ces mots, griffonnés à la main sur un des tapuscrits de l’auteur, sont désormais à vendre.
À l’achèvement de son œuvre emblématique Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry a consigné deux phrases cruciales à la compréhension de son message, griffonnées au crayon sur des épreuves: «On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.» Ces mots figurent à la page 57 d’un des manuscrits de ce conte, un dactylogramme annoté de la main de l’auteur, qui est désormais proposé à la vente.
Cette pièce, au cœur d’une collection exceptionnelle dédiée à l’écrivain et aviateur français, sera mise en vente lors de FAB Paris (anciennement Biennale des antiquaires), au Grand Palais éphémère dès mercredi. Benoît Forgeot, libraire responsable de la vente, décrit cette collection comme l’œuvre d’un passionné, soigneusement sélectionnée et élaborée avec goût, sans toutefois révéler l’identité du collectionneur.
Dans la version originale dactylographiée du chapitre XXI, Saint-Exupéry avait initialement fait dire au renard : «Ce qui est le plus important, c’est ce qui ne se voit pas.» Cette formulation a été supprimée et remplacée par l’adage désormais célèbre: «On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux.» Bien que l’on ignore si c’est dans ce document que Saint-Exupéry a formulé pour la première fois cette pensée, il s’agit certainement de son choix définitif. Les experts ont découvert, en analysant le manuscrit, que l’auteur avait expérimenté plusieurs variantes telles que «ce qui compte est invisible», «l’essentiel est toujours invisible», ou «l’on voit bien qu’avec le cœur».
Ce manuscrit est une occasion rare pour les amateurs fortunés de Saint-Exupéry ou pour les institutions désirant enrichir leurs collections avec ce fragment d’histoire littéraire. Le Petit Prince, publié en avril 1943 en anglais et en français aux États-Unis, où l’auteur était exilé, puis en avril 1946 en France, n’était à l’origine qu’un simple conte de Noël commandé par un éditeur new-yorkais. Saint-Exupéry, disparu en juillet 1944, n’a jamais connu le succès phénoménal de son œuvre, qui, selon la Fondation Antoine de Saint-Exupéry, s’est écoulée à plus de 150 millions d’exemplaires à travers le monde, devenant ainsi la fiction la plus lue de tous les temps. Le manuscrit original est conservé à la Morgan Library & Museum de New York. Il avait été partiellement prêté pour une exposition à Paris en 2022.
Benoît Forgeot, depuis sa librairie parisienne du quartier de l’Odéon, précise qu’il existe au moins trois manuscrits attestés. L’un, offert par Saint-Exupéry à Nadia Boulanger, réside à la Bibliothèque nationale de France. Le second, transmis au traducteur Lewis Galantière, est conservé à l’université du Texas à Austin. Le troisième, jusqu’alors détenu par un collectionneur privé, est celui mis en vente. Ce dernier contient les annotations les plus significatives de Saint-Exupéry, incluant des passages inédits jamais publiés.
Le choix du vendeur de confier la transaction à un libraire, plutôt qu’à une maison d’enchères, signifie que cette vente privée ne divulguera ni estimation préalable, ni montant final d’achat.
La collection comporte 23 autres pièces d’exception, allant d’une lettre de l’écrivain à sa mère, rédigée à l’âge de 10 ans, à un ensemble de 200 feuillets manuscrits de Citadelle, l’essai sur lequel il travaillait au moment de sa disparition, en passant par 32 lettres à son épouse, Consuelo de Saint-Exupéry, qui ont servi pour l’édition de leur Correspondance en 2021.
Il aura parcouru le monde, dans son avion. Il en aura vu, des déserts et des galaxies. Il aura rédigé des mots d’amour, écrit des correspondances, sans censure et en toute pureté, comme un «petit bonhomme». Il aura aimé, comme seul un prince aime. Sa disparition, lui qui avait «des difficultés avec une fleur», demeure une énigme. Il aura fait confiance à un serpent, «plus puissant que le doigt d’un roi», pour le rendre «à la terre dont il est sorti». Cependant, les étoiles qu’il aura laissées derrière lui laissent une longue traîne d’espoir dans les cœurs et les âmes.
Avec AFP
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