«Ni pleurs ni pardon» de Vincent Quivy
«Tu as dix-sept ans à Palma de Majorque» est la première phrase du roman Ni pleurs ni pardon de Vincent Quivy. L’originalité du récit est posée dès ces premiers mots par le choix assumé d’une narration à la deuxième personne du singulier. L’auteur reprend un procédé déjà expérimenté par Georges Perec en 1967 pour son troisième roman, Un homme qui dort (Denoël), racontant l’histoire d’un étudiant plongé dans une introversion extrême. Dans le roman de Vincent Quivy, cette quête de soi n’est pas permise pour le héros qui passe sa vie en cavale permanente, à l’image de la silhouette qui court dans une rue pavée déserte sur la couverture du livre. Le récit suit en effet des moments clés du personnage principal entre son adolescence et sa cinquantaine.

«Tu es en fuite.» Le protagoniste, dont on ignore l’identité exacte jusqu’à la dernière page, est le fils d’un officier de l’armée française impliqué dans le putsch des généraux d’Alger en 1961. «Le Capitaine», surnom dont ses quelques partisans l’affublent, est lui-même en cavale pour échapper aux tribunaux militaires et décide de cacher le jeune homme et sa mère sur l’île de Majorque en attendant de les exfiltrer ailleurs. Palma est donc une étape censée être transitoire. Quelle destination les attend: l’Italie, Perpignan? Dans cette attente angoissante et incertaine, avec une mère tombant peu à peu dans une sévère dépression, le héros cherche seulement à vivre une vie normale d’adolescent: reprendre ses études, se faire des amis. Mais son destin est sans cesse rattrapé par celui de ce père absent mais menaçant. Au Granero, un bar devenu le QG des pieds noirs réfugiés, il glane au compte-goutte des informations sur le Capitaine et sa mystérieuse organisation. Durant l’été de ses dix-sept ans, il rencontre néanmoins Esteban, un jeune Espagnol antifranquiste qui tient rapidement dans son cœur une place centrale. Lorsque ce dernier rentre en Espagne à la fin des vacances, sa décision est prise: il le rejoindra à Barcelone pour fuir l’influence néfaste de son père et vivre sa propre vie. Mais dans cette quête sans fin pour s’affirmer en opposition à la figure paternelle, le héros devient progressivement un hors-la-loi fugitif comme lui.

«La culpabilité a bouffé son existence.» Les errances géographiques du héros entre l’Espagne, les États-Unis et le Pays basque l’empêchent de trouver une vie apaisée, ou même une compagne malgré des tentatives infructueuses. Il ne s’autorise «ni pleurs ni pardon» pour cette existence où les dés étaient pipés d’avance. Finalement, c’est dans le surf, un sport solitaire et risqué qu’il trouve une certaine paix intérieure et une prise en main de sa destinée: «Tu es en quête de paix. L’océan te ballotte mais tu parviens à prendre le dessus.» Mais ne peut-on voir encore une forme d’urgence à glisser, à fuir un passé douloureux: «Cette vision t’apaise parce qu’elle est sans violence ni menace et qu’elle ne te ramène à rien de connu ou vécu.»

Ni pleurs ni pardon est un premier roman qui sort littéralement de l’ordinaire par ses choix de narration et son intrigue bouleversante. Le lecteur est tenu en haleine jusqu’à la fin pour découvrir qui est le personnage qui s’adresse directement au protagoniste et comment cette éternelle cavale se terminera.


Marine Moulins

Vincent Quivy, Ni pleurs ni pardon, de Vicent Quivy, éditions de l’Observatoire, 2023, 232 p.

Cet article a été originalement publié sur le site de Mare Nostrum.​​​​​​
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