Nice: rétrospective Robert Doisneau au musée de la Photographie

Au cœur du Vieux-Nice, le musée de la photographie Charles Nègre expose sous la thématique «le merveilleux quotidien» une sélection de 78 tirages anciens ou vintages de Robert Doisneau, dont les clichés de Paris et de sa banlieue en noir et blanc s’inscrivent désormais dans l’imaginaire collectif. Ce n’est pas le spectaculaire que Doisneau guette au coin des rues de Paris, mais les choses simples et inattendues de la vie. Il capte les instants furtifs car, sans doute, voit-il dans l’éphémère quelque chose de prodigieux qu’il immortalise. Cette magnifique rétrospective conçue en collaboration avec l’atelier Robert Doisneau, qui donne un aperçu de sa carrière des années 30 aux années 70, et regroupe 110 clichés, se décline en deux temps: Paris et sa banlieue et Palm Springs 1960. Elle se déroule jusqu’au 28 janvier 2024.
Médiatrice culturelle, Sonia Duchatel nous confie: «C’est la première fois que nous exposons les œuvres de Robert Doisneau à Nice et c’est un artiste incontournable. Le directeur du musée a fait un choix éclectique de photos en noir et blanc et en couleurs selon le thème principal. Nous avons collaboré avec l’atelier Doisneau et les deux filles du photographe qui nous ont donné carte blanche pour la scénographie. Concernant les visiteurs, nous recevons des classes d’élèves tous les jours. Ce sont des photos qui parlent à tout le monde. Et c’est, depuis le premier jour, un immense succès, car les retours du public sont excellents.»

«On dit que vous êtes photographe humaniste», avait lancé, dans l’une de ses émissions, Bernard Pivot à Robert Doisneau qui, surpris, éclata de rire et apprécia l’hommage. Désormais, il s’impose comme l’un des représentants de l’école humaniste dont Ronis, Boubat et Izis font partie. Né en 1912 à Gentilly, Robert Doisneau obtient un diplôme de graveur lithographe et commence aussitôt son parcours en dessinant des étiquettes pharmaceutiques. C’est chez André Vigneau dont il devient l’opérateur en 1931 qu’il apprend les bases du métier avant de vendre son premier reportage au quotidien L’Excelsior. Puis il devient photographe industriel aux usines Renault où il prend des clichés des ouvriers au travail, de la fabrication des voitures, de l’usine qu’il détestera. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Doisneau est photographe, illustrateur indépendant et réalise de nombreuses commandes. À partir de 1946, il collabore jusqu’à la fin de ses jours avec l’Agence Rapho et travaille régulièrement avec la presse américaine.
En 1948, Doisneau est exposé avec Brassaï, Ronis et Izis à la galerie Photoleague à New York. En 1951, dans Five French photographers, il figure au MoMA de New York avec Brassaï, Cartier-Bresson, Izis et Ronis. En 1954, l’Art Institute de Chicago lui offre une première exposition individuelle, mais faute de moyens, ce sont seulement ses photos qui voyagent. Il sera récompensé par le prix Kodak en 1947 et le prix Niépce en 1956. Les années soixante sont marquées par des voyages et des reportages aux États-Unis, au Canada et en URSS.
Mais Doisneau s’inspire surtout de Paris et de ses faubourgs pour ses photos en noir et blanc empreints de tendresse et d’humour. Sa première photographie s’intitule Les Pavés (1929) dont il dit: «Ma première photo, c’est un tas de pavés. Parce que, comme je n’osais pas par timidité, lever les yeux sur les gens vivants, j’ai photographié des matières.» Il traverse Paris et sa banlieue dans tous les sens, guette l’imprévu et fixe le quotidien du petit peuple des rues qu’ils soient artisans, bateleurs, gamins, écoliers, mais aussi des lieux comme les bistrots, les manèges, les trains, la maison des locataires. Mais encore, sur des textes de Blaise Cendrars, seul à s’intéresser à ses photos, il consacre un album sur La Banlieue de Paris (1949). Il reçoit, en 1950, une commande du magazine américain Life sur le thème de l’amour au printemps à Paris. Les clichés intitulés Le Baiser de l’Hôtel de ville, Le Baiser du Pont-Neuf, Les Amoureux aux poireaux sont aussitôt publiés. Ce n’est que dans les années 80 qu’il reçoit la proposition d’imprimer Le Baiser de l’Hôtel de ville en format poster. Le succès est immense.
Suivent une série d’expositions au musée d’Art moderne de Paris, au Palais des beaux-arts de Pékin, à Tokyo, à Rome, au jardin des plantes, et des prix qui lui sont décernés, dont le Grand prix national de la photographie en 1983 et le prix Balzac en 1986. Il meurt en avril 1994 et laisse une œuvre d’environ 450.000 négatifs.


Au rez-de-chaussée du musée Charles Nègre, il y a les photos singulières, pleines de poésie, en noir et blanc qui racontent le quotidien des gens de Paris et font revivre des instants capturés par le regard émerveillé du jeune Doisneau. Une galerie de clichés nous transporte d’emblée dans un univers où l’oxymore «le merveilleux quotidien» prend tout son sens. Le visiteur peut admirer Le Saut (1936) d’un gamin au sourire malicieux, Les Frères, rue du Dr Lecène (1934) qui font des acrobaties ou encore Le Cadran scolaire (1956) d’écoliers en classe, Les Enfants de la place Hebert (1957) et tant d’autres.
«Le monde que j’essayais de montrer était un monde où je me serais senti bien, où les gens seraient aimables, où je trouverais la tendresse que je souhaite recevoir. Mes photos étaient comme une preuve que ce monde peut exister.»Robert Doisneau, Interview de Frank Horvat, Entre Vues, 1990.
À partir des années soixante, Doisneau rassemble ce qu’il appelait ses «bricolages photographiques» qui traduisent son goût pour les utilisations libres de la photo et son esprit novateur. Deux magnifiques montages en relief, dont La Maison des locataires, réalisée en 1956 pour l’exposition Six photographes et Paris au Musée des arts décoratifs à Paris, et Le Pont des arts (1962) pour une exposition à la mairie de Pantin ont été refaits à l’identique en 2006.
Robert Doisneau est attentif aux menus détails de la vie, à ces choses auxquelles on ne prêterait pas attention, mais qui sont pour lui l’essence même du monde. On s’arrête longtemps devant le cliché La Famille du blanchisseur (1949), celui des Petits enfants au lait (1934) ou encore celui du Dimanche matin, Arcueil Cachan (1945) et celui Dans le train de Juvisy (1947).
Au premier étage, Palm Springs, 1960.
Robert Doisneau traverse pour la première fois l’Atlantique en 1960 pour réaliser un reportage pour le magazine américain Fortune sur le thème de la construction de golfs à Palm Springs, refuge des riches retraités américains dans le désert du Colorado. Ce qu’il y découvre l’incite à dépasser le thème car, au-delà des greens sur un territoire aride, Doisneau se sert pour la première fois de la pellicule couleur pour photographier un monde artificiel aux couleurs pastel.

La rétrospective offre un remarquable documentaire intitulé Le Révolté du merveilleux réalisé par Clémentine Deroudille, petite-fille de Doisneau, qui, à partir d’archives inédites, livre un portrait de l’homme et de l’artiste qui pratique la photo en artisan et dit: «Curiosité et désobéissance sont les deux mamelles de ce métier.» Ce film, paru en 2016, dévoile le parcours de l’enfant de banlieue devenu l’un des photographes les plus renommés. Il est chapitré par les dessins d’Emmanuel Guibert et recueille les témoignages de ses deux filles Annette et Francine, héritières de Robert Doisneau dont elles gèrent le patrimoine artistique. Des amis intimes du photographe prennent la parole, tels que Sabine Weiss, Sabine Azéma, Philippe Delerm, Daniel Pennac et François Morel pour parler de l’homme et de l’artiste qui photographia Picasso, Michèle Morgan et tant d’autres. On y apprend que Jacques Prévert est l’un de ses plus fidèles amis et qu’avec Robert Giraud, ils se levaient à quatre heures du matin pour aller au marché des Halles. Ses photos voyagent partout dans le monde, de New York à Tokyo, où sa notoriété est considérable.
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