Mercredi, le Conseil des ministres a décidé de reporter à une séance ultérieure, l’examen du projet de restructuration des banques. Non pas que le texte élaboré par le vice-président sortant du Conseil, Saadé Chami, nécessite un examen approfondi, mais parce qu’il recèle, semble-t-il, une longue liste de pièges mortels. Le Premier ministre sortant, Najib Mikati, semble-t-il, ne cautionne pas le texte et aurait demandé à Saadé Chami de revoir sa copie.
C’est que l’effet premier et direct de la proposition Chami, selon deux experts économiques et financiers, Maroun Khater et Jassem Ajaka, est double: porter le coup de grâce au secteur bancaire et supprimer les dépôts bancaires. Il s’agit, en d’autres termes, selon eux, de remettre «les compte(ur)s à zéro», aux dépens des déposants et au profit de cinq banques nébuleuses.
S’exprimant dans le cadre de l’émission Sar el-Wakt sur la MTV, les deux experts se sont étendus sur une partie des failles du projet Chami, qui porte, selon eux, l’empreinte de la banque d’affaires Lazard «dont la politique a détruit le secteur financier au profit du Kard el-Hassan», (l’institution financière du Hezbollah, qui opère en dehors de tout cadre légal) a commenté Jassem Ajaka. Il tend essentiellement à décharger l’Etat de toute responsabilité au niveau de la crise dans laquelle celui-ci a pourtant plongé les Libanais à cause d’une mauvaise gestion des affaires publiques et d’une corruption endémique, en faisant assumer au secteur bancaire et aux déposants tout le poids des pertes liées à l’effondrement financier de l’État.
Plus encore, la mise en œuvre du plan «se fonde sur des lois qui n’ont pas encore vu le jour» et la méthodologie de la restructuration «n’est pas claire, contrairement à sa finalité qui est donc de briser totalement le secteur bancaire et de rayer d’un coup de crayon, l’argent des déposants». «Il est vrai que les banques ont commis une erreur en permettant à l’État de s’endetter auprès d’elles, mais il ne faut pas oublier que c’est l’État qui a dépensé l’argent des déposants qu’il veut aujourd’hui sanctionner», ont estimé les deux experts, en relevant que ceux qui veulent restructurer les banques, parmi les officiels, ont tous leurs comptes à l’étranger.
Les deux reprochent au plan Chami le fait qu’il ne s’inscrit pas dans le cadre d’un programme de réforme financière «clair et réfléchi», ce qui a poussé Jassem Ajaka à faire le commentaire suivant: «C’est soit le fruit d’une ignorance, soit le fait d’un agenda local ou étranger, ou peut-être une combinaison des trois».
Maroun Khater a ainsi révélé qu’un des articles du texte en question prévoit la saisie des biens d’une banque locale à l’étranger au cas où celle-ci ne verserait pas à un déposant son argent. «Cet article est inapplicable, parce qu’il tend à détruire les branches des banques libanaises à l’étranger, en sapant la confiance dont elles bénéficient».
Selon Jassem Ajaka, cet article n’existait pas dans la première mouture du plan mais y a été ajouté, ce qui confirme, à son avis, une volonté de destruction du secteur bancaire. Une des conséquences de ce travail de sape, sera aussi la suppression des données sur les PME et PMI libanaises. «L’État, vu sa déliquescence, n’a pas songé à établir ces données qui sont seulement consignées auprès des établissements bancaire», a-t-il relevé.
Un autre article, relatif à un contrôle des capitaux qui doit accompagner la restructuration envisagée, est également contesté par les deux experts. «Avant d’appliquer un contrôle des capitaux, il faut songer à contrôler la frontière et à rétablir la souveraineté spoliée. Nous avons besoin d’une souveraineté, d’une justice réelle et d’un rétablissement de tout ce qui constitue les fondements d’un État, avant de réformer le secteur bancaire, dont le rôle est incontournable dans le cadre d’un plan de redressement».
Maroun Khater s’est montré particulièrement pessimiste. Il a insisté sur la nécessité d’une répartition des pertes, tout en relevant que «les autorités ont échoué dans le passé et échoueront à l’avenir». «Tous les projets de loi en lien avec la crise sont pires l’un que l’autre», a-t-il constaté.
L’expert a jugé difficile, voire impossible, une restructuration des banques tant que le désaccord politique sur la répartition des pertes persiste, et, surtout, tant que la confiance et la transparence continuent de faire défaut.
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