Accord gazier avec l’Égypte : les étapes clés de sa mise en œuvre au Liban
©Ici Beyrouth

Le protocole d’accord signé, lundi, entre le Liban et l’Égypte pour l’importation de gaz naturel marque une nouvelle tentative de sortie de l’impasse énergétique dans laquelle le pays est enlisé depuis des décennies. S’il ne s’agit pas encore d’un contrat d’achat ferme, l’accord ouvre un cadre de coopération que les autorités libanaises présentent comme une étape structurante vers la transition du secteur électrique du fioul vers le gaz naturel, jugé à la fois moins coûteux et moins polluant.

Interrogé par Ici Beyrouth, le ministre de l’Énergie, Joe Saddi, insiste sur le fait que cette démarche s’inscrit dans une réflexion plus large, amorcée dès son entrée en fonction. «Il y a deux priorités, explique-t-il: d’abord, assurer la transition du fioul vers le gaz naturel pour toutes les raisons que l’on connaît. Ensuite, garantir la sécurité et la diversité des sources d’approvisionnement».

Autrement dit, il ne s’agit pas seulement de changer de combustible, mais d’éviter de recréer une dépendance unique, comme celle qui a longtemps caractérisé le secteur.

Dans cette optique, la stratégie libanaise repose sur deux axes complémentaires: l’acheminement du gaz par voie terrestre via l’Arab Gas Pipeline (gazoduc arabe), et, à terme, l’importation maritime grâce à des unités flottantes de stockage et de transformation du gaz liquéfié (Floating Storage and Regazification Unit – FSRU).

«L’idée est de pouvoir nous procurer du gaz à la fois par pipeline et par voie maritime, afin de diversifier les sources et de ne pas dépendre d’un seul canal», souligne le ministre.

Pour rappel, le FSRU est une plate-forme flottante spécialisée qui reçoit, stocke, puis réchauffe le gaz naturel liquéfié pour le transformer en gaz utilisable et l'injecter dans le réseau terrestre, offrant une solution rapide pour approvisionner, dans ce cas, le Liban en gaz pour l'électricité.

L'Arab Gas Pipeline est un gazoduc qui transporte du gaz naturel depuis l’Égypte vers plusieurs pays du Moyen-Orient, dont la Jordanie, la Syrie et le Liban. Mis en service dans les années 1980, il permet d’alimenter en gaz les centrales électriques, les industries et certains usages domestiques dans les pays traversés. Le réseau est composé de plusieurs branches, chacune desservant des zones spécifiques, et son fonctionnement a parfois été interrompu en raison de problèmes techniques ou d’incidents sur le trajet. Il reste l’une des principales infrastructures de transport de gaz naturel dans la région.

Pipelines, délais et inconnues syriennes

S’agissant du pipeline régional, Joe Saddi rappelle un point technique souvent mal compris. Le gaz qui transite par l’Arab Gas Pipeline ne parvient pas directement de Jordanie ou d’Égypte jusqu’à la centrale de Deir Ammar. Historiquement, le système repose sur un mécanisme de «swap». Autrement dit, le gaz acheté arrive en Syrie, où il est échangé contre du gaz syrien provenant du nord du pays, avant d’être acheminé vers le Liban. «Techniquement, cela a toujours fonctionné ainsi, car le pipeline (gazoduc) n’est pas relié de manière continue jusqu’à Deir Ammar», précise-t-il.

Côté libanais, une équipe technique a récemment évalué, nous dit-il, l’état du tronçon reliant la centrale de Deir Ammar à la frontière syrienne. Le diagnostic est clair: une première phase de réhabilitation, estimée à trois à quatre mois, permettrait de remettre le pipeline en service et de commencer à recevoir du gaz.

«C’est cette phase qui est critique, celle qui permet effectivement de démarrer», note Joe Saddi. Une seconde étape, plus longue, viserait ensuite à améliorer le fonctionnement du réseau, notamment en matière de mesure et d’optimisation des flux, sans conditionner pour autant l’acheminement initial du gaz.

Le coût de cette première phase reste volontairement peu détaillé, mais le ministre assure qu’il demeure limité. «Ce n’est pas énorme, surtout pour la phase qui permet de commencer», indique-t-il, ajoutant travailler activement à l’identification de bailleurs pour financer l’ensemble du processus. Interrogé sur l’identité de ces donateurs potentiels, il se montre prudent, affirmant en avoir identifié un au moins, sans vouloir, à ce stade, en révéler les noms.

L’une des principales inconnues reste toutefois le tronçon syrien du pipeline. Beyrouth ne dispose pas encore d’une évaluation précise de l’état des infrastructures côté syrien, ni des travaux nécessaires à leur remise en service. «Il faudra comprendre ce qui fonctionne chez eux, ce qui doit être réparé et ensuite négocier les conditions de transit», affirme le ministre, évoquant notamment la question des frais de passage du gaz par le territoire syrien.

FSRU, capacités de production et limites structurelles

Parallèlement à la voie terrestre, le gouvernement libanais avance sur le dossier du FSRU. Des discussions sont en cours avec plusieurs pays du Golfe, intéressés à investir non seulement dans l’unité flottante, mais aussi dans une nouvelle centrale électrique à Deir Ammar. En parallèle, la Société financière internationale (SFI) ou International Finance Corporation - IFC (bras financier privé de la Banque mondiale) a été mandatée pour accompagner l’État libanais dans la préparation et le lancement d’un appel d’offres international pour le FSRU et les infrastructures associées.

Dans ce cadre, l’accord avec l’Égypte est présenté par Joe Saddi comme un socle de coopération plutôt qu’un aboutissement. «Pour l’instant, c’est un cadre. Tous les détails restent à discuter», insiste-t-il. Dès le mois de janvier, des équipes techniques libanaises et égyptiennes doivent entamer des discussions sur les volumes, les prix, les modalités techniques et le calendrier éventuel des livraisons.

Par ailleurs, la question de l’origine du gaz reste à éluder. L’Égypte, produit certes du gaz, mais elle en importe elle-même une partie de cette ressource, notamment depuis Israël, dans le cadre d’un accord récemment finalisé entre les deux pays. Le Liban pourrait-il, indirectement, dépendre de gaz israélien ? Sur ce point, le ministre se montre mesuré. «Nous discutons avec l’Égypte pour acheter du gaz égyptien. Ils ont aussi leurs propres plans pour augmenter leur production, avec plusieurs explorations en cours. À ce stade, nous en sommes là», répond-il.

Au-delà du gaz, Joe Saddi rappelle que la réduction durable du rationnement électrique ne dépendra pas uniquement du changement de combustible. «Ce n’est pas la transition en elle-même qui fera disparaître les générateurs privés, mais l’augmentation de la capacité de production», martèle-t-il. Selon lui, le Liban a besoin d’au moins deux grandes centrales supplémentaires pour espérer fournir de l’électricité 24 heures sur 24. Aujourd’hui, l’Électricité du Liban (EDL) ne peut produire, au mieux, que huit à dix heures par jour.

Enfin, le ministre reconnaît que ce projet ravive le souvenir de l’échec de 2022, lorsqu’un accord gazier similaire, soutenu par les États-Unis, n’avait jamais vu le jour en raison des sanctions imposées à la Syrie. Sur ce point, le contexte a changé. «Avec la levée de la loi César, il n’y a plus d’entrave liée aux sanctions», affirme-t-il, tout en reconnaissant que les risques politiques et opérationnels ne peuvent être totalement écartés.

Entre prudence et volontarisme, le dossier du gaz égyptien illustre ainsi la difficulté, pour le Liban, de transformer des accords diplomatiques en solutions concrètes. Si le cadre est désormais posé, la réussite du projet dépendra de la capacité des autorités à sécuriser les financements, coordonner les acteurs régionaux et, surtout, traduire cette nouvelle feuille de route énergétique en kilowattheures réels pour les Libanais.

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