Quelle lecture du repli politique de Saad Hariri ?
©Crédit : Dalati et Nohra
Le chef du Courant du Futur, Saad Hariri, aurait quitté lundi soir Beyrouth.


Dans le discours que le chef du Courant du Futur et ancien premier ministre, Saad Hariri, a tenu lundi pour annoncer qu’il suspend son action politique et l’activité de son parti - prié par ailleurs de ne pas s’engager dans la bataille électorale - plusieurs messages peuvent être décodés, l’essentiel sans doute étant que le leader sunnite ne se retire peut-être pas pour de bon de la vie politique.

« Parce que je suis convaincu que le Liban ne dispose d’aucune chance positive à l’ombre de l’influence iranienne, de l’incertitude internationale, des divisions internes, de l’exacerbation du confessionnalisme et de la décrépitude de l’État, j’annonce ce qui suit : je suspends mon action politique et j’appelle le courant du Futur à agir de même. Je ne m’engage pas dans la bataille électorale. Il n’y aura pas de candidats ni du courant du Futur aux prochaines élections ni en son nom », a-t-il lancé, au cours de la conférence de presse qu’il a tenue à 16h à la Maison du Centre.

La voix brisée, retenant à peine ses larmes devant un parterre de personnalités partagées entre la colère, la frustration et le chagrin à l’annonce de son repli, Saad Hariri a en quelque sorte dressé le bilan de 13 ans d’une vie politique mouvementée au cours de laquelle des mauvais choix stratégiques et des facteurs intérieurs et extérieurs défavorables se sont entremêlés.

À quatre mois d’une consultation populaire cruciale, qui intervient alors qu’une majorité libanaise est particulièrement montée contre la classe politique, que l’opposition locale est dispersée et que l’axe iranien s’efforce de consolider sa mainmise sur un pays à l’agonie, Saad Hariri semble avoir décidé de marquer une pause. Recule-t-il pour mieux sauter dans l’attente de jours meilleurs ? A-t-il voulu déclencher une onde de choc dont les effets pourraient provoquer un changement quelconque? A-t-il été poussé à la sortie et prépare-t-il ainsi le terrain à un retrait définitif de la vie politique ? Le choix du terme « suspension » qu’il a employé pour expliquer qu’il ne sera plus actif politiquement et que son parti doit agir de même et s’abstenir de présenter ou de soutenir des candidats aux prochaines législatives, ouvre la voie à diverses interprétations. Il peut ne pas être anodin.

De sources proches de la Maison du Centre, on indique que la décision du leader sunnite est à l’avenir « sujette à discussion », sans vouloir cependant s’étendre sur les considérations qui pourraient amener ce dernier à changer d’avis quoique celles-ci sont évidentes, compte-tenu du contexte qui lui a dicté ce repli.

Des gains et des pertes


De même sources, on insiste sur le fait que la situation locale et régionale est actuellement « excessivement défavorable » à un retour de Saad Hariri sur la scène politique. En termes de gains et de pertes, ce dernier gagnerait donc davantage à opérer un repli dont la durée reste indéterminée plutôt qu’à risquer de couler politiquement en raison de toutes les difficultés liées au paysage politique et économique actuel. Les facteurs qui jouent depuis quelque temps contre Saad Hariri sont nombreux. Le chef du courant du Futur les a lui-même cités durant sa conférence de presse. Au plan local, ils peuvent être facilement résumés par l’axe Hezbollah-Amal-CPL, qui représente une force de blocage face à tout ce qui ne sert pas son propre intérêt. Paradoxalement et en dépit de leur positionnement à l’antipode de celui du leader sunnite, les composantes de cet axe s’accrochaient à sa présence dans le paysage politique, à cause principalement du profit dont elles tiraient, chacune pour des raisons différentes. Et si Saad Hariri a joué le jeu pendant des années, c’est au nom d’une realpolitik dont il a fini par payer le prix et par souci d’une stabilité qui s’est avérée précaire.

Aujourd’hui, l’heure est donc au bilan pour le chef du Futur : « Après l’assassinat de Rafic Hariri (ancien Premier ministre) j’ai été choisi pour poursuivre son projet politique (…), à savoir empêcher une guerre civile au Liban et assurer une vie meilleure aux Libanais. J’ai réussi dans le premier mais pas suffisamment dans le deuxième », a-t-il confié. Avant d'expliquer qu’il a été contraint d’accepter des compromis pour éloigner le spectre de guerres civiles: « Contenir les effets du 7 mai (2008 - lorsque le Hezbollah a envahi Beyrouth, attaquant le courant du Futur et le Parti socialiste progressiste après une décision du gouvernement de Fouad Siniora de limoger le responsable de sécurité du Hezbollah à l’aéroport)-, en passant par l’accord de Doha (2008 - qui a consacré la minorité de blocage en Conseil des ministres et donné au tandem Amal-Hezbollah et à leurs alliés un levier important pour imposer leur volonté au gouvernement), ou encore la visite à Damas (2009 – alors même que le régime de Bachar el-Assad était accusé d’avoir liquidé Rafic Hariri) jusqu’au compromis présidentiel » (2016 - qui a permis au fondateur du Courant patriotique libre, Michel Aoun, d’accéder à la tête de l’État).

M. Hariri s’est étendu sur les effets de ces compromis sur son parcours politique et sa personne : « J’ai perdu ma fortune personnelle, des amitiés étrangères (en allusion à l’Arabie saoudite), de nombreuses alliances nationales (en allusion notamment aux Forces libanaises) et beaucoup de camarades », a-t-il dit, un brin d’amertume dans la voix.

« Je suis cependant capable de les supporter. Ce que je ne supporte en revanche pas, c’est le fait qu’un certain nombre de Libanais qui sont la raison de mon implication dans la vie politique, afin que je sois à leur service, me considèrent comme étant l’un des pôles du pouvoir qui a causé l’effondrement du pays et qui se pose en obstacle devant tout renouvellement de la vie politique », a-t-il soutenu. en soulignant que c’est son « sens des responsabilités » qui l’avait poussé en novembre 2019 à « faire écho au soulèvement populaire, en présentant la démission »  de son gouvernement puis en 2020, après l’explosion du 4 août au port de Beyrouth « à essayer d’obtenir un changement au niveau de l’action politique, en essayant de former un gouvernement d’experts indépendants ».

Le facteur saoudien

Saad Hariri a cependant évité d’aborder dans son discours-bilan l’impact de sa brouille avec l’Arabie saoudite sur sa personne et sur son parti, sachant que sa descente en enfer s’est accélérée depuis que Riyad lui a tourné le dos au fur et à mesure qu’il se rapprochait du camp Hezbollah-CPL. Son rapprochement de cet axe qu’il justifiait par une volonté de tenir le Liban à l’abri de secousses qui pourraient s’avérer dramatiques, a ainsi eu un prix puisque, d’une part, il a perdu la couverture saoudienne dont il bénéficiait et qui favorisait une sorte d’équilibre, aujourd’hui totalement rompu, avec l’axe nourri par l’Iran, et d’autre part, sa stratégie s’est avérée inopportune avec l’état d’insécurité à tous les niveaux dans lequel le pays se trouve. Si le leader sunnite opère aujourd’hui un retrait de la vie politique, c’est essentiellement parce qu’il n’a pas réussi à obtenir le soutien de Riyad et des monarchies du Golfe à sa participation aux élections, répète-t-on depuis quelques jours dans divers milieux.

D’aucuns ont vu dans le discours de Saad Hariri une forme de mea culpa qui pourrait éventuellement donner lieu à une redistribution des cartes au plan local, notamment à l’heure où les développements régionaux s’accélèrent - les États-Unis viennent de réaffirmer qu’ils sont prêts à des négociations directes avec l’Iran pour sauver l’accord sur le nucléaire et les Houthis, soutenus par Téhéran, font monter la tension dans le Golfe - et où le leader sunnite semble regretter le prix qu’il a eu à payer pour des compromis qui, au final, ont servi à atteindre des objectifs différents de ceux qu’il escomptait.

Bien que connue depuis quelques semaines, selon les sources proches de la Maison du Centre, l’annonce faite lundi par Saad Hariri a eu l’effet d’un séisme sur la scène politique d’autant qu’elle impacte l’ensemble de la communauté sunnite, qui se retrouve aujourd’hui orpheline, et des formations politiques qui, traditionnellement scellaient des alliances électorales avec le Futur. Aucune des principales formations locales n’a voulu la commenter. Certaines n’ont pas attendu avant de convoquer des réunions d’évaluation. C’est que, à moins de quatre mois des législatives, le temps presse. Saad Hariri, lui, aurait déjà quitté Beyrouth en fin de journée.
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