Exécutif, Législatif, chef de l'armée… retour à la case départ
Retour, ou presque, à la case départ dans le dossier du commandement en chef de l'armée, l'Exécutif ayant décidé de plancher sur le dossier, alors que le Parlement s'apprêtait à prendre le relais. Un retournement de situation qui n'a pas manqué de surprendre et, surtout, de susciter des craintes.
Alors que le report du départ à la retraite du commandant de l’armée, Joseph Aoun, semblait chose acquise, un retournement de situation, à la dernière minute, réduit la certitude d’un vote, Place de l’Étoile, jeudi, en faveur d’une prorogation du mandat du général Aoun.
Cette prorogation, souhaitée par une majorité en raison des circonstances graves dans le pays, est de nouveau au cœur d’une polémique politique.
Selon une source des Forces libanaises (FL), interrogée par Ici Beyrouth, des nouvelles ont commencé à circuler mardi matin selon lesquelles le Premier ministre sortant allait convoquer une séance du Cabinet qui sera consacrée au report du départ à la retraite du commandant en chef de l’armée, Joseph Aoun, vendredi. Ce que le Sérail a confirmé dans la journée. «M. Mikati aurait pu procéder à cette convocation depuis des semaines, mais il a attendu que la question de la prorogation soit à l’ordre du jour de la séance législative (jeudi) pour le faire», selon la source.
Un «deal» préparé en amont
«Il y a clairement un ‘deal’ entre le président du Parlement, le président du Conseil, le Hezbollah et Gebran Bassil», a-t-on poursuivi de même source. En convoquant un Conseil des ministres pour procéder à la prolongation du mandat du commandant en chef de l’armée, M. Mikati «remplit ses responsabilités envers la communauté internationale».  Il aura «fait son devoir», mais en laissant le champ libre au chef du Courant patriotique libre (CPL), Gebran Bassil.
Ce dernier est le seul à s’opposer au maintien de Joseph Aoun à son poste, pour des considérations purement politiciennes inhérentes à ses propres intérêts. Il reste déterminé à présenter un recours en invalidation de toute décision qui serait prise dans ce sens par le Parlement ou en Conseil des ministres.
Si le chef du CPL présente un recours en invalidation auprès du Conseil d’État une fois que le gouvernement aura prolongé le mandat du général Aoun, ce sera alors «la faute de M. Bassil». «La séance du Conseil des ministres n’est pas un cadeau que M. Mikati fait à Gebran Bassil. Elle a été convoquée pour accommoder le Hezb», selon la source FL.
La formation pro-iranienne ne s’est, à aucun moment, engagée dans le débat autour du sort du commandement de l’armée avec le départ à la retraite du général Aoun, le 10 janvier 2024. Dans ses milieux, on se contente d’indiquer que le Hezb ne s’opposera pas à la prorogation du mandat de ce dernier, mais ne voterait pas pour son maintien à son poste, afin de ne pas heurter Gebran Bassil.
Aujourd’hui, la donne semble avoir cependant changé, avec les pressions auxquelles cette formation est soumise, dans le cadre des efforts et des contacts internationaux menés pour rétablir le calme à la frontière sud et empêcher que la guerre à Gaza ne s’étende au Liban. Cette dynamique internationale s’articule essentiellement autour de la mise en œuvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU.
Les Forces libanaises expliquent cela par le fait que l’application de la 1701 ne peut se faire sans l’armée libanaise. Mais si celle-ci se retrouve sans chef ou avec à sa tête un commandant qui peut se laisser guider par le Hezbollah, alors cette résolution ne sera jamais appliquée.
La résolution 1701 des Nations unies, votée en 2006 à la fin de la guerre avec Israël, appelle le gouvernement libanais à exercer sa souveraineté sur tout son territoire et prévoit le déploiement de l’armée, aux côtés de la Finul, au Liban-Sud, de sorte qu’aucune arme ne se trouve au sud du Litani, sans son consentement.
Pour mettre les choses en contexte, rappelons que pour retarder l’âge de la retraite du commandant en chef de l’armée pendant une séance du Cabinet, la signature du ministre sortant de la Défense (Maurice Slim) est nécessaire. Or, M. Slim, proche du CPL, a déjà annoncé qu’il n’était pas favorable à cette option. Donc si la décision est prise en Conseil des ministres, sans son accord, elle pourra plus tard être considérée comme «illégale» et contestée devant le Conseil d’État.
Recours en invalidation (ou pas)

On n’entend pas le même son de cloche du côté du Rassemblement démocratique. Le député Bilal Abdallah, membre de ce bloc parlementaire du PSP, conteste cette théorie: «Dans les deux cas, la prolongation peut faire l’objet d’un recours en invalidation, qu’elle soit votée en Conseil des ministres ou en séance législative», déclare-t-il à Ici Beyrouth.
«M. Mikati est le président (sortant) du Conseil des ministres. Il relève de ses prérogatives de convoquer une séance du Cabinet», poursuit M. Abdallah. Le bloc qui participera à la séance législative «comme il l’a toujours fait, préfère la formule qui prolonge les mandats de tous les chefs de service de sécurité et qui correspond à notre proposition de loi», ajoute-t-il.
Pour rappel, le bloc parlementaire de la Rencontre démocratique avait présenté, il y a quelques mois, un projet de loi qui prévoit de reporter de trois ans le départ à la retraite de tous les officiers de l’armée et des Forces de sécurité intérieure (FSI), quel que soit leur grade.
Le bloc, qui a tenu une réunion mardi sous la présidence de son chef, Teymour Joumblatt, s’est résolument prononcé en faveur du maintien du général Joseph Aoun à son poste. Il a aussi plaidé pour la nomination d’un chef d’état-major, afin que le Conseil militaire soit complété mais aussi «pour consolider l’unité de l’armée, la soutenir et assurer la pérennité de sa mission». Le bloc s’est élevé contre «les discours enragés la ciblant, surtout en ces circonstances compliquées sur le plan de la sécurité, marquées par la poursuite des agressions israéliennes contre le sud du Liban et les menaces d’un élargissement du conflit militaire» à Gaza.
Il faisait ainsi allusion aux campagnes de dénigrement menées sans relâche par Gebran Bassil contre le général Joseph Aoun.
Le chef du CPL s’est déchaîné encore une fois contre le général Aoun, tenant des propos extrêmement virulents et diffamatoires à son encontre lors d’une conférence de presse organisée mardi en fin d’après-midi. L'accusant d’actes illégaux et lui faisant un procès d'intention, il est allé jusqu'à affirmer que ce dernier applique de manière «partielle» la 1701. Bassil a ainsi lancé une pique à son allié circonstanciel le Hezbollah, en se demandant, sur un ton ironique, sur le point de savoir comment ce dernier réagira aux tentatives de prolonger le mandat du général Aoun.
Il a également pris à partie les FL, ce qui lui a valu une réponse cinglante du député Pierre Bou Assi. «Quand est-ce que Gebran Bassil pourra comprendre que les forces régulières sont le souci premier du commandant de l’armée? Son obligation de loyauté réside dans le respect de son serment plutôt que dans une allégeance envers la personne qui l'a désigné (en allusion au beau-père de M. Bassil, l’ancien président Michel Aoun). Si le général Joseph Aoun contrevient aux lois, comme le prétend Bassil, pourquoi n’a-t-il pas été jugé? Gebran, c’est raté», a-t-il écrit sur son compte X.
Bilal Abdallah a donné une autre explication à la diatribe du chef du CPL contre le général Aoun. Pour lui, le problème qui se pose est d’ordre strictement politique puisque le général Aoun est un candidat potentiel à la présidence. «S’il ne l’était pas, la polémique n’aurait pas raison d’être», commente-t-il.
Dénouement «à la libanaise»
Du côté de Aïn el-Tiné, on attend de voir ce que le gouvernement va décider. Celui-ci tiendra une réunion vendredi, à laquelle Maurice Slim va participer. L’affaire du commandement de l’armée n’est pas officiellement à l’ordre du jour de la séance, mais il semble que le ministre sortant de la Défense compte proposer plusieurs options de règlement au gouvernement. Celles-ci ont été évoquées par Gebran Bassil dans sa conférence de presse: la désignation de l’officier le plus haut gradé – un proche du CPL, ce que le gouvernement n’acceptera pas; la désignation d’un officier par intérim; ou la nomination d’un nouveau commandant – une option qui ne trouve pas de soutien, même au sein du CPL.
Si le gouvernement ne prend pas de décision, vendredi M. Berry prolongera la réunion législative jusqu’à lundi.
Selon la source FL interrogée par Ici Beyrouth, il est important de faire un matraquage afin que la séance de l’Exécutif n’ait pas lieu et que la prorogation se fasse par l’intermédiaire du Parlement.
Quoi qu’il en soit, les blocs et députés de l’opposition prévoient de tenir mercredi des réunions de coordination.
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