La Banque du Liban (BDL) a annoncé jeudi, dans un communiqué, la suspension des opérations de seigneuriage et l’amorce d’un travail commun avec le Fonds monétaire international (FMI) sur sa méthodologie de l’évaluation des sauvegardes (Safeguards assessment).
Priée par Ici Beyrouth de commenter le communiqué de la Banque du Liban (BDL), une source de la banque centrale a souligné d’une manière laconique «qu’il ne faudrait pas se perdre dans les supputations et les analyses, qu’il s’agit simplement d’une autre méthodologie de présentation du bilan de la BDL, et que rien n’a changé dans le fond». En revanche, les milieux financiers et économiques contactés ont considéré qu’il faudrait y voir un retour à l'amère réalité, celle d’une reconnaissance des pertes et d’une incapacité du Trésor, pour le moment, de les couvrir entièrement ou en partie, conformément à l’article 113 du Code de la monnaie et du crédit (CMC).
Le communiqué de la BDL
Que dit exactement le communiqué de jeudi de la BDL?
«Étant donné que la situation financière générale et la situation du Trésor ne permettent pas à l’heure actuelle de couvrir les pertes accumulées de la Banque du Liban sans le faire dans le cadre d’un plan général de réforme financière incluant les dépôts dans les banques et la situation des banques, et afin de rechercher la transparence dans la présentation des chiffres et la clarté dans les rapports financiers publiés, la déclaration de synthèse au 31/12/2023, publiée jeudi par la Banque centrale du Liban, montre la suspension du principe de seigneuriage. Cela pour clarifier toutes les charges différées dans le cadre d’un nouveau poste distinct, appelé «opérations d’open market différées», qui rend la lecture des pertes réalisées et reportées cohérente avec les critères et coutumes internationaux».
Par ailleurs, la BDL a ajouté que: «sur la base du principe de conformité aux normes comptables internationales, aux coutumes et aux meilleures pratiques, y compris le bulletin n°68 du 07/02/2023, publié par la Banque des règlements internationaux (BRI), qui indique que les pertes négatives et les fonds privés des banques centrales peuvent être enregistrés comme pertes réalisées et non réalisées durant l’année en cours et les années suivantes, à l’instar des normes récemment suivies par de nombreuses banques centrales dans le monde».
Elle a rappelé également les dispositions de l’article 113 du Code de la monnaie et du crédit qui stipulent que si le résultat d’une année est un déficit, la perte sera couverte par la réserve générale et, en l’absence ou l’insuffisance d’une telle réserve, la perte sera couverte par un paiement parallèle du Trésor.
En conclusion, la BDL a annoncé qu’elle a commencé à travailler avec le FMI sur le projet d’évaluation des sauvegardes, qui comprend dans l’un de ses axes une révision de la politique comptable, des rapports et des informations financières pour mettre l’accent sur l’adoption des meilleurs principes de gouvernance et de transparence.
Plus de pertes cachées
Selon Joseph Gemayel, professeur et doyen honoraire de la faculté des sciences économiques de l’USJ, la BDL a reconnu les pertes dans son bilan en créant un nouveau poste dans ses comptes intitulé opérations d’Open Market différées (voir tableau ci-dessus). «Il y a un transfert du poste “autres actifs” – qui figurait dans les bilans précédents de la BDL – vers ce poste qui vient d’être créé pour montrer que ce sont des pertes différées qui n’ont pas été réalisées», a-t-il souligné, ajoutant que la banque centrale a expliqué pourquoi elle a recouru à cette écriture comptable, plus en conformité avec les critères internationaux, d’une part, et en application de l’article 113 du Code de la monnaie et du crédit, d’autre part. Dans ce contexte, la BDL a clairement expliqué que l’État n’est pas en mesure, pour le moment, de couvrir entièrement ou partiellement le déficit de la banque centrale, et qu’il s’agit là de pertes différées.
Pour Mahmoud Jebaee, expert économique, la nouvelle écriture adoptée par la BDL barre la voie à toutes les parties d’évoquer «des pertes cachées» ou «un bilan exagéré» ou «un bilan surévalué», faisant référence au rapport d’audit d’Alvarez & Marsal. «Les pertes figuraient bien dans les bilans de la BDL précédents sous le poste des actifs, mais il est clair à présent que ces actifs ne sont pas disponibles», a-t-il relevé.
Seigneuriage
Quant à la suspension des opérations de seigneuriage, Joseph Gemayel y a vu un souhait de la BDL de ne pas combler son déficit par ce procédé. Pour rappel, celui-ci consiste à permettre aux banques centrales de dégager des gains grâce à la différence, payée par les banques commerciales, entre le coût d’impression de la monnaie nationale (en l’occurrence, la livre libanaise) et sa valeur nominale. Pour ce faire, les banques commerciales devraient emprunter de l’argent à la banque des banques pour pouvoir accorder des crédits. «Ce qui n’est pas le cas, pour l’instant», a relevé Jassem Ajjaka, économiste et professeur à l’Université libanaise.
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