Dans le paysage littéraire contemporain, David Foenkinos se distingue par une plume à la fois délicate et percutante. La vie heureuse, son dernier roman, s’inscrit dans cette veine avec une acuité remarquable. Dans cette œuvre, Foenkinos explore les méandres de l’existence humaine, se faufilant avec une agilité de conteur entre les fils ténus de la vie quotidienne et les grands questionnements existentiels.
Dès les premières pages, le dernier roman de l’écrivain à succès, David Foenkinos, déstabilise le lecteur. En choisissant un personnage principal anticonformiste, loin des standards du héros classique, l’auteur instille le trouble. Là où le public s’attendait à une intrigue épique, il découvre une histoire a priori anodine. Derrière les péripéties d’un quadragénaire quelconque se cache pourtant une réflexion profonde. Avec malice, Foenkinos retourne les codes du roman et les attentes du lectorat. Il invite à la réflexion en partant d’un terrain inattendu. D’emblée, le romancier signifie son ambition: bousculer, interroger, déranger.
Un personnage principal atypique
Éric Kherson, quadragénaire éteint, est un antihéros moderne. Rien dans son parcours ne le prédestinait à sortir de l’ordinaire. Cadre lassé chez Décathlon, sa vie professionnelle est une impasse, à l’image de son existence personnelle morne et insipide. Las de son train-train quotidien, il sombre dans une routine étriquée qui l’asphyxie à petit feu. Les jours suivent les jours, invariablement semblables. Lorsqu’une proposition inattendue d’ancienne camarade le propulse sous les feux de la rampe, Éric n’hésite pas longtemps. Il saute sur l’occasion inespérée pour amorcer un virage à 180 degrés. Le lecteur, comme le personnage, sent confusément que ce coup de théâtre marque un nouveau départ.
«Depuis des années, Éric ne cessait de courir, enjambant les jours. Vers la fin de sa période Décathlon, il lui était arrivé de ressentir comme un besoin de lenteur. Il avait alors éprouvé une lassitude que son entourage avait associée à un burn-out. Il avait regardé droit dans les yeux la mélancolie, et s’était laissé happer par une force remettant en cause l’intérêt de la moindre action. Quelque chose de cet ordre-là revenait maintenant, et il dut admettre que son malaise de la veille ne relevait sans doute pas de la faiblesse passagère. Il fallait être à l’écoute des manifestations du corps.»
Le voyage en Corée du Sud aux côtés de sa nouvelle supérieure marque un tournant décisif pour Éric. Confronté à l’illusion de sa propre mort lors d’une troublante mise en scène, il prend soudain conscience de l’inanité de son passé terne. Cet électrochoc existentiel agit comme un déclic. Il réalise brutalement le gâchis de cette première partie de son existence, jugée désormais vaine et dénuée de sens. Bouleversé par cette expérience, il décide de rompre radicalement avec sa vie antérieure étriquée. Quitte à tout plaquer pour se lancer à corps perdu dans l’inconnu.
Narration ambigüe entre rêve et réalité
Avec virtuosité, David Foenkinos brouille les frontières entre fiction et réalité. Le lecteur, comme le personnage, perd peu à peu ses repères. Difficile de déterminer ce qui relève encore de la réalité ou de ce qui n’est que le fruit de l’imagination. Cette confusion volontairement entretenue introduit le doute. Peut-on encore se fier à ce que l’on croit tangible quand les frontières avec l’irréel s’estompent? «Certaines vies semblent ainsi être écrites contre l’avis de leur auteur», écrit Foenkinos. Quel libre arbitre avons-nous vraiment sur nos vies qui semblent écrites d’avance? Nos trajectoires sont-elles inéluctables ou peut-on se réinventer en cours de route? Jusqu’où la part d’irrationnel influence-t-elle nos choix? Sans jamais verser dans le pathos, Foenkinos aborde avec dérision des thématiques profondes.
Malgré ces questionnements universels dignes de la philosophie antique, La vie heureuse reste avant tout une fiction. Le roman noir nourri de rebondissements maintient en haleine, servi par une écriture alerte. Une galerie de personnages hauts en couleur entoure le protagoniste effacé. On retiendra notamment le dynamique tandem formé par Éric et Amélie, le cœur battant du roman. Leur alliance improbable fonctionne à merveille et injecte de l’imprévisibilité dans l’intrigue. La quadragénaire extravertie au bord du burn-out contraste avec son collègue effacé et indécis. Pourtant, derrière leurs différences, un même désarroi existentiel les rapproche. Sous ses dehors dynamiques et autoritaires, Amélie dissimule un profond mal-être. Son hyperactivité permanente masque un vide affectif béant. Au fil de leurs péripéties rocambolesques, un lien singulier se noue. Leur relation faite d’humour cinglant et de non-dits offre des scènes savoureuses.
Avec La vie heureuse, David Foenkinos confirme son talent pour mêler avec brio tragédie et comédie. Grâce à un savant dosage, il parvient à aborder des thèmes graves sur un ton enlevé. Mené tambour battant comme un roman noir, le récit bascule régulièrement dans l’absurde et le surréalisme.
C’est dans cette hybridation des genres et cette variation constante des tons que réside la force de l’écrivain. Il capture son lecteur par un récit haletant, faisant miroiter l’ombre et la lumière comme deux faces d’une même pièce. Fidèle à son style inimitable, David Foenkinos signe une nouvelle réussite.
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