La collection Morosov: portrait de deux collectionneurs
Plus de 200 chefs-d’œuvre de la collection d’art moderne français et russe des frères moscovites Mikhaïl Abramovitch Morozov (1870-1903) et Ivan Abramovitch Morozov (1871-1921) sont présentés jusqu’au 22 février 2022 au public français à la fondation Louis Vuitton, et pour la première fois hors de Russie.

Créée en 2006 par le groupe français LVMH, la fondation Louis Vuitton a pour objectif de pérenniser les actions de mécénat engagées depuis 1990 par le groupe. Actionnaire majoritaire et président-directeur général du groupe, l'homme d'affaires Bernard Arnault rencontre Frank Gehry, considéré au début du XXIe siècle comme un des plus importants architectes vivants. Il lui confie le projet de conception et de création d'un édifice pour la fondation Louis-Vuitton, au sud du Jardin d'acclimatation, à Paris; nous sommes en 2001. Dans la mouvance du déconstructivisme et du poststructuralisme, les constructions de Frank Gehry sont généralement remarquées pour leurs formes de proportions vastes et mouvantes comme celles du musée Guggenheim de Bilbao ou du Walt Disney Concert Hall au centre-ville de Los Angeles pour ne citer que ceux-là. Il visite le jardin et imagine alors une architecture de verre qui prend l'allure d'un voilier aux voiles gonflées par le vent. Le bâtiment, qui représente l’accomplissement de près de vingt-cinq ans d’engagement pour l’art, la culture et le patrimoine, ouvre ses portes le 24 octobre 2014.

Après l’exposition de la collection Chtchoukine à la fondation Louis Vuitton en 2016-2017, la collection Morozov constitue le second volet de ce travail consacré aux grands collectionneurs russes du début du XXe siècle, en partenariat avec le musée d’État de l’Ermitage, le musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine et la galerie nationale Trétiakov. La Collection Morozov. Icônes de l'art moderne rassemble donc un ensemble d’œuvres des avant-gardes françaises et russes: Renoir, Sisley, Cézanne, Manet, Monet, Pissarro, Lautrec, Gauguin, Van Gogh, Bonnard, Denis, Maillol, Rodin, Matisse, Marquet, Vlaminck, Derain et Picasso aux côtés de Répine, Korovine, Golovine, Sérov, Larionov, Gontcharova, Malévitch, Machkov, Kontchalovski, Outkine, Sarian ou Konenkov. Il aurait fallu cinq ans de discussions diplomatiques entre Vladimir Poutine, Emmanuel Macron et le président du groupe LVMH pour faire venir ces chefs-d’œuvre qui se déploient sur trois étages de la prestigieuse fondation et 4.000 m2 d’espace.

Henri Matisse (1869-1954), La Bouteille de Schiedam, 1896, huile sur toile, Coll. Ivan Morosov, Musée d’État des beaux-arts Pouchkine, Moscou.


À la fin du XIXe siècle, la vie culturelle russe s’ouvre à la modernité et certains bourgeois commencent à collectionner des œuvres d’art. C’est dans ce contexte que Mikhaïl débute sa collection dans les années 1890 avec l’aide de conseillers comme les peintres Konstantine Korovine ou Valentin Sérov. Les deux frères, hommes d’affaires moscovites passionnés d’art moderne, se rendaient régulièrement à Paris pour se fournir en tableaux auprès des plus grands collectionneurs de l’époque comme Ambroise Vollard ou Paul Durand-Ruel. La collection des deux frères, confisquée et nationalisée en octobre 1918 à la suite de la Révolution russe, fut ensuite envoyée dans l'Oural au déclenchement de la guerre avec l'Allemagne en 1941 et y est restée des années, à -40°. Elle fut ensuite distribuée, après la Seconde Guerre mondiale, entre le Musée de l'Ermitage (à Saint-Pétersbourg), le Musée des Beaux-Arts Pouchkine et la galerie Tretiakov (à Moscou).

Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875), L’Étang à la Ville-d’Avray, 1871-1874, huile sur toile, Coll. Mikhail Morosov, Musée d’État des beaux-arts Pouchkine, Moscou.

Conçue par Anne Baldassari, commissaire de l’exposition, La Collection Morosov est avant tout une exposition patrimoniale présentant des œuvres remarquables qu’on n’aura probablement plus jamais l’occasion d’admirer hors du territoire russe, tel un portrait de Jeanne Samary par Renoir présenté lors de la troisième exposition des impressionnistes en 1877, ou une étonnante scène de prison par Van Gogh, un discret paysage de Corot, ou encore les magnifiques bronzes de Maillol qui ornent, en même temps que les sept panneaux décoratifs de Maurice Denis illustrant l’histoire d’Amour et de Psyché, le salon de musique reconstitué dans la dernière salle de l’exposition, sans parler des pièces maîtresses de l’avant-garde russe. Toutes rendues visibles dans le cadre de cette exposition qui est aussi conçue comme un portrait de collectionneurs, un hommage aux deux frères, une exposition sur les Morosov eux-mêmes. Dans une scénographie fluide qui fait dialoguer l’artiste et le collectionneur, La Collection Morosov est aussi entièrement imaginée comme un dialogue entre artistes français et artistes russes et des scènes artistiques toutes les deux à l’avant-garde de la modernité.

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