Les opportunités en faveur de la conclusion d’un nouvel accord d’Abraham entre l’Arabie saoudite et Israël semblent aujourd’hui ouvertes. Même si le royaume wahhabite entretient, depuis quelques années, des relations discrètes avec Tel Aviv, notamment dans le domaine des renseignements, il n’en demeure pas moins que l’officialisation de leur rapprochement constitue une nécessité pour les deux pays. Pour ce faire, des conditions s’imposent à la lumière de la guerre qui oppose le Hamas à Israël dans la bande de Gaza.
Après les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc et le Soudan, c’était au tour de l’Arabie saoudite de s’engager dans une normalisation des relations avec Israël. Normalisation qui s'inscrit dans le cadre des accords d’Abraham, dont la signature (la première était en septembre 2020) a marqué le coup d’envoi d’un nouveau paysage géopolitique dans la région.
Or, le 7 octobre 2023 (date de l’offensive menée par le Hamas contre Tel Aviv), ce processus a été suspendu. Une semaine après le début du conflit, l’Arabie saoudite a annoncé sa décision d'«arrêter les discussions, jusqu’à nouvel ordre» avec Tel Aviv. Environ trois mois plus tard, Riyad est revenu à la charge, en imposant – implicitement – ses conditions. Quand bien même ses prédécesseurs ont conclu les accords d’Abraham avec le gouvernement de Benjamin Netnayahou, sous l’égide des États-Unis, la guerre entre le Hamas et Israël a provoqué un changement de la donne. Il serait, selon les observateurs, inconcevable pour l’Arabie de se lancer dans cette voie avec le Premier ministre israélien actuel. D’autant plus que les États signataires des accords d’Abraham – qui, rappelons-le, ne font pas mention de la question palestinienne – sont soumis, depuis le 7 octobre dernier, à la pression de leurs populations. En effet, celles-ci ont affiché, dès les premiers jours du conflit, dans le cadre de manifestations, leur soutien aux civils palestiniens.
Interrogé par Ici Beyrouth, Frédéric Encel, géopolitologue et consultant spécialiste du Moyen-Orient, explique: «Cette guerre permettra de débloquer la situation. Une fois deux conditions réunies, à savoir l’arrêt des combats et le changement de gouvernement israélien, l’Arabie reprendra le processus de normalisation et agira efficacement en faveur de cette perspective, et ce, dans les prochains mois».
Pourquoi? D’abord, et toujours selon le professeur Encel, parce que «le prince héritier saoudien, Mohammad ben Salmane, œuvre à atteindre pleinement son objectif d’intégration régionale en mettant en place un hub économique, technologique, touristique, énergétique, etc.». Ensuite, parce que «sa stratégie à long terme consiste à assurer une pacification relative de l’ensemble de la région». Cela signifie «empêcher le Hamas de continuer à nuire et attendre la formation d’un gouvernement israélien plus rationnel et moins extrémiste», comme le souligne le professeur Encel.
Fin de la guerre
Aux yeux des Saoudiens, un cessez-le-feu définitif constitue une condition première pour relancer le processus de normalisation des relations avec Israël. La question qui se pose est celle de savoir avec qui les négociations seraient engagées, aussi bien côté palestinien que côté israélien, pour aboutir à la fin de la guerre. Selon l’ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU, le général Dominique Trinquand, «étant donné le caractère ‘non légitime’ du Hamas d’une part et de l’Autorité palestinienne d’autre part – les élections législatives palestiniennes n’ayant pas eu lieu depuis 2006 – l’on se demande si le Hamas n’a pas intérêt à changer de discours, lui qui rejette toute option autre que la libération pleine et entière de la Palestine, du fleuve à la mer». Ce slogan est régulièrement répété depuis le 7 octobre, en référence au territoire situé entre le Jourdain et la Méditerranée.
D’après le général Trinquand, ce sont «les responsables politiques du Hamas, présents notamment au Qatar, qui seraient plus à même de reconsidérer ce slogan polémique». Pour le professeur Encel, l’après Gaza pourrait être négocié avec l’une des deux personnalités suivantes: Mohammad Dahlane, ex-chef de la sécurité à Gaza, ou Moustapha Barghouti, ancien candidat à la présidence palestinienne.
Chute de Netanyahou
L’avènement d’une autre coalition israélienne favorable à la perspective des deux États ou, du moins, ne la rejetant pas, constituerait la seconde condition pour laquelle le royaume wahhabite envisagerait une normalisation des relations avec Israël. Or, le départ de Netanyahou semble difficile à concevoir, du moins pour le moment, surtout que le «Premier ministre israélien craint de comparaître devant un tribunal, une fois déchu», comme le signale le général Trinquand. L’ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU considère cependant que la «sérieuse déconnexion entre M. Netanyahou, d’une part, et les États-Unis et l’Europe, d’autre part, ainsi que la pression extérieure à laquelle s’ajoute celle intérieure, pourraient conduire à un changement dans le cabinet israélien». Comment? D’après le professeur Encel, cela pourrait se concrétiser de l’une des deux manières suivantes: soit à travers la mise en place d’une commission d’enquête qui doit être acceptée par le gouvernement israélien, ce qui est peu plausible; soit qu’au moins quatre députés de l’actuelle coalition au pouvoir fassent défection lors d’un vote de confiance.
Les rapports tacites entre l’Arabie et Israël ne pouvant perdurer, il s’avère crucial pour les deux pays d’officialiser leurs relations. Par relations tacites, nous entendons surtout l’échange de renseignements, Tel Aviv étant une source incontournable de renseignements pour les Saoudiens, face à l’Iran. D’autres rapports sont aussi à soulever, notamment le rôle de «médiateur» qu’a joué Israël, ces dernières années, entre l’Arabie et les États-Unis.
Si la création d’un État palestinien n’est pas actuellement à l’ordre du jour, le fait de reconnaître le principe d’une entité palestinienne pourrait faire avancer le processus de normalisation.
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