La galerie Saleh Barakat accueille en ce moment une exposition remarquable et profondément significative intitulée The Turn (La rotation), une œuvre solo du jeune et talentueux artiste syrien Anas Albraehe, qui réside au Liban. Albraehe a déjà à son actif un parcours d’expositions solos et collectives organisées au Liban, en Jordanie, aux États-Unis et ailleurs.
À la recherche de l’authenticité et de la vérité de l’être humain, l’artiste s’attarde sur son état de sommeil. Il pense que dans cet univers d’inconscience, l’individu retourne à la simplicité de sa nature, indépendamment de son niveau social, de ses appartenances religieuses ou politiques, et de ses qualités ou défauts. Dans son sommeil, il redevient pur et vrai.
Dans cet état, chaque individu n’a rien qui le différencie des autres. Chacun de nous doit s’endormir à un moment donné. Nous avons tous besoin de sommeil, et c’est dans cet état que l’humain retourne vers la source de son être et retrouve la similarité avec son espèce.
C’est donc dans un monde de couleurs chaudes et vives qu'Anas Albraehe peint ses personnages endormis et les laisse s’évader dans leurs rêves – des rêves peuplés de paysages et de beauté naturelle et sereine.
Une quarantaine de toiles de grands formats, peintes à l’huile, représentent des personnages endormis dans un décor naturel. Il y a le ciel, des montagnes, des arbres, la mer, des nuages et l’horizon en arrière-plan. Ces paysages naturels seraient par ailleurs des toiles qui prennent vie indépendamment des personnes qui y dorment.
L’artiste explique d’ailleurs:
«Terre: un lieu d’habitation.
Il est nécessaire de comprendre mon travail de telle manière que si je devais retirer les corps en rotation de mes peintures, il me resterait une image d’un paysage pittoresque. Si, en revanche, je devais faire l’inverse, si je retirais le paysage de mes peintures, il ne me resterait qu’une impression d’une tache noire sur ma toile.»
La tache noire serait la masse de cheveux sur la tête du personnage endormi. On ne comprendrait sa posture que lorsque le paysage est présent. L’inverse serait incompréhensible et inutile. D’où la force de la nature qui s’enlise dans celle humaine pour donner corps à un être humain.
Le personnage change de position et tourne (d’où le mouvement de «rotation», titre de l’exposition) vers la nature. Lorsque l’on voit son visage sur la toile, l’observateur ne porte plus son attention que sur ce visage et pourrait faire abstraction du paysage.
Le contraire serait donc complètement différent. Lorsque le personnage endormi a la tête tournée et que son visage demeure hors de vue, le paysage naturel occupe alors pleinement le devant de la scène dans la composition, se manifestant comme l'élément central et indissociable de la toile. Le paysage naturel envahit alors le champ visuel de l’observateur.
Lors du parcours de cette exposition dans le bel espace de la galerie Saleh Barakat, on découvre un lit posé au centre des toiles. On a envie de s’y coucher et on est invité à écouter le poème de l’artiste composé en arabe.
La maison devient montagne, le rêve est fleuve et la vague agitée est silence.
Le visage est pierre, et le corps est plaine.
La couleur est pays et le pays devient couverture.
La couverture est déserte et la carte du pays devient nuage. Toutes les images, les souvenirs, les moments heureux ou tristes se sont mélangés dans mon esprit.
J’ai alors peint mon corps noyé dans mon for intérieur.
J’ai voulu que l’humain trouve la justice.
J’ai voulu qu’il ressente sa propre âme. Je l’ai voulu vrai.
Je l’ai alors trouvé endormi.
Dors pour que tu deviennes plus sincère. Dors pour que je voie en toi la volonté de Dieu, la vérité et la justice.
Dors pour que tu sois terre dans l’âme du ciel.
Dors pour que tu deviennes une toile qui raconte l’histoire de celui qui a recherché la vérité mais n’a trouvé que le sommeil.
Au centre de ce lit qui devient centre de l’exposition et centre du monde des rêves, l’artiste nous offre des couvertures colorées et des écouteurs qui nous permettent d’être emportés par son poème et de s’endormir au creux de ses toiles.
Toutes les peintures sont composées de paysages où les personnages dorment dans des lits faits de montagnes, de terre, de nuages. Les touches de pinceau se mélangent avec le silence du sommeil. Elles glissent sur les toiles avec assurance et force.
Les œuvres de dimensions moyennes et plus grandes s’intitulent à l’unanimité Rêve.
Une seule toile, de taille monumentale, placée en face du lit, s’intitule Cauchemar. Il s’agit, en effet, d’une guerre qui a lieu au milieu du paysage où dort le personnage central. Bien que ce soit un cauchemar, les couleurs sont éclatantes et la bataille semble se conclure par un cessez-le-feu.
Il y a de la poésie et du rêve, il y a de la lumière et de la couleur, de l’évasion et du drame. Cette exposition est un moment de retour à soi, un subtil état qui permet aux visiteurs de se reconnecter avec l’essence de leur humanité.
Ce projet, initié par l’artiste il y a environ quatre ou cinq ans, se poursuit jusqu’au 17 février à la galerie Saleh Barakat.
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