Les vaccins à ARN messager semblent nouveaux. Et pourtant cette biotechnologie intéresse les chercheurs depuis des décennies. Avec la propagation pandémique du coronavirus depuis fin 2019, le développement rapide de cette nouvelle génération de vaccins a inauguré l’ère de la vaccination à ARNm. Du Covid-19 aux cancers, celle-ci frôle de nombreux domaines de la médecine.
Un an après le début des campagnes de vaccination contre le Covid-19, le cap des dix milliards de doses injectées dans le monde a été franchi le 27 janvier. Si les experts enjoignent inlassablement la population à se faire vacciner contre le coronavirus, les vaccins en général, et ceux à base d’ARN messager en particulier, continuent de susciter la controverse chez les détracteurs de cette biotechnologie. Tantôt fondés, tantôt aberrants, leurs arguments et questionnements pullulent sur les réseaux sociaux. Selon certains d’entre eux, il serait absurde de faire confiance à un vaccin développé en moins d’un an. Et pourtant, cette biotechnologie n’est pas nouvelle comme on a tendance à le croire.
Tout commence en 1961, lorsque deux biologistes français de l’Institut Pasteur, François Jacob (1920-2013) et Jacques Monod (1910-1976), découvrent le chaînon manquant de la biologie moléculaire: l’acide ribonucléique messager (ARNm). Intermédiaire entre l’ADN et les protéines, ce messager génétique est responsable de la transmission de l’information codée dans le génome (c’est-à-dire l’ensemble de l’ADN) du noyau au cytoplasme (liquide entourant le noyau) de la cellule où se fait la synthèse des protéines. Ce processus permet d’assurer le maintien de la structure et des fonctions cellulaires et ainsi de répondre aux besoins de l’organisme.
À la fin de 1987, le biologiste moléculaire américain Robert Malone réalise une expérience "historique", selon un article publié en décembre dernier dans la revue scientifique Nature: la transfection de l’ARN. Ce processus vise à introduire du matériel génétique exogène sous forme d’ARN dans des cellules cultivées in vitro. Ainsi, il mélange des brins d’ARNm avec des gouttelettes de graisse et fait baigner des cellules humaines dans ce "ragoût moléculaire". Il remarque alors que ces cellules commencent à produire les protéines codées par le messager. Si les cellules sont capables de créer des protéines à partir de l’ARNm qui leur est délivré, écrit Malone le 11 janvier 1988, il serait peut-être possible de "développer des médicaments à partir de l’ARN". Ses expériences menées sur des embryons de grenouilles ont par la suite constitué la première preuve de concept de l’efficacité de cette biotechnologie dans un organisme vivant.
Malgré ces résultats préliminaires encourageants, l’objectif était encore loin d’être acquis. En effet, pendant de nombreuses années, l’ARNm a été considéré comme une molécule "très instable et coûteuse" pour être utilisée dans la conception de nouveaux médicaments ou vaccins. Des dizaines de laboratoires ont alors tenté de décrypter les secrets de ce messager moléculaire dans le but de mettre au point la bonne formule de graisses et d’acides nucléiques, les éléments constitutifs des vaccins à ARNm. Les travaux de recherche sur de nouveaux systèmes d’encapsulation et sur la transformation de certains composants de l’ARNm, nécessaire pour contrôler sa dégradation, menés par Katalin Karikó et Drew Weissman, deux chercheurs de l’Université de Pennsylvanie aux États-Unis, ont permis de surmonter les obstacles qui entravaient la conception de cette nouvelle génération de vaccins. Cette réussite a ainsi ouvert grand la porte à une panoplie d’essais précliniques testant des vaccins prophylactiques à ARNm contre la grippe, le VIH, Zika, Ebola et le chikungunya, mais aussi des vaccins thérapeutiques en oncologie.
Bien que le SARS-CoV-2 ne soit pas le premier virus pour lequel cette innovation biotechnologique était envisagée, le contexte pandémique du Covid-19 a incité les sociétés de biotechnologies et les firmes pharmaceutiques, avec l’aide de gouvernements et d’organisations philanthropiques, à investir des milliards de dollars dans des recherches visant à développer le plus rapidement possible un vaccin contre ce virus. Le choix est aussitôt tombé sur la technologie ARNm, plutôt que sur les méthodes conventionnelles.
Si les vaccins vivants atténués conventionnels ait réussi à réduire le fardeau d’un certain nombre de maladies infectieuses telles que la variole, la poliomyélite, la rougeole, la rubéole et les oreillons, leur conception nécessite toutefois des années de recherche afin de collecter et d’atténuer le virus in vitro. Elle peut également être entravée par plusieurs facteurs, notamment la difficulté à cultiver l’agent pathogène dans des installations spécialisées, et la mise en place de mesures efficaces de biosécurité. De plus, des purifications et une série de tests complexes sont indispensables pour l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché. De nombreux obstacles se posent aussi avec les vaccins inactivés, également conventionnels, formés soit de l’organisme pathogène entier inactivé (comme certains vaccins contre l’hépatite A et la grippe), soit de protéines purifiées dérivées de cet organisme (comme le vaccin antipneumococcique). Ces vaccins sont souvent associés à des adjuvants pour favoriser leur immunogénicité (capacité de déclencher une réponse immunitaire).
L’adoption de nouvelles biotechnologies pour la fabrication des vaccins ne remet nullement en question l’efficacité des approches conventionnelles qui ont prouvé à travers l’histoire leur efficacité. Cependant, face à une grave crise pandémique à diffusion accélérée, la nécessité d’un développement dans des délais extrêmement courts et à grande échelle d’un vaccin efficace imposait aux chercheurs le recours aux technologies innovantes. "La rapidité de la conception et de la synthèse des séquences d’ARNm codant pour une protéine virale cible (la protéine Spike pour le coronavirus, identifiée au tout début de la pandémie) accélèrent le processus de développement de cette nouvelle génération de vaccin", explique Amine Abina, médecin-chercheur et expert en vaccinologie. Il souligne que ces vaccins ne nécessitent pas une optimisation d’adjuvants comme c’est le cas de nombreux autres types de vaccins. "Les vaccins à ARN messager ont l’avantage d’activer eux-mêmes les voies de certains récepteurs exprimés sur les cellules indispensables à l’initiation d’une réponse immunitaire vaccinale", affirme le Dr Abina.
De plus, le besoin réduit de tests réglementaires peut accélérer davantage le processus d’approbation de ces vaccins. En outre, en cas de survenue d’un nouveau variant du virus, "la version optimisée du vaccin à ARNm ne différera que par l’insertion de la séquence d’acide nucléique codant la nouvelle protéine cible, tandis que sa formulation restera inchangée", précise le médecin. À titre d’exemple, la société de biotechnologies américaine Moderna avait marqué l’actualité en initiant des essais cliniques sur un prototype de vaccin à ARNm contre le Covid-19, seulement 66 jours après le séquençage du génome viral du SARS-CoV2. En fait, des travaux antérieurs sur un vaccin à ARNm contre le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV), qui avait causé une épidémie en 2012, ainsi que de nombreux travaux de vaccination thérapeutique en oncologie, avaient pavé la voie à la mise en place des vaccins à ARNm contre le Covid-19. "La rapidité et la simplicité des nouvelles stratégies vaccinales ont donc été des atouts indéniables dans la lutte contre la diffusion et la létalité du Covid-19", se félicite le Dr Abina.
La pandémie a été un tournant historique dans le développement à large échelle de nouveaux outils vaccinaux. De fait, plus de 100 essais cliniques testant des vaccins thérapeutiques à ARNm pour le traitement d’un large éventail de cancers (notamment le glioblastome, le mélanome et les cancers du sein, des ovaires, de la prostate, du côlon, et du rein) sont en cours. Certains de ces essais sont à une phase avancée. Par ailleurs, plusieurs essais précliniques ont démontré l’efficacité de nombreux vaccins prophylactiques à ARNm dans la protection contre une grande variété d’agents infectieux (comme le virus Zika, les virus de la rage, le virus de la grippe, le virus respiratoire syncitiale, le cytomégalovirus, le virus Ebola et certaines espèces de streptocoques). Ces résultats encourageants ont permis à certains vaccins candidats de passer en phase clinique, dont le nouveau coronavirus. Finalement, des études précliniques ont démontré que certains vaccins à ARNm codant pour l’allergène de pollen de graminées sont capables de prévenir certains types de réactions allergiques.
Pour le Dr Abina, la technologie ARNm a bouleversé les méthodes traditionnelles de la vaccinologie. "La grande révolution indéniable de cette biotechnologie est dans le domaine de la vaccination antivirale, insiste-t-il. Elle a permis de passer des stratégies historiques développées depuis l’époque de Louis Pasteur à de nouvelles approches plus précises et rapides." Selon le spécialiste, il est nécessaire d’optimiser ces stratégies de vaccination par ARNm pour les adapter aux autres domaines et particulièrement en oncologie. "Il est beaucoup plus difficile d’agir sur les cellules tumorales, car d’une part elles accumulent des mutations ce qui fait que le choix de la cible n’est pas toujours évident, et d’autre part le microenvironnement tumoral est un obstacle important qui entrave la réussite de cette stratégie. Je ne m’attends donc pas dans un futur proche à des résultats spectaculaires des vaccins à ARN messager dans les traitements antitumoraux", conclut le Dr Abina.
Un an après le début des campagnes de vaccination contre le Covid-19, le cap des dix milliards de doses injectées dans le monde a été franchi le 27 janvier. Si les experts enjoignent inlassablement la population à se faire vacciner contre le coronavirus, les vaccins en général, et ceux à base d’ARN messager en particulier, continuent de susciter la controverse chez les détracteurs de cette biotechnologie. Tantôt fondés, tantôt aberrants, leurs arguments et questionnements pullulent sur les réseaux sociaux. Selon certains d’entre eux, il serait absurde de faire confiance à un vaccin développé en moins d’un an. Et pourtant, cette biotechnologie n’est pas nouvelle comme on a tendance à le croire.
Tout commence en 1961, lorsque deux biologistes français de l’Institut Pasteur, François Jacob (1920-2013) et Jacques Monod (1910-1976), découvrent le chaînon manquant de la biologie moléculaire: l’acide ribonucléique messager (ARNm). Intermédiaire entre l’ADN et les protéines, ce messager génétique est responsable de la transmission de l’information codée dans le génome (c’est-à-dire l’ensemble de l’ADN) du noyau au cytoplasme (liquide entourant le noyau) de la cellule où se fait la synthèse des protéines. Ce processus permet d’assurer le maintien de la structure et des fonctions cellulaires et ainsi de répondre aux besoins de l’organisme.
Première preuve de concept
À la fin de 1987, le biologiste moléculaire américain Robert Malone réalise une expérience "historique", selon un article publié en décembre dernier dans la revue scientifique Nature: la transfection de l’ARN. Ce processus vise à introduire du matériel génétique exogène sous forme d’ARN dans des cellules cultivées in vitro. Ainsi, il mélange des brins d’ARNm avec des gouttelettes de graisse et fait baigner des cellules humaines dans ce "ragoût moléculaire". Il remarque alors que ces cellules commencent à produire les protéines codées par le messager. Si les cellules sont capables de créer des protéines à partir de l’ARNm qui leur est délivré, écrit Malone le 11 janvier 1988, il serait peut-être possible de "développer des médicaments à partir de l’ARN". Ses expériences menées sur des embryons de grenouilles ont par la suite constitué la première preuve de concept de l’efficacité de cette biotechnologie dans un organisme vivant.
De la théorie à la pratique
Malgré ces résultats préliminaires encourageants, l’objectif était encore loin d’être acquis. En effet, pendant de nombreuses années, l’ARNm a été considéré comme une molécule "très instable et coûteuse" pour être utilisée dans la conception de nouveaux médicaments ou vaccins. Des dizaines de laboratoires ont alors tenté de décrypter les secrets de ce messager moléculaire dans le but de mettre au point la bonne formule de graisses et d’acides nucléiques, les éléments constitutifs des vaccins à ARNm. Les travaux de recherche sur de nouveaux systèmes d’encapsulation et sur la transformation de certains composants de l’ARNm, nécessaire pour contrôler sa dégradation, menés par Katalin Karikó et Drew Weissman, deux chercheurs de l’Université de Pennsylvanie aux États-Unis, ont permis de surmonter les obstacles qui entravaient la conception de cette nouvelle génération de vaccins. Cette réussite a ainsi ouvert grand la porte à une panoplie d’essais précliniques testant des vaccins prophylactiques à ARNm contre la grippe, le VIH, Zika, Ebola et le chikungunya, mais aussi des vaccins thérapeutiques en oncologie.
Covid-19: l’heure de vérité
Bien que le SARS-CoV-2 ne soit pas le premier virus pour lequel cette innovation biotechnologique était envisagée, le contexte pandémique du Covid-19 a incité les sociétés de biotechnologies et les firmes pharmaceutiques, avec l’aide de gouvernements et d’organisations philanthropiques, à investir des milliards de dollars dans des recherches visant à développer le plus rapidement possible un vaccin contre ce virus. Le choix est aussitôt tombé sur la technologie ARNm, plutôt que sur les méthodes conventionnelles.
Si les vaccins vivants atténués conventionnels ait réussi à réduire le fardeau d’un certain nombre de maladies infectieuses telles que la variole, la poliomyélite, la rougeole, la rubéole et les oreillons, leur conception nécessite toutefois des années de recherche afin de collecter et d’atténuer le virus in vitro. Elle peut également être entravée par plusieurs facteurs, notamment la difficulté à cultiver l’agent pathogène dans des installations spécialisées, et la mise en place de mesures efficaces de biosécurité. De plus, des purifications et une série de tests complexes sont indispensables pour l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché. De nombreux obstacles se posent aussi avec les vaccins inactivés, également conventionnels, formés soit de l’organisme pathogène entier inactivé (comme certains vaccins contre l’hépatite A et la grippe), soit de protéines purifiées dérivées de cet organisme (comme le vaccin antipneumococcique). Ces vaccins sont souvent associés à des adjuvants pour favoriser leur immunogénicité (capacité de déclencher une réponse immunitaire).
Une nouvelle ère en vaccinologie
L’adoption de nouvelles biotechnologies pour la fabrication des vaccins ne remet nullement en question l’efficacité des approches conventionnelles qui ont prouvé à travers l’histoire leur efficacité. Cependant, face à une grave crise pandémique à diffusion accélérée, la nécessité d’un développement dans des délais extrêmement courts et à grande échelle d’un vaccin efficace imposait aux chercheurs le recours aux technologies innovantes. "La rapidité de la conception et de la synthèse des séquences d’ARNm codant pour une protéine virale cible (la protéine Spike pour le coronavirus, identifiée au tout début de la pandémie) accélèrent le processus de développement de cette nouvelle génération de vaccin", explique Amine Abina, médecin-chercheur et expert en vaccinologie. Il souligne que ces vaccins ne nécessitent pas une optimisation d’adjuvants comme c’est le cas de nombreux autres types de vaccins. "Les vaccins à ARN messager ont l’avantage d’activer eux-mêmes les voies de certains récepteurs exprimés sur les cellules indispensables à l’initiation d’une réponse immunitaire vaccinale", affirme le Dr Abina.
De plus, le besoin réduit de tests réglementaires peut accélérer davantage le processus d’approbation de ces vaccins. En outre, en cas de survenue d’un nouveau variant du virus, "la version optimisée du vaccin à ARNm ne différera que par l’insertion de la séquence d’acide nucléique codant la nouvelle protéine cible, tandis que sa formulation restera inchangée", précise le médecin. À titre d’exemple, la société de biotechnologies américaine Moderna avait marqué l’actualité en initiant des essais cliniques sur un prototype de vaccin à ARNm contre le Covid-19, seulement 66 jours après le séquençage du génome viral du SARS-CoV2. En fait, des travaux antérieurs sur un vaccin à ARNm contre le coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV), qui avait causé une épidémie en 2012, ainsi que de nombreux travaux de vaccination thérapeutique en oncologie, avaient pavé la voie à la mise en place des vaccins à ARNm contre le Covid-19. "La rapidité et la simplicité des nouvelles stratégies vaccinales ont donc été des atouts indéniables dans la lutte contre la diffusion et la létalité du Covid-19", se félicite le Dr Abina.
Au-delà du Covid-19
La pandémie a été un tournant historique dans le développement à large échelle de nouveaux outils vaccinaux. De fait, plus de 100 essais cliniques testant des vaccins thérapeutiques à ARNm pour le traitement d’un large éventail de cancers (notamment le glioblastome, le mélanome et les cancers du sein, des ovaires, de la prostate, du côlon, et du rein) sont en cours. Certains de ces essais sont à une phase avancée. Par ailleurs, plusieurs essais précliniques ont démontré l’efficacité de nombreux vaccins prophylactiques à ARNm dans la protection contre une grande variété d’agents infectieux (comme le virus Zika, les virus de la rage, le virus de la grippe, le virus respiratoire syncitiale, le cytomégalovirus, le virus Ebola et certaines espèces de streptocoques). Ces résultats encourageants ont permis à certains vaccins candidats de passer en phase clinique, dont le nouveau coronavirus. Finalement, des études précliniques ont démontré que certains vaccins à ARNm codant pour l’allergène de pollen de graminées sont capables de prévenir certains types de réactions allergiques.
Pour le Dr Abina, la technologie ARNm a bouleversé les méthodes traditionnelles de la vaccinologie. "La grande révolution indéniable de cette biotechnologie est dans le domaine de la vaccination antivirale, insiste-t-il. Elle a permis de passer des stratégies historiques développées depuis l’époque de Louis Pasteur à de nouvelles approches plus précises et rapides." Selon le spécialiste, il est nécessaire d’optimiser ces stratégies de vaccination par ARNm pour les adapter aux autres domaines et particulièrement en oncologie. "Il est beaucoup plus difficile d’agir sur les cellules tumorales, car d’une part elles accumulent des mutations ce qui fait que le choix de la cible n’est pas toujours évident, et d’autre part le microenvironnement tumoral est un obstacle important qui entrave la réussite de cette stratégie. Je ne m’attends donc pas dans un futur proche à des résultats spectaculaires des vaccins à ARN messager dans les traitements antitumoraux", conclut le Dr Abina.
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