©Le leader de l'opposition vénézuélienne Juan Guaido montre une affiche représentant le président vénézuélien Nicolas Maduro et ses liens présumés avec des terroristes, des criminels et des dictateurs, lors d'une manifestation à Caracas en mai 2021. (AFP)
La mort d’Hugo Chávez correspond à l’enfoncement du Venezuela dans une crise économique, sociale et politique hors norme. Hyperinflation, sous-nutrition, émigration massive, explosion de la violence : comment en seulement huit ans la société le plus riche d’Amérique latine s’est-elle désagrégée ?
Dès son arrivée au pouvoir en 2013, Nicolás Maduro est confronté à d’importantes pénuries de biens de première nécessité. L’année suivante, le pays entre en récession et surtout, dans une folle spirale inflationniste : de 60 % en 2014, l’inflation s’élève à 800 % en 2016, avant d’atteindre 1 700 000 % en 2018. Anticipant l’inflation, les entreprises ne fixent plus les prix en fonction des coûts de production mais de l’estimation de la valeur future de la monnaie, ce qui rend la bulle inflationniste exponentielle.
Cette crise à des conséquences tragiques. En avril 2021, le salaire minimum représentait moins de 4 $, obligeant parfois les Vénézuéliens à troquer pour pouvoir manger. La sous-nutrition, qui avait quasiment disparu du pays sous Hugo Chávez, a touché au moins 21 % de la population entre 2016 et 2018 selon l’agence de l’ONU en charge de l’agriculture et de l’alimentation (FAO). Un système de bons de rationnement, le « carnet de la patrie », mis en place à partir de 2017, permet cependant de limiter la faim, bien que l’opposition affirme qu’il ne profite qu’aux partisans de Nicolás Maduro.
Plus largement, selon l’ONU, la pauvreté touchait 94 % de la population en mars 2019, tandis que, selon le FMI, le taux de chômage a crû jusqu’à 35 % en 2019. La crise occasionne également d’importantes pénuries énergétiques : l’électricité, fréquemment coupée, est quasiment absente du pays pendant plusieurs jours en mars 2019, occasionnant des dizaines de décès dans les hôpitaux. Quant à l’essence, elle est rationnée, obligeant les Vénézuéliens à faire de longues heures de queue pour pouvoir accéder à la pompe. Un paradoxe pour le pays qui détient les plus importantes réserves pétrolières du monde !
Longtemps pays d’immigration en raison de son important niveau de vie pour la région, le Venezuela a vu son niveau d’émigration exploser : selon l’ONU, entre 2013 et avril 2021, plus de 5,5 millions de Vénézuéliens ont immigré, soit 18 % de la population. Cette forte vague d’immigration à d’importantes conséquences pour les pays voisins, principales destinations des émigrés, eux-mêmes en difficulté économique en raison du Covid-19 : à elle seule, la Colombie a accueilli 1,8 millions de Vénézuéliens, ce qui représente 4 % de sa population. Bien qu’en moyenne plus diplômés que la population locale - en raison de la politique de massification de l’enseignement supérieur promue par Hugo Chávez -, ils sont bien souvent contraints à des emplois informels difficiles et peu rémunérateurs. Une faible partie d’entre eux s’est tournée vers le crime organisé, générant une forte hausse de la violence dans les pays d’accueil et stigmatisant l’ensemble des immigrés, victimes d’une importante xénophobie.
La crise devient également rapidement politique. Dès février 2014, d’importantes manifestations spontanées éclatent à l’initiative d’étudiants protestants contre la hausse de l’insécurité dans le pays. Celles-ci sont rapidement infiltrées par la frange la plus violente de l’opposition : elle use d’une véritable stratégie de guérilla urbaine, tirant à balle réelle sur les forces de l’ordre, décapitant des motards avec des câbles tendus sur la route… Elle exécute au moins neuf policiers mais aussi plus d’une dizaine de civils, sympathisants ou non du gouvernement socialiste. Des manifestants sont également tués par la police : au total, les manifestations feront 43 morts en 2014, partisans et opposants du gouvernement confondu.
L’opposition parvient à remporter les élections législatives de 2015, une première depuis l’élection d’Hugo Chávez en 1998. La nouvelle majorité prend ses fonctions, intronise des députés élus frauduleusement et s’emploie par tous les moyens à destituer le chef de l’État, en dehors des procédures permises par la constitution : le Tribunal suprême, aligné sur l’exécutif, choisit en conséquence de lui retirer ses pouvoirs en mars 2017. Nicolás Maduro décide alors de convoquer une Assemblée constituante également dotée des pouvoirs de l’Assemblée nationale : le mode de désignation de ses membres lui permet, de fait, de n’y voir siéger que ses partisans. Parallèlement, la contestation reprend dans la rue, entrainant une importante violence tant des manifestants que de la police et de groupes favorables au pouvoir : on compte 115 morts en quatre mois. Le durcissement du régime conduit plusieurs chavistes à critiquer Nicolás Maduro : celui-ci les qualifie de « traîtres ».
En mai 2018, Nicolás Maduro est réélu président avec 68 % des voix, au terme d’un scrutin marqué par une importante abstention et le boycott d’une partie de l’opposition. Bien que les résultats n’aient pas été reconnus par les États-Unis et l’Union européenne, de nombreux observateurs considèrent que Nicolás Maduro a effectivement remporté l’élection, les Vénézuéliens, très critiques de leur président, préférant néanmoins réélire celui-ci ou s’abstenir plutôt que voter pour une opposition divisée, souvent d’extrême-droite, dont l’unique objectif commun serait « de permettre à la haute-bourgeoisie de retrouver le pouvoir qu’elle a partiellement perdue avec l’élection d’Hugo Chávez en 1998 ».
Le 23 janvier 2019, Juan Guaidó, un député proche des groupes narco-paramilitaires colombiens, s’autoproclame président de la République. Il obtient la reconnaissance des États-Unis, de l’Union européenne et des pays latino-américains alignés sur Washington. Le 30 avril, une tentative de coup d’État menée par des fractions de l’armée pro-Guaidó échoue. Le 3 mai 2020, le gouvernement arrête des mercenaires, dont plusieurs citoyens des États-Unis, qui tentaient une invasion maritime du pays.
Si depuis fin 2019, la situation économique du Venezuela s’améliore lentement, la crise politique semble s’enliser. Juan Guaidó a été vite décrédibilisé par l’opinion publique vénézuélienne, qui le considère comme un agent étranger lié à des groupes criminels. Il semble également de moins en moins appuyé par les États-Unis, mais aussi par la haute-bourgeoisie vénézuélienne. Les paramilitaires colombiens, soutenus par le régime d’extrême-droite d’Iván Duque, continuent de se livrer à de nombreuses exactions sur le territoire vénézuélien. De son côté, Nicolás Maduro a remporté les élections législatives de décembre 2020, avec 69 % des voix mais une forte abstention, ce qui lui a permis de reprendre la main sur l’Assemblée nationale. Son parti a également obtenu 19 des 23 États aux élections régionales du 21 novembre 2021 : un succès en demi-teinte, avec une abstention à nouveau élevée, la perte de l’État pétrolier du Zulia et surtout - lors d’un scrutin partiel le 9 janvier 2022 - celle du Barinas, un fief du chavisme, là même où est né le Comandante.
Le retour de gouvernements souverainistes en Amérique latine, de centre-gauche ou de gauche, permet de relégitimer peu à peu Nicolás Maduro sur la scène internationale. Il doit cependant faire face aux accusations de violations de droits de l’Homme dont l’accuse l’ONU, qui a dénoncé à plusieurs reprises les nombreuses exécutions extra-judiciaires commises par la police vénézuélienne, gangrénée par la corruption et incapable de lutter efficacement contre le crime organisé. Un espoir cependant : le constat de l’échec de la « stratégie Guaidó » a conduit l’opposition à reprendre des négociations avec le gouvernement, sous l’égide du Mexique. Il est donc possible que le résultat de l’élection présidentielle de 2024 soit cette fois reconnu par l’ensemble de la communauté internationale. Les jours meilleurs sont-ils pour bientôt au Venezuela ? Quoi qu’il en soit, il convient d’expliquer pourquoi le Venezuela s’est enfoncé dans cette crise.
Dès son arrivée au pouvoir en 2013, Nicolás Maduro est confronté à d’importantes pénuries de biens de première nécessité. L’année suivante, le pays entre en récession et surtout, dans une folle spirale inflationniste : de 60 % en 2014, l’inflation s’élève à 800 % en 2016, avant d’atteindre 1 700 000 % en 2018. Anticipant l’inflation, les entreprises ne fixent plus les prix en fonction des coûts de production mais de l’estimation de la valeur future de la monnaie, ce qui rend la bulle inflationniste exponentielle.
Cette crise à des conséquences tragiques. En avril 2021, le salaire minimum représentait moins de 4 $, obligeant parfois les Vénézuéliens à troquer pour pouvoir manger. La sous-nutrition, qui avait quasiment disparu du pays sous Hugo Chávez, a touché au moins 21 % de la population entre 2016 et 2018 selon l’agence de l’ONU en charge de l’agriculture et de l’alimentation (FAO). Un système de bons de rationnement, le « carnet de la patrie », mis en place à partir de 2017, permet cependant de limiter la faim, bien que l’opposition affirme qu’il ne profite qu’aux partisans de Nicolás Maduro.
Plus largement, selon l’ONU, la pauvreté touchait 94 % de la population en mars 2019, tandis que, selon le FMI, le taux de chômage a crû jusqu’à 35 % en 2019. La crise occasionne également d’importantes pénuries énergétiques : l’électricité, fréquemment coupée, est quasiment absente du pays pendant plusieurs jours en mars 2019, occasionnant des dizaines de décès dans les hôpitaux. Quant à l’essence, elle est rationnée, obligeant les Vénézuéliens à faire de longues heures de queue pour pouvoir accéder à la pompe. Un paradoxe pour le pays qui détient les plus importantes réserves pétrolières du monde !
Longtemps pays d’immigration en raison de son important niveau de vie pour la région, le Venezuela a vu son niveau d’émigration exploser : selon l’ONU, entre 2013 et avril 2021, plus de 5,5 millions de Vénézuéliens ont immigré, soit 18 % de la population. Cette forte vague d’immigration à d’importantes conséquences pour les pays voisins, principales destinations des émigrés, eux-mêmes en difficulté économique en raison du Covid-19 : à elle seule, la Colombie a accueilli 1,8 millions de Vénézuéliens, ce qui représente 4 % de sa population. Bien qu’en moyenne plus diplômés que la population locale - en raison de la politique de massification de l’enseignement supérieur promue par Hugo Chávez -, ils sont bien souvent contraints à des emplois informels difficiles et peu rémunérateurs. Une faible partie d’entre eux s’est tournée vers le crime organisé, générant une forte hausse de la violence dans les pays d’accueil et stigmatisant l’ensemble des immigrés, victimes d’une importante xénophobie.
La crise devient également rapidement politique. Dès février 2014, d’importantes manifestations spontanées éclatent à l’initiative d’étudiants protestants contre la hausse de l’insécurité dans le pays. Celles-ci sont rapidement infiltrées par la frange la plus violente de l’opposition : elle use d’une véritable stratégie de guérilla urbaine, tirant à balle réelle sur les forces de l’ordre, décapitant des motards avec des câbles tendus sur la route… Elle exécute au moins neuf policiers mais aussi plus d’une dizaine de civils, sympathisants ou non du gouvernement socialiste. Des manifestants sont également tués par la police : au total, les manifestations feront 43 morts en 2014, partisans et opposants du gouvernement confondu.
L’opposition parvient à remporter les élections législatives de 2015, une première depuis l’élection d’Hugo Chávez en 1998. La nouvelle majorité prend ses fonctions, intronise des députés élus frauduleusement et s’emploie par tous les moyens à destituer le chef de l’État, en dehors des procédures permises par la constitution : le Tribunal suprême, aligné sur l’exécutif, choisit en conséquence de lui retirer ses pouvoirs en mars 2017. Nicolás Maduro décide alors de convoquer une Assemblée constituante également dotée des pouvoirs de l’Assemblée nationale : le mode de désignation de ses membres lui permet, de fait, de n’y voir siéger que ses partisans. Parallèlement, la contestation reprend dans la rue, entrainant une importante violence tant des manifestants que de la police et de groupes favorables au pouvoir : on compte 115 morts en quatre mois. Le durcissement du régime conduit plusieurs chavistes à critiquer Nicolás Maduro : celui-ci les qualifie de « traîtres ».
En mai 2018, Nicolás Maduro est réélu président avec 68 % des voix, au terme d’un scrutin marqué par une importante abstention et le boycott d’une partie de l’opposition. Bien que les résultats n’aient pas été reconnus par les États-Unis et l’Union européenne, de nombreux observateurs considèrent que Nicolás Maduro a effectivement remporté l’élection, les Vénézuéliens, très critiques de leur président, préférant néanmoins réélire celui-ci ou s’abstenir plutôt que voter pour une opposition divisée, souvent d’extrême-droite, dont l’unique objectif commun serait « de permettre à la haute-bourgeoisie de retrouver le pouvoir qu’elle a partiellement perdue avec l’élection d’Hugo Chávez en 1998 ».
Le 23 janvier 2019, Juan Guaidó, un député proche des groupes narco-paramilitaires colombiens, s’autoproclame président de la République. Il obtient la reconnaissance des États-Unis, de l’Union européenne et des pays latino-américains alignés sur Washington. Le 30 avril, une tentative de coup d’État menée par des fractions de l’armée pro-Guaidó échoue. Le 3 mai 2020, le gouvernement arrête des mercenaires, dont plusieurs citoyens des États-Unis, qui tentaient une invasion maritime du pays.
Si depuis fin 2019, la situation économique du Venezuela s’améliore lentement, la crise politique semble s’enliser. Juan Guaidó a été vite décrédibilisé par l’opinion publique vénézuélienne, qui le considère comme un agent étranger lié à des groupes criminels. Il semble également de moins en moins appuyé par les États-Unis, mais aussi par la haute-bourgeoisie vénézuélienne. Les paramilitaires colombiens, soutenus par le régime d’extrême-droite d’Iván Duque, continuent de se livrer à de nombreuses exactions sur le territoire vénézuélien. De son côté, Nicolás Maduro a remporté les élections législatives de décembre 2020, avec 69 % des voix mais une forte abstention, ce qui lui a permis de reprendre la main sur l’Assemblée nationale. Son parti a également obtenu 19 des 23 États aux élections régionales du 21 novembre 2021 : un succès en demi-teinte, avec une abstention à nouveau élevée, la perte de l’État pétrolier du Zulia et surtout - lors d’un scrutin partiel le 9 janvier 2022 - celle du Barinas, un fief du chavisme, là même où est né le Comandante.
Le retour de gouvernements souverainistes en Amérique latine, de centre-gauche ou de gauche, permet de relégitimer peu à peu Nicolás Maduro sur la scène internationale. Il doit cependant faire face aux accusations de violations de droits de l’Homme dont l’accuse l’ONU, qui a dénoncé à plusieurs reprises les nombreuses exécutions extra-judiciaires commises par la police vénézuélienne, gangrénée par la corruption et incapable de lutter efficacement contre le crime organisé. Un espoir cependant : le constat de l’échec de la « stratégie Guaidó » a conduit l’opposition à reprendre des négociations avec le gouvernement, sous l’égide du Mexique. Il est donc possible que le résultat de l’élection présidentielle de 2024 soit cette fois reconnu par l’ensemble de la communauté internationale. Les jours meilleurs sont-ils pour bientôt au Venezuela ? Quoi qu’il en soit, il convient d’expliquer pourquoi le Venezuela s’est enfoncé dans cette crise.
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