Dans une série de quatre articles, Ici Beyrouth revient sur trois éléments clés du contentieux frontalier libano-israélien et un quatrième, tombé dans l’oubli. Le premier porte sur le tunnel de Ras Naqoura, propriété de l’État libanais, inscrit au registre foncier sous le numéro 28/Naqoura, mais qu’Israël a transformé en zone touristique, depuis qu’il l’a occupé. Le deuxième concerne le nord de Ghajar, un village libanais occupé par Israël et dont les habitants sont syriens.
Les frontières entre le Liban et la Syrie pouvant être reconsidérées dans le cadre des négociations sur l’application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité, la question du Golan, et plus particulièrement, du village de Ghajar risque d’être soulevée.
Ce tripoint (point géographique de jonction entre trois points, le Liban, la Syrie et Israël) fait l’objet d’une dispute territoriale depuis l’occupation du Golan par les forces israéliennes, en 1967. Jusqu’à cette date, la zone ne faisait pas l’objet d’un litige.
Géographie et population
En 1516, la bataille de Marj Dabek, au nord d’Alep se conclut par la victoire des Ottomans contre les Mamelouks d’Égypte. Fuyant le nord de la Syrie, les alaouites, qui combattaient aux côtés des Mamelouks, trouvent repaire dans trois villages, situés l’un à proximité de l’autre: Ghajar (anciennement Taranja, jusqu’au 19e siècle), Za’oura et Ain-Fit. Les deux derniers ont été entièrement évacués et détruits depuis l’occupation israélienne en 1967. Ghajar, en revanche, est toujours peuplé. Sa partie nord se situe cependant sur un des 18 points frontaliers litigieux entre le Liban et Israël, au niveau de la barrière technique, dont l’installation par Tel Aviv a été achevée en 2007.
Cette barrière, rappelons-le, dépasse la Ligne bleue. Elle ne constitue pas un tracé officiellement reconnu, mais une manière pour Israël de se prémunir sur le plan sécuritaire. Elle est parallèle à la Ligne bleue et a donné lieu à 18 points litigieux entre le Liban et Israël, dont le dernier se situe dans le Golan, à Ghajar.
Le village comptait, à l’époque, environ 3.000 habitants (des alaouites) et se situe à 300 mètres d’altitude, sur le versant ouest du Mont Hermon, près de la rive est du fleuve Wazzani, à l’intersection de trois pays: le Liban, la Syrie et Israël. Sa superficie d’origine équivalait à 2,5 km2. Durant l’occupation israélienne du Liban-Sud (entre 1978 et 2000), s’y sont ajoutés 719.000 m2 pris au territoire libanais – fait que nous élaborerons plus loin. Les habitants du village détiennent la nationalité syrienne (mais aussi israélienne, depuis 1981). Ils sont d’abord inscrits sur les registres de la ville syrienne de Quneitra, dans le Golan, détruite par les forces israéliennes en 1973. Depuis, leurs registres ont été transférés à Damas.
Ghajar entre 1932 et 1967
Durant la période du mandat français au Liban et en Syrie, les autorités mandataires donnent, en 1932, le choix aux habitants de Ghajar: devenir citoyens libanais ou se contenter de leur nationalité syrienne. «Du fait de leur appartenance confessionnelle, ils optent pour la Syrie. Le village demeure donc, au lendemain du tracé des frontières, entièrement syrien», explique l’ancien chef du secteur sud Litani de l’armée libanaise, le général Khalil Gemayel, interrogé par Ici Beyrouth. Selon lui, «les cartes que détenaient le Liban et l’autorité mandataire française montraient que Ghajar est entièrement syrien». Cartes que ne partageaient pas les Israéliens. «Ces derniers possédaient celles qui leur avaient été laissées par les Britanniques, et selon lesquelles le village de Ghajar est libanais», poursuit-il.
En 1967, retournement de situation. C’est à ce moment-là que le litige au niveau de cette zone éclate. Cette année-là, Israël envahit et occupe tout le Golan… Tout? Non. Le village de Ghajar échappe à l’envahisseur… du fait des cartes dont il est question plus haut. «Au moment de s’approprier le Golan, les Israéliens évitent de s’approcher de Ghajar, ce dernier étant, comme ils l’avancent et selon les cartes britanniques, qui n’ont jamais pu être consultées, un village libanais», précise le général Gemayel. Pour éviter toute dissension, les Israéliens ont abandonné la région à son propre sort. «Ne relevant d’aucun État officiel, les habitants de Ghajar se sont trouvés dans l’impossibilité de survivre dans de telles conditions, risquant de mourir de faim», indique-t-il. Ils ont tenté de demander asile au Liban, mais ils se sont vu refuser leur requête, le village étant officiellement et géographiquement syrien, occupé par Israël. Ils ont ainsi tenu trois semaines supplémentaires avant de réclamer l’occupation israélienne.
Annexion du village d’El-Mari: le Ghajar libanais
En 1981, lorsque le Golan a été annexé à Israël, les habitants de Ghajar ont obtenu la nationalité israélienne qui s’est ajoutée à la leur, la syrienne.
En 1982, date de l’invasion israélienne du Liban-Sud, Tel Aviv ouvre sa frontière aux habitants de Ghajar et leur donne l’autorisation de construire sur le territoire libanais, et, plus particulièrement, dans un village qui porte le nom d’El-Mari. «L’intérêt de cette zone réside dans sa richesse en eau (puisée dans le fleuve Wazzani). Les deux tiers des habitations des Ghajaris ont été érigées côté libanais, ces derniers s’étant dispersés sur le territoire libanais jusqu’à surplomber la source du fleuve Wazzani sur une superficie de 719.000 m2», affirme le général Gemayel. Ils y installent alors deux pompes – qui existent encore aujourd’hui – et puisent leur eau du Liban.
L’an 2000 a été marqué par le retrait israélien du Liban-Sud. La Ligne bleue est alors tracée. Elle divise le village en deux parties, selon sa route principale (la partie sud étant le village syrien de Ghajar, sous administration de l’État hébreu et la partie nord étant le village libanais d’El-Mari, baptisé par ses habitants du nom de «nord de Ghajar», libéré de l’armée israélienne).
Ce tracé a provoqué la colère des Ghajaris qui ont dénoncé une volonté de séparer les familles. «Évoquant des raisons humanitaires et dans le but de calmer la révolte des habitants, les Nations unies s’opposent à cette division et décident d’installer une barrière technique qui sépare la partie libanaise de Ghajar (ou d’El-Mari) du reste du Liban, empêchant ainsi tout accès à cette zone, aujourd’hui encore sous occupation israélienne», relate le général Gemayel. Il rappelle que, «malgré les appels incessants du gouvernement libanais visant à rendre au village son appellation initiale (El-Mari), les Nations unies continuent d’adopter la même position» : la partie nord de la région, située sur le territoire libanais, continuera de porter le nom du village syrien de Ghajar.
Aujourd’hui, le retrait des forces israéliennes des territoires libanais encore occupés est prévu par la résolution 1701. À plusieurs reprises, l’État hébreu s’est dit prêt à libérer le village d’El-Mari, mais ce sont les habitants de Ghajar qui s’y opposent, inquiets de leur sort et refusant de voir leurs familles entièrement séparées. Seules des négociations tripartites entre les Nations unies, le Liban et Israël, et une décision émanant du gouvernement libanais et des Nations unies pourraient sauver la situation.
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