Le «Boléro», Ravel et la question des droits d’auteur

La controverse relative à la paternité du Boléro de Maurice Ravel a été portée devant une juridiction près de Paris, le mercredi 14 février, soulevant la question de savoir si cette œuvre emblématique est le fruit d'une collaboration. 
Les ayants droit de Benois, invoquant divers éléments historiques, défendent l’idée que le Boléro est le résultat d’une œuvre collective. La Sacem, quant à elle, qualifie cette assertion de pure «fiction» et d’«imagination» débordante. La querelle juridique a débuté en 2018 lorsque les héritiers de Benois ont assigné la Sacem en justice après deux refus d’inscrire leur ancêtre comme coauteur de l’œuvre.
L’enjeu de cette affaire est considérable: si la Sacem venait à accéder à cette requête, le Boléro, qui est tombé dans le domaine public en 2016, bénéficierait d’une protection jusqu’au 1er mai 2039, étant donné que Benois s’est éteint en 1960. Bien que les droits d’auteur aient généré des revenus considérables par le passé, les sommes perçues ont avoisiné en moyenne 135.507 euros annuellement entre 2011 et 2016, selon les informations fournies à l’AFP par Me Josée-Anne Bénazéraf, avocate de la Sacem.
Les représentants légaux de M. Benois soutiennent que le Boléro fut initialement composé pour un ballet présenté à l’Opéra de Paris en 1928. «La musique du Boléro a été spécifiquement écrite pour ce ballet», affirme Me Edouard Mille, avocat de la succession Benois. Aux côtés de Me Gilles Vercken, avocat de la succession Ravel, ils se sont succédé à la barre pour présenter les preuves étayant leur argument selon lequel le Boléro est l’œuvre de plusieurs artistes et non d’un seul.
Parmi les preuves apportées, figurent la mention du nom de Benois dans le programme de deux ballets joués le soir de la première représentation du Boléro de Ravel en 1928, les déclarations de Louis Laloy, secrétaire général de l’Opéra de Paris, qui a qualifié dans un journal Benois d’«auteur» des trois spectacles, ainsi qu’une lettre d’un directeur juridique de la Sacem des années 1980 reconnaissant la collaboration avec la chorégraphe du ballet, Bronislava Nijinska.

Au cœur des débats, le rôle de la Sacem dans l’attribution de la coauteurship du Boléro a été scruté. «Pour la Sacem, il y a le droit d’auteur et le droit du Boléro. À œuvre exceptionnelle, régime d’exception», a souligné Me Mille, déplorant que la Sacem n’ait rejeté que deux fois par le passé des demandes similaires à celle des héritiers Benois. Me Bénazéraf a rétorqué que contraindre la Sacem à s’engager dans une «bataille contre des chimères», 96 ans après les faits, serait inéquitable.
Le Boléro a bénéficié d’une protection de 78 ans et quatre mois, la législation française prévoyant que les droits d’une œuvre expirent 70 ans après le décès de l’auteur, soit en 1938 pour Ravel. Des prolongations légales ont toutefois étendu cette protection jusqu’au 1er mai 2016 pour compenser les pertes subies par les artistes français durant les guerres mondiales.
«Est-ce que ce n’est pas suffisant? Qu’aurait-on dit si la Sacem fermait les yeux pour ajouter 23 ans supplémentaires?», s’est indignée Me Bénazéraf, regrettant que «la liste des fautes reprochées (à la Sacem) s’allonge au fur et à mesure» que la procédure se prolonge. Elle soulève la question de savoir si la Sacem aurait dû agir en tant que simple «chambre d’enregistrement», comme le réclament les demandeurs, ou si elle était en droit de refuser la reconnaissance d’Alexandre Benois en tant que coauteur.
La décision au sujet de cette question délicate est attendue pour le 24 juin. Elle déterminera non seulement l’issue de ce conflit concernant les droits d’auteur du Boléro de Ravel, mais pourrait également poser un précédent quant à la manière dont les contributions collaboratives à des œuvres d’art sont reconnues et protégées par le droit d’auteur en France.
Cette affaire met en lumière les complexités inhérentes à la gestion des droits d’auteur dans le domaine de la musique classique, où les collaborations entre compositeurs, librettistes, chorégraphes et autres artistes sont monnaie courante. Elle interroge également sur le rôle des institutions comme la Sacem dans l’équilibre entre la protection des droits des créateurs et la reconnaissance de la nature collaborative de certaines œuvres artistiques. La décision à venir sera donc scrutée avec intérêt tant par les acteurs du monde de la musique que par les juristes spécialisés en propriété intellectuelle.
Avec AFP
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