Les roquettes du Hezbollah sur le nord d’Israël, le harcèlement des Houthis contre les bateaux en mer Rouge, le soutien logistique au Hamas de Gaza, les attaques contre les bases américaines; derrière toutes ces actions, les États dénoncent l'implication de Téhéran. De fait, depuis 45 ans, la République islamique d’Iran n’a cessé d’étendre son influence dans la région. Le point de départ est une révolution religieuse sans précédent, portée par l’ayatollah Khomeini en 1979. Auréolé par la mystique des chiites duodécimains, Khomeini a imposé la suprématie du guide religieux et défini comme objectifs fondamentaux de l’État clérical, «lexpansion de la souveraineté divine dans le monde, la défense des opprimés et l’unité du monde islamique».
Retour sur les origines d’un messianisme perse qui a changé durablement les équilibres géopolitiques au Proche-Orient (https://icibeyrouth.com/monde/320840) et exporté l’activisme islamique jusqu’en Occident dans ses aspects les plus extrémistes.
Le message de la République islamique repose sur une idéologie claire: un État ne peut prétendre être islamique que s’il œuvre pour l’indépendance et l’unité de la Oumma.
Un écrit ancien de Khomeini, opportunément réédité par les autorités religieuses au début de l’année 1980, présage de la suite sans ambigüité: «La Guerre sainte, menée pour la conquête de pays et de royaumes, devient une obligation après la formation de l’État islamique en la présence de l’imam ou conformément à son commandement. Alors l’islam fait obligation à tous les hommes adultes, s’ils ne sont pas invalides ou infirmes, de se préparer à la conquête des pays afin que la lettre de l’islam soit observée dans tous les pays du monde. Tous les pays conquis par l’islam recevront la marque du salut éternel. Car ils vivront sous la lumière de la loi céleste. Ceux qui ignorent tout de l’islam prétendent qu’il recommande de ne pas faire la guerre. Ceux-là sont des insensés. L’islam dit: Tuez tous les incroyants de même qu’ils vous tueraient tous».
Vieux compagnon de route de Khomeini, l’ayatollah Khalkhali qui s’illustra par une grande cruauté à la tête des tribunaux islamiques prolonge ce message en invoquant la geste duodécimaine: «Ceux qui ne veulent pas donner la mort n’ont pas de place dans l’islam. Notre imam Ali a tué plus de 700 fois en un jour. Si la survie de notre foi exige que le sang coule, nous sommes là pour accomplir notre devoir.»
Propager la révolution est donc un devoir religieux pour tout musulman et Téhéran se pose comme le centre irradiant de ce projet messianique.
Contrairement aux prédictions d’un certain nombre d’observateurs, la mort de Khomeini en 1989 n’y changera rien et la politique d’expansion sera non seulement poursuivie mais amplifiée. Force est de constater qu’en dépit de l’hostilité qu’il suscite à l’intérieur comme à l’extérieur, l’État théocratique a su se maintenir en restant égal à lui-même.
La vision panislamique – et pas seulement panchiite – des ayatollahs aura des conséquences géopolitiques considérables au Proche-Orient, avant que la menace ne s’étende à l’Occident par l’éveil de l’intégrisme et le recours au terrorisme. Déjà, à peine la République islamique installée, les autorités religieuses avaient lancé des anathèmes contre les régimes pro-américains de la région et appelé la population chiite d’Irak à «se soulever contre le régime baasiste, athée, ennemi de l’islam et du peuple irakien».
Une République islamique à Beyrouth
En novembre 1979, au mépris des conventions internationales, des étudiants «dans la ligne de l’imam» prennent d’assaut l’ambassade des États-Unis qu’ils garderont prisonnière pendant 444 jours.
Au même moment, lorsqu’un commando de fondamentalistes islamistes opposés au pouvoir royal saoudien attaque la Grande Mosquée de La Mecque, Riyad accuse l’Iran d’avoir inspiré cette opération pour exporter sa révolution et imposer sa domination sur les musulmans.
Pour élargir son influence en direction des États arabes, le pouvoir de Téhéran s’appuiera en priorité sur les minorités chiites d’Irak, du Liban et des Émirats, jusqu’au Yémen où il soutiendra le combat des Houthis.
Lors du retrait israélien du Liban en 1985 (les forces israéliennes qui avaient envahi le Liban en 1982 s’étaient retirées en 1985 vers la bande frontalière au Liban-Sud où elles avaient établi «une zone de sécurité»), les maîtres de Téhéran projettent la création d’une République islamique à Beyrouth en s’appuyant sur la communauté des chiites duodécimains qui représente environ un tiers du pays.

Certes, il n’y aura pas de République islamique du Liban, mais, soutenu et renforcé par Téhéran, le Hezbollah deviendra bel et bien un État dans l’État, en même temps qu’une base stratégique essentielle pour les mollahs qui enverront des centaines de Gardiens de la révolution au pays du Cèdre. Car il y a cet autre objectif prioritaire inlassablement réaffirmé: la destruction de «l’État sioniste» qualifié par le guide actuel, l’ayatollah Khamenei, de «tumeur cancéreuse sur la terre d’islam».
C’est ce qui justifiera, à partir des années 2000, le soutien au Hamas de Gaza, mouvement sunnite issu des Frères musulmans. S’il est possible que l’Iran ne soit pas directement impliqué dans les modalités les plus terribles de l’attaque du 7 octobre contre les kibboutz, il ne fait pas de doute que ces dernières années, les milices du Hamas ont été équipées et entraînées par Téhéran avec l’appui de son vassal, le Hezbollah. D’où l’intention annoncée par Israël de porter plainte contre l’Iran devant la Cour internationale de justice.
Des actes terroristes en série
La République islamique ne reculera devant aucun moyen pour propager son «message spirituel». À partir de 1981, les services de renseignement occidentaux considèrent que la plupart des ambassades de la République islamique constituent un réseau de soutien à des opérations terroristes. De nombreux indices désignent Téhéran comme le commanditaire des attentats visant Paris en 1985/1986, des actions commises via un réseau logistique du Hezbollah pour que la France cesse d’intervenir au Liban et mette un terme aussi à son soutien à Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran.
Les explosifs sont les mêmes que ceux utilisés lors des attentats-suicides de 1983 contre les forces françaises et américaines stationnées à Beyrouth qui avaient fait près de 300 morts. Avant de foncer sur l’immeuble des Marines avec ses 10 tonnes d’explosifs, le conducteur-kamikaze du camion avait adressé un large sourire à la sentinelle postée à l’entrée, le fameux «sourire de joie» que le martyr chiite doit arborer au moment du grand sacrifice.
Dans un sermon diffusé par Radio-Téhéran en 1986, le futur président de la République, Hachemi Rafsandjani avait déclaré: «Les Américains nous font porter la responsabilité du coup asséné aux États-Unis au Liban et de leur humiliation. Et ils ont tout à fait raison. Si les Marines américains et les parachutistes français ont dû fuir le Liban et si, dans ces circonstances, un certain nombre d’entre eux ont trouvé la mort, tout cela témoigne de l’influence de la Révolution islamique».
Il nest pas toujours aisé de comprendre le fonctionnement du pouvoir iranien en raison des multiples courants qui parfois s’opposent en son sein. Si aujourd’hui l’influence de l’Iran se traduit de façon concrète comme au Liban, en Irak ou au Yémen, elle est souvent diffuse, parfois occulte. Beaucoup d’actions sont menées en son nom sans que les mollahs en règlent les détails. Il est possible que l’action inédite du 7 octobre ait été encouragée dans le but de saboter les accords d’Abraham prévoyant une normalisation des rapports entre Israël et les Émirats arabes unis.
De fait, l’Iran, directement ou indirectement, reste un fauteur de troubles dans une région déjà fort instable. Depuis le départ des Américains d’Irak en 2011, les milices chiites pèsent sur la vie du pays. En Syrie, des unités de la force Al-Qods, le contingent d’élite des Pasdarans venu soutenir Bachar el-Assad dans sa lutte contre Daech (le groupe État islamique), harcèlent régulièrement les troupes américaines présentes dans la région pour les mêmes raisons.
Fin janvier 2024, un drone a frappé une base américaine à la frontière syro-jordanienne, tuant trois soldats américains, action contre laquelle Washington a riposté en bombardant 85 sites en Irak et en Syrie, hébergeant des groupes pro-iraniens. Un avertissement ferme adressé à l’Iran qui, devant la menace américaine renforcée depuis le 7 octobre, sait aussi faire preuve de pragmatisme en freinant les ardeurs de ses affidés, en particulier le Hezbollah au Liban-Sud pour qu’il n’entraîne pas la région dans un conflit aux conséquences imprévisibles. Les propos à double sens du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, témoignent assez bien de l’embarras de Téhéran.
Un pays isolé
Au bilan, la stratégie d’empiètement a permis à la République islamique d’étendre sa présence armée hors de ses frontières grâce à un réseau d’alliés et de mandataires, en plus de constituer ce qu’elle appelle l’axe de la résistance à la fois contre l’Occident et contre Israël. Mais l’Iran des mollahs a-t-il pour autant atteint le but messianique fixé par Le Régent du Mahdi? Certes, depuis 45 ans, les voisins de la Perse ont été déstabilisés par le réveil chiite orchestré par Téhéran. Mais le front est en quelque sorte figé. Le message religieux s’est dissous dans l’action militaro-politique et l’exportation de la révolution a marqué le pas. Aujourd’hui, prisonnier de son idéologie, l’Iran est un pays isolé, réprouvé par la communauté internationale, un pays qui souffre du syndrome de l’assiégé. Sa volonté de détenir la bombe atomique apparaît plus aujourd’hui comme un moyen de dissuasion pour assurer la survie de son régime que pour faire triompher l’islam sur le monde.
 
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