On aurait dit des fourmis! Ceux qui ont vu les images satellites peuvent en témoigner. Mais la réalité était plus prosaïque: c’étaient des affamés, des enfants, des hommes et des femmes qui avaient pris d’assaut un convoi de ravitaillement à Gaza. D’après la version israélienne, cette foule s’était révélée menaçante, et la troupe avait tiré des coups de semonce pour rétablir l’ordre. Mais comme rien n’y faisait, les soldats israéliens, pris de panique, ont fait feu pour se dégager. Bien entendu, les Palestiniens récusent ce récit des événements et accusent l’armée d’avoir délibérément tiré dans le tas. Allons-nous attendre les résultats d’une enquête indépendante sur un incident qui laissa plus de 100 morts sur le terrain, quand on songe que 30.000 victimes (selon les chiffres du ministère de la Santé à Gaza) sont tombées depuis le 7 octobre?
Gaza a faim et la responsabilité de l’approvisionnement alimentaire comme de l’ordre public incombe à l’occupant, c’est-à-dire à l’État hébreu. C’est un principe du droit de la guerre. De même qu’en application de ce même principe, c’était à l’armée israélienne d’assurer la sécurité des camps de Sabra et Chatila en 1982.
Pour ce qui est de l’histoire
Le Mont Liban a «goûté à la famine», du printemps 1915 à l’automne 1918. Arguant de l’état de belligérance, le proconsul ottoman Jamal Pacha avait décrété un blocus alimentaire terrestre qui isola le petit pays: c’était le couper de ses sources de ravitaillement en denrées provenant de l’hinterland(1). Et ce fut la cause principale de la dénutrition qui emporta le quart ou le tiers des habitants de la Moutassarifiya.
Faut-il le répéter, la famine est une arme efficace pour réduire les peuples et les amener à capituler. Rome y eut recours pour faire plier Carthage en l’an 146 avant l’ère chrétienne. Joseph Staline, le «petit père des peuples», suscita entre 1931 et 1935 le Holodomor, une disette qui ravagea l’Ukraine et qui faucha jusqu’à 5.000.000 de victimes: au bout, le dictateur était sûr d’avoir écrasé toute velléité de résistance à son emprise. Le Hungerplan ou plan de la faim, concocté par Hitler et ses sbires, décima plus de 4.000.000 de Soviétiques durant la Seconde Guerre mondiale(2) et ainsi de suite, jusqu’à Pol Pot au Cambodge et Bachar el-Assad en Syrie. Pour ce qui est de ce dernier, nous avons entre les mains un rapport de 2021, soumis par la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne de l’ONU: On y dénonce les blocus alimentaires, «ces sièges des temps modernes où la population est délibérément affamée», et l’on y incrimine ces pratiques dignes du Moyen Âge. Selon ledit rapport, le pouvoir syrien entravait «de façon injustifiable et indigne l’aide humanitaire destinée, entre autres, aux habitants d’Alep, de Homs, de Daraa et de la Ghouta orientale».(3)
Pour ce qui est du droit
Certes, la famine est une arme de guerre qui, pendant longtemps, ne fut pas condamnée(4). Qui se souvient des disettes qui ravagèrent le Biafra de 1967 à 1970 et le Bangladesh en 1974? L’impunité était pratique courante et les affameurs, des officiels, ne furent jamais inquiétés. Car ce n’est qu’en 1977 que les nations du monde ont adopté les deux protocoles additionnels aux Conventions de Genève, lesquels allaient «interdire d’utiliser contre les civils la famine comme méthode de guerre». Ce fut enfin avec le Statut de Rome, qui institua la Cour pénale internationale, que la famine sera codifiée comme crime de guerre. Un amendement de 2019 allait élargir l’application des susdites dispositions aux conflits internes, c’est-à-dire à ceux qui opposent les États aux groupes armés organisés.
De son côté, le Conseil de sécurité de l’ONU allait, en date du 3 août 2023, réitérer, par déclaration présidentielle, les termes de sa résolution fondatrice 2417 de 2018, laquelle condamne «l’utilisation de la famine des civils comme méthode de guerre», ainsi que «le refus illicite d’accès humanitaire et la privation des civils de biens indispensables à leur survie».
Simple comparaison
Si Jamal Pacha ne peut être convaincu de génocide parce qu’on ne peut apporter la preuve de son intention génocidaire, il n’empêche que le blocus alimentaire qu’il a imposé au Mont Liban a été dévastateur. En sa qualité de gouverneur du Bilad al-Sham, il porte la responsabilité de crimes de guerre, sinon de crimes contre l’humanité. S’il a affamé la population, c’est pour plusieurs raisons, entre autres celle de faire l’économie d’une campagne militaire. C’est aussi pour rendre les chrétiens, réputés francophiles, si miséreux et si fragilisés qu’ils auraient été incapables de se soulever contre son autorité, pour le cas où les Alliés auraient débarqué sur les côtes.
On a toujours recours à l’arme de la famine parce qu’on a sa petite idée derrière la tête. Alors, qu’en est-il de Netanyahou qui, d’après ses dires, ne poursuit sa campagne militaire que pour éradiquer le Hamas? Personne n’irait nier, dans les cercles internationaux, que l’armée israélienne, qui occupe le terrain, a l’obligation d’assurer la sécurité alimentaire à Gaza. Or la troupe ne fait que «bloquer délibérément l’acheminement de l’eau, de la nourriture et du carburant, tout en entravant l’assistance humanitaire». De ce fait, la situation y est si dégradée qu’il faudrait 500 camions d’aide par jour, et on est très loin du compte, d’après les ONG. D’où les parachutages de vivres par les États-Unis, la France, la Jordanie, etc.
Que cherche donc le Cabinet israélien au-delà de la mise à mort de Yahya Sinouar et de ses séides? Probablement, le transfert d’une population exténuée, incapable de faire valoir ses droits, dans un no-man’s land aménagé dans la péninsule du Sinaï.
Youssef Mouawad
[email protected]
1.Cf. Youssef Mouawad, «Pour en finir avec la Grande Famine», Ici Beyrouth, 9 décembre 2022.
2.Tom Dannenbaum, «La famine: une ancienne tactique militaire devenue un crime de guerre en Ukraine, au Yémen et dans le Tigré», The Conversation France, 1er septembre 2022.
3. Ibid.
4. Comme le dit si bien Tom Dannenbaum, «La faim, ce crime de guerre encore jamais condamné, en Ukraine et ailleurs», The Conversation France, 7 juillet 2022.
Gaza a faim et la responsabilité de l’approvisionnement alimentaire comme de l’ordre public incombe à l’occupant, c’est-à-dire à l’État hébreu. C’est un principe du droit de la guerre. De même qu’en application de ce même principe, c’était à l’armée israélienne d’assurer la sécurité des camps de Sabra et Chatila en 1982.
Pour ce qui est de l’histoire
Le Mont Liban a «goûté à la famine», du printemps 1915 à l’automne 1918. Arguant de l’état de belligérance, le proconsul ottoman Jamal Pacha avait décrété un blocus alimentaire terrestre qui isola le petit pays: c’était le couper de ses sources de ravitaillement en denrées provenant de l’hinterland(1). Et ce fut la cause principale de la dénutrition qui emporta le quart ou le tiers des habitants de la Moutassarifiya.
Faut-il le répéter, la famine est une arme efficace pour réduire les peuples et les amener à capituler. Rome y eut recours pour faire plier Carthage en l’an 146 avant l’ère chrétienne. Joseph Staline, le «petit père des peuples», suscita entre 1931 et 1935 le Holodomor, une disette qui ravagea l’Ukraine et qui faucha jusqu’à 5.000.000 de victimes: au bout, le dictateur était sûr d’avoir écrasé toute velléité de résistance à son emprise. Le Hungerplan ou plan de la faim, concocté par Hitler et ses sbires, décima plus de 4.000.000 de Soviétiques durant la Seconde Guerre mondiale(2) et ainsi de suite, jusqu’à Pol Pot au Cambodge et Bachar el-Assad en Syrie. Pour ce qui est de ce dernier, nous avons entre les mains un rapport de 2021, soumis par la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne de l’ONU: On y dénonce les blocus alimentaires, «ces sièges des temps modernes où la population est délibérément affamée», et l’on y incrimine ces pratiques dignes du Moyen Âge. Selon ledit rapport, le pouvoir syrien entravait «de façon injustifiable et indigne l’aide humanitaire destinée, entre autres, aux habitants d’Alep, de Homs, de Daraa et de la Ghouta orientale».(3)
Pour ce qui est du droit
Certes, la famine est une arme de guerre qui, pendant longtemps, ne fut pas condamnée(4). Qui se souvient des disettes qui ravagèrent le Biafra de 1967 à 1970 et le Bangladesh en 1974? L’impunité était pratique courante et les affameurs, des officiels, ne furent jamais inquiétés. Car ce n’est qu’en 1977 que les nations du monde ont adopté les deux protocoles additionnels aux Conventions de Genève, lesquels allaient «interdire d’utiliser contre les civils la famine comme méthode de guerre». Ce fut enfin avec le Statut de Rome, qui institua la Cour pénale internationale, que la famine sera codifiée comme crime de guerre. Un amendement de 2019 allait élargir l’application des susdites dispositions aux conflits internes, c’est-à-dire à ceux qui opposent les États aux groupes armés organisés.
De son côté, le Conseil de sécurité de l’ONU allait, en date du 3 août 2023, réitérer, par déclaration présidentielle, les termes de sa résolution fondatrice 2417 de 2018, laquelle condamne «l’utilisation de la famine des civils comme méthode de guerre», ainsi que «le refus illicite d’accès humanitaire et la privation des civils de biens indispensables à leur survie».
Simple comparaison
Si Jamal Pacha ne peut être convaincu de génocide parce qu’on ne peut apporter la preuve de son intention génocidaire, il n’empêche que le blocus alimentaire qu’il a imposé au Mont Liban a été dévastateur. En sa qualité de gouverneur du Bilad al-Sham, il porte la responsabilité de crimes de guerre, sinon de crimes contre l’humanité. S’il a affamé la population, c’est pour plusieurs raisons, entre autres celle de faire l’économie d’une campagne militaire. C’est aussi pour rendre les chrétiens, réputés francophiles, si miséreux et si fragilisés qu’ils auraient été incapables de se soulever contre son autorité, pour le cas où les Alliés auraient débarqué sur les côtes.
On a toujours recours à l’arme de la famine parce qu’on a sa petite idée derrière la tête. Alors, qu’en est-il de Netanyahou qui, d’après ses dires, ne poursuit sa campagne militaire que pour éradiquer le Hamas? Personne n’irait nier, dans les cercles internationaux, que l’armée israélienne, qui occupe le terrain, a l’obligation d’assurer la sécurité alimentaire à Gaza. Or la troupe ne fait que «bloquer délibérément l’acheminement de l’eau, de la nourriture et du carburant, tout en entravant l’assistance humanitaire». De ce fait, la situation y est si dégradée qu’il faudrait 500 camions d’aide par jour, et on est très loin du compte, d’après les ONG. D’où les parachutages de vivres par les États-Unis, la France, la Jordanie, etc.
Que cherche donc le Cabinet israélien au-delà de la mise à mort de Yahya Sinouar et de ses séides? Probablement, le transfert d’une population exténuée, incapable de faire valoir ses droits, dans un no-man’s land aménagé dans la péninsule du Sinaï.
Youssef Mouawad
[email protected]
1.Cf. Youssef Mouawad, «Pour en finir avec la Grande Famine», Ici Beyrouth, 9 décembre 2022.
2.Tom Dannenbaum, «La famine: une ancienne tactique militaire devenue un crime de guerre en Ukraine, au Yémen et dans le Tigré», The Conversation France, 1er septembre 2022.
3. Ibid.
4. Comme le dit si bien Tom Dannenbaum, «La faim, ce crime de guerre encore jamais condamné, en Ukraine et ailleurs», The Conversation France, 7 juillet 2022.
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