Dans un élan créatif audacieux, Stanislas Nordey s'approprie le récit bouleversant de Christine Angot, Le Voyage dans l’Est, pour le transposer sur les planches, transcendant les frontières entre la littérature et le théâtre. Paru en 2021, Le Voyage dans l'Est est publié aux éditions Flammarion. Il est lauréat du prix Médicis et du prix Les Inrockuptibles. La pièce, Le Voyage dans l’Est, se joue au théâtre Nanterre-Amandiers à Paris, jusqu’au 15 mars 2024.
En adaptant le roman de Christine Angot sur scène, Stanislas Nordey ne se contente pas de narrer une histoire d’inceste; il orchestre une introspection profonde et universelle, faisant de la scène un miroir de l’âme humaine. Au cœur de cette entreprise artistique se trouve une quête de vérité et de résonance collective, où les mots chargés de douleur et de révélation s’offrent comme un pont entre l’individuel et le collectif. Ce travail de mémoire et d’expression intime invite à une réflexion sur le pouvoir salvateur de l’art, faisant de chaque spectateur à la fois témoin et participant d’une histoire qui, bien que singulière, résonne en nous tous.
Dans Le Voyage dans l’Est, Christine Angot écrit: «Ma vie reprenait. Laquelle? Celle d’avant? D’avant mes treize ans? Celle que j’aurais dû avoir s’il n’y avait pas eu ça? Elle reprenait où? Là où elle s’était arrêtée? C’était possible?
Je me sentais bien. Je me sentais libre. Je ne voyais plus mon père. Ça me faisait du bien. C’était bien. C’était définitif? Où est-ce que le temps allait passer et que j’allais le revoir dans d’autres conditions? Est-ce que j’avais renoncé à le voir? J’étais bien. Je respirais. Mais j’étais où? J’étais qui? J’étais dans quelle vie? Je respirais. J’étais libre. J’étais bien. Mais il n’y avait rien d’essentiel. Je ne faisais rien d’essentiel.»
L’attention dans cette histoire se porte et repose sur la mise en scène. Pour Stanislas Nordey, l’enjeu majeur réside dans la matérialisation des mots, dans le fait de donner corps au récit dans toute sa brutalité. Le metteur en scène conçoit la littérature comme un acte de langage, un espace d’existence, de parole et d’écoute; pour lui, le roman de Christine Angot représente une introspection profonde dans la vie d’un être humain, allant au-delà de l’histoire personnelle de Christine. Il se penche également sur le monde qui entoure cette dernière. Initialement enfermée dans son silence, elle se met ensuite à partager son histoire avec son entourage; sa mère, ses amis, qui, néanmoins, choisissent d’ignorer ses révélations. Cette indifférence pousse le metteur en scène à révéler ce silence, longtemps gardé puis brisé par des mots de la romancière qui restent sans réponse. Le Voyage dans l’Est devient une revisite des lieux du crime, de ce point de non-retour où le père a imposé une relation incestueuse à sa fille. Sur scène, six acteurs incarnent tour à tour, mot pour mot, l’inceste, la domination, le consentement, la honte et la culpabilité. Dans cette mise en scène, un travail de mémoire prend forme; des voix intérieures se libèrent, révélant des vérités cachées dans l’ombre. Les projecteurs illuminent tout, tandis que les mots de Christine Angot résonnent puissamment dans la bouche des comédiens et dans la conscience des spectateurs. «Il fallait pour moi rendre Christine anonyme», affirme le metteur en scène, «pour que la Christine dont on nous parle, ce soit nous tous».
Marie-Christine Tayah
Instagram: @mariechristine.tayah
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