Ingrédients d’un État riche
Pour le budget 2024, comme pour toute controverse sur les finances publiques, on remarque que le débat se limite à plus ou moins d’impôts, pour gratifier plus ou moins les fonctionnaires: les actifs, les inactifs, les moyennement présents, les absents, les invisibles, les inexistants, sans distinction. Pas d’idée sur d’autres recettes possibles, ni d’autres dépenses moins oiseuses.
Une pensée unidimensionnelle en somme, disons bornée. Le contraire serait étonnant, connaissant le peu d’imagination, de dextérité et de quotient intellectuel qui caractérise nos dirigeants et qui est une condition pour leur accession au pouvoir.
D’un autre côté, des économistes éclairés s’expriment au sujet d’alternatives, dont l’essence peut être résumée par une affirmation: «L’État libanais n’est pas en faillite, il est même potentiellement riche.» Et c’est ce «potentiel» qui nous intéresse ici et dont nous allons fournir juste quelques pistes, parmi des dizaines d’autres.
- Le port de Beyrouth. À part qu’il est mal géré, et en partie phagocyté par le Hezbollah et sa contrebande, il comporte de larges surfaces vacantes ou inutilement occupées par des centaines de conteneurs qui s’entassent parce que les administrations concernées sont incompétentes. Et on est là sur des terrains qui valent des fortunes, de quoi créer un quartier de type mini-Défense. À plus petite échelle, les autres ports peuvent être aussi mieux exploités.
- L’aéroport. De l’espace vide à perte de vue, qu’on ne voit dans aucun autre aéroport alors que 8 millions de passagers y passent dans une année normale, avec un pouvoir d’achat moyen et supérieur. Une sous-exploitation que personne ne pense à rectifier. Sans oublier deux autres aéroports à l’abandon.
- Les services. Électricité, télécoms, eau… et d’autres encore qui accumulent ou ont accumulé des pertes, parfois massivement. Et tout le monde l’accepte comme une fatalité, avec une allégresse infinie quand on arrive à un semblant d’équilibre. Alors que dans tous les pays à économie libérale, ces services, bien gérés par le privé, font des bénéfices.
- Le casino. Un projet de loi, bloqué depuis des années au Parlement, devait permettre au Casino du Liban d’ouvrir des antennes ou mini-salles de jeu dans les régions. On avait alors proposé Beyrouth, Broummana, Aley, Batroun, Zahlé, Jezzine… et l’aéroport. En passant une seule loi déjà prête et déposée, on peut quintupler ses revenus, et dans la foulée, augmenter ceux de l’aéroport, de tous les acteurs qui y travaillent, et du tourisme dans différentes régions.
- La foire de Tripoli. On se gargarise occasionnellement qu’elle a été conçue par Oscar Niemeyer, mais on n’a aucun scrupule à laisser 700.000 mètres carrés au beau milieu de la ville, totalement à l’abandon. Pas d’exploitation étatique et pas de permission pour une exploitation privée.

- Les remblais. Ceux de la marina Joseph Khoury et ailleurs. Sur ce terrain gagné sur la mer à Dbayé, l’État a droit à 330.000 m2, qu’il n’a jamais exploités. En 2019, ça valait 1 milliard de dollars. Alors que la partie, équivalente, revenant à la famille Khoury, est déjà une ville, exploitée en partenariat avec l’Émirati Majid al-Fouttaim.
Par extension, on peut multiplier les projets de remblais et d’îles artificielles sur la côte dans des endroits qui ne présentent aucun autre intérêt, avec au moins la moitié des surfaces revenant à l’État. Dubaï en a fait une industrie des plus florissantes. Les «écologistes» qui pourraient crier au scandale en soulignant les risques sur l’espèce des jarbidis devront s’adapter à davantage de réalisme.
- Les terrains. On dit souvent que la plupart des terrains appartenant à l’État, représentant près de 20% du territoire, sont situés dans des endroits peu rentables. Cela dit, on n’a jamais dressé un inventaire sérieux. Et cela n’empêche que tout terrain peut être confié pour exploitation à un opérateur privé pour 5 ou 10 ou 20 ans selon qu’il est agricole ou plus ou moins urbain.  Aucun terrain ne vaut rien.
- La signature. La signature de l’État vaut de l’or. Car les autorités peuvent émettre tous genres de permis qui valent des fortunes: un troisième réseau de cellulaire, un permis d’installation et d’exploitation de fibres optiques, un permis pour une autre compagnie aérienne, un coefficient d’exploitation dans une région abandonnée ou sur le littoral (de la mer et des rivières), un permis de diffusion ou de communication… les champs sont illimités. On rappelle qu’à l’époque, le simple «étage Al-Murr» a rapporté des dizaines de millions de dollars.
On peut multiplier les exemples à l’infini. Et, face aux sceptiques,  on peut garantir la transparence en organisant à chaque fois des enchères publiques sous la supervision d’un audit international, en plus de notre Jean Ellieh national.
Mais reste la question: que faire de cet argent? Des associations bidons et quelques populistes de la pire gent des politiques ne veulent pas entendre parler de remboursement des déposants, comme si ceux-ci étaient des parias. Soit. Mais qu’en est-il des dettes de l’État? Est-il interdit de les rembourser aussi? Puis les services sociaux de santé et d’éducation en faillite? Et l’investissement dans l’infrastructure chancelante?
L’État, tel qu’il se présente maintenant, est en mode coma dépassé. Et ses dirigeants, baignant dans leur médiocrité, s’en sont bien accommodés. Leur plus grand souhait, en fait le souhait de tout gouverneur corrompu, est que le peuple s’en accommode aussi et entre dans le même coma.
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