Une délégation des Makassed islamiques pour la première fois au Vatican
©Dans un climat de franche bonne humeur le secrétaire d’État du Vatican le cardinal Pietro Parolin reçoit un choix d’ouvrages des mains de Mohammed Sammak. Au centre Fayçal Sinno président des Makassed islamiques. Au fond les épouses des deux hommes.

Discrètement, sans battage médiatique, une délégation des Makassed islamiques, conduite par Mohammed Sammak et Fayçal Sinno, président de l’association, s’est rendue au Vatican, le 28 mars dernier. La délégation, dont c’était la première visite au Saint-Siège en 138 ans d’existence, a été longuement reçue par le secrétaire d’État, Pietro Parolin, à qui elle a confié son souhait de développer un accord de coopération passé l’an dernier entre ses 24 établissements scolaires et le secrétariat général des écoles catholiques au Liban.
Fondée en 1876, l’Association des Makassed islamiques est la plus ancienne et la plus prestigieuse des associations de la communauté sunnite au Liban. Proche de Dar el-Fatwa, l’instance de référence de la communauté sunnite, elle fournit des services dans trois secteurs principaux: l’éducation, les services sociaux et les soins de santé. Elle compte 24 écoles dans tout le Liban, une université, des mosquées, des hôpitaux et dispensaires, un groupe scout et des institutions culturelles.
Employant au total quelque 10.000 personnes, l’institution fonctionne grâce à ses fonds propres, mais reçoit aussi, pour certains de ses services, des aides de l’Arabie saoudite. C’est le cas, par exemple, du service de dialyse de l’hôpital des Makassed, à Beyrouth. En revanche, M. Sammak assure qu’elle «a perdu tous ses bienfonds dans le centre-ville», livrés aux opérations de la société immobilière Solidere.
La visite au Vatican avait pour objectif le développement de la coopération entre le réseau scolaire des Makassed – un peu moins de 6.000 élèves – et celui du secrétariat des écoles catholiques au Liban, qui scolarisent environ le tiers des élèves du Liban (environ 200.000 enfants). À l’ordre du jour, des échanges au niveau des élèves, des enseignants et des programmes. «Nous voulons donner une impulsion sans réserve à notre accord de coopération, qui en est à son premier anniversaire», assure le président des Makassed.
«La délégation des Makassed a été reçue 50 minutes durant par le cardinal Parolin. Enthousiasmé par le projet, le secrétaire d’État du Vatican a demandé à son secrétaire d’appeler, séance tenante, le père Youssef Nasr, président du secrétariat général des écoles catholiques, pour l’encourager dans cette direction, estimant qu’il peut contribuer au renforcement du vivre-ensemble et à la culture du dialogue», a affirmé Fayçal Sinno.
Une rencontre de coordination avec le père Nasr se tiendra après la fin du mois de jeûne du Ramadan, décide-t-on sur-le-champ. Cet éducateur et administrateur affirme garder à l’esprit «l’époque heureuse où les écoliers ne songeaient même pas aux différentes appartenances communautaires de leurs camarades de classe». «La haine et la méfiance ne doivent pas exister dans notre dictionnaire», assure-t-il.
«Nous avons librement parlé de tout avec le cardinal Parolin», ajoute le président des Makassed qui avoue avoir été «surpris» par la connaissance détaillée de la réalité libanaise dont faisait preuve son interlocuteur.
La délégation des Makassed au passage de la papamobile du pape François.

«Entêtement» et «égoïsme»
En nous voyant insister, M. Sinno révèle que le secrétaire d’État du Vatican s’est dit «attristé» par le blocage de la présidentielle et ce qu’il révèle parfois «d’entêtement, voire d’égoïsme» de la part des différentes leaders, sans négliger pour autant les enjeux géopolitiques de cette échéance.
En revanche, le président des Makassed n’a pas tari d’éloges en évoquant «les qualités exceptionnelles de foi et de bonté» de son interlocuteur et l’atmosphère générale qui règne au Vatican.
Pour sa part, joint au téléphone, le père Youssef Nasr a confirmé l’intention de son secrétariat «de consolider l’espace commun de valeurs aux deux associations» et l’encouragement reçu à cette fin par le Vatican. «C’est ça le Liban, a-t-il insisté, le Liban espace d’ouverture, espace de vivre-ensemble, espace de dialogue».
À la pointe du combat doctrinal
Mais les Makassed islamiques ne se limitent pas aux domaines scolaire, hospitalier et social. Depuis 2015, date de la «Déclaration de Beyrouth sur les libertés religieuses», dont les thèmes et l’appel à la citoyenneté seront repris par la Déclaration sur la fraternité humaine d’Abou Dhabi (2019), l’institution est à la pointe du combat doctrinal contre l’extrémisme musulman.
«L’ennemi est désormais dans la place. La vague extrémiste est arrivée jusqu’à nous, s’alarme M. Sammak. Nous pensions que notre société ouverte et libérale, compte tenu de sa composition multiculturelle, était à l’abri de ce phénomène. Aujourd’hui, nous sommes surpris et choqués par sa virulence, notamment parmi les jeunes.»
«Il faut combattre l’extrémisme de l’intérieur même de l’islam, insiste Mohammed Sammak. On ne peut se contenter de dire: ce n’est pas ça l’islam. Il faut convaincre les musulmans avec des arguments tirés de la foi musulmane, du Coran.»
Au sujet de la guerre en cours à Gaza, il n’est pas inutile de rappeler que, dès le14 septembre 2020, dans une tribune intitulée «Assez c’est assez», Mohammed Sammak avait déclaré: «Le mouvement Hamas forme, au sein de la bande de Gaza, un mini-État au sein du projet d’État palestinien, tout comme le Hezbollah au Liban forme un mini-État au sein de l’État libanais. Rien de bon ne peut sortir de ces deux négations de l’État, fussent-elles justifiées par la plus sacrée et la plus noble des causes, celle de la résistance.»
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