«Apologie de l'amour foudre»: le ricochet du destin…

Il est vrai que l’inéluctable ricochet du destin finit toujours par vous rattraper. Dès les premières phrases de la critique de Jean-Jacques Bedu sur Apologie de l’amour foudre de Philippe Ségur, publiée dans Mare Nostrum, une irrépressible pulsion de vous plonger corps et âme dans cet ouvrage s’empare de vous, tant il semble résonner avec des expériences intimes gravées dans votre chair et votre mémoire.
Impossible d’attendre une seconde de plus pour vous plonger dans ce livre. Dès l’annonce de sa sortie pour le 8 mars, vous précommandez l’ouvrage sur Cultura avec une livraison express sur Paris. Le 9 mars, à Beyrouth, vous tenez enfin en main ce roman tant attendu. Vous êtes probablement l’une des premières lectrices à le découvrir, et quelle révélation! Chaque mot, chaque scène fait écho en vous avec une intensité troublante, ravivant des souvenirs enfouis, un passé peu glorieux. La douleur infligée à Pratt vous est terriblement familière. Vous l’avez vous-même infligée, dans une autre vie, à un autre «Pratt», consumé lui aussi par les flammes d’une passion destructrice.
Malgré une opération récente à l’œil droit, vous dévorez ce livre avec l’œil valide et une avidité fébrile, incapable de vous en détacher, ne serait-ce qu’une seconde. La plume envoûtante de Philippe Ségur vous entraîne dans les méandres d’une passion amoureuse aussi enivrante que tumultueuse entre Pratt, professeur de littérature, et Shesha El-Hassan, une Franco-Libanaise au charme magnétique. Leur rencontre foudroyante à l’aéroport du Caire fait vibrer en vous une corde douloureusement familière. Cette collision de deux âmes marque le début d’une relation à distance aussi intense que troublée.
D’abord envoûté par Shesha, Pratt réalise bien vite qu’elle est la seule à tirer les ficelles de leur relation. Incapable de résister à son emprise, il est prêt à toutes les concessions par amour, s’enfonçant chaque jour davantage dans les affres d’un terrible tourment intérieur. L’omniprésence d’un ex-amant possessif, les absences répétées et les déclarations sans ambiguïté de Shesha révèlent une femme éprise de liberté, refusant toute forme d’exclusivité. Avec une lucidité implacable, l’auteur explore les rouages de cette relation toxique, minée par la frustration, la jalousie et une dépendance affective dévorante, précipitant inexorablement Pratt dans un gouffre de désespoir.
Philippe Ségur dissèque les mécanismes de cet amour fou. Il expose sans concession l’asymétrie profonde d’une relation où Shesha, insaisissable et volatile, impose ses désirs et ses caprices à un Pratt subjugué, enchaîné par sa propre obsession. Une dynamique perverse et toxique, vouée à une implosion inéluctable. Tout bascule lorsqu’à l’issue d’un de ses nombreux séjours à Paris, Pratt rejoint Shesha et se heurte à l’apparition de Grishka Borodine, un artiste russe pour lequel elle éprouve une attirance réciproque.
«Peu importe la douleur, l’humiliation, la trahison, la mort de l’âme, tout ce qui comptait, c’était elle, la posséder encore, même moins qu’elle m’avait possédé, car c’était elle, seulement elle, cette femme vénéneuse et sublime à laquelle, tout en souhaitant m’en défaire, je désirais par-dessus tout m’aligner.»
Cette citation illustre avec puissance l’emprise absolue de Shesha sur Pratt. Lorsque Shesha met fin brutalement à leur liaison, sans la moindre explication, Pratt est anéanti.

Au fil des pages, la justesse des sentiments dépeints vous saisit. Chaque mot, savamment choisi, vous fait ressentir jusqu’aux tréfonds les tourments et les extases des personnages.  L’écriture maîtrisée de Ségur se déploie avec une grâce douloureuse et vous entraîne dans un tourbillon d’émotions.
Le dénouement, qu’il serait sacrilège de dévoiler, vous saisira à la gorge par une rédemption aussi fulgurante qu’inattendue. Sachant que l’acte d’écriture est avant tout un miroir de l’âme de l’auteur, Ségur s’incarne-t-il en Pratt, en Shesha, ou les deux alternativement ? C’est dans cette ambiguïté troublante que réside toute la puissance de cette prose sublime.
Vous, lectrice innocente, vous voilà soudain projetée dans la peau d’une actrice impuissante, ébranlée par un effet miroir d’une puissance rare qui fait ressurgir votre propre histoire, couchée sur le papier dans un roman autobiographique datant de 2018. Un tremblement de terre émotionnel secoue les fondations de votre être quand vous comprenez, avec une clarté aussi éblouissante que déstabilisante, que ce témoignage, né d’une expérience déchirante, aurait pu être un baume apaisant pour les blessures de Pratt Saker, ce protagoniste meurtri. Chacun de vos mots aurait pu panser ses plaies, chaque page lui crier avec une encre mêlée de larmes qu’il n’était pas le seul à avoir été dévoré par les flammes de cet amour «tueur».
Apologie de l’amour foudre est une déflagration littéraire qui vous saisit à la gorge dès les premières lignes, une œuvre aussi puissante que viscérale qui fera vibrer la corde sensible de tous ceux qui ont un jour été consumés par les flammes de la passion.
Ce livre est un must absolu pour quiconque est prêt à plonger la tête la première dans les abysses insondables de la psyché humaine et à affronter ses propres démons les yeux dans les yeux. Une expérience de lecture cathartique qui vous secouera, vous laissant à vif et le cœur à nu.
Si cette chronique assume sans détour sa subjectivité nourrie d’un vécu personnel, le roman, lui, s’impose objectivement comme un monument littéraire, un chef-d’œuvre absolu.
Philippe Ségur, Apologie de l'amour foudre, Buchet Chastel, 07/03/2024, 1 vol. (310 p.)
 
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