©Mathias Enard écrivain français et président du jury du «Choix Goncourt».
Crédit photo : Adem Alatan/AFP
Malgré des relations parfois tendues avec la France, la Turquie renoue avec sa tradition francophone en désignant son premier «Choix Goncourt».
La Turquie a franchi une étape symbolique dans ses liens avec la francophonie en désignant, mercredi dernier, son tout premier «Choix Goncourt». Sous la présidence de l’écrivain français Mathias Enard, un jury composé d’une cinquantaine de lecteurs turcs, principalement des étudiants et des enseignants d’Ankara, d’Istanbul et d’Izmir, a récompensé Neige Sinno pour son roman Triste Tigre. Cette œuvre, qui a déjà remporté plusieurs prix littéraires en France fin 2023, dont le Femina et le Goncourt des lycéens, a séduit les jurés turcs par la délicatesse avec laquelle l’auteure aborde le thème délicat de l’inceste.
Cette première édition du «Choix Goncourt de la Turquie» s’inscrit dans le cadre des prix Goncourt décernés hors de France, auxquels participent plus d’une quarantaine de pays. Mais au-delà de l’aspect littéraire, cet événement a aussi permis de souligner la place importante qu’occupe la Turquie dans le monde de la francophonie, comme l’a souligné Sylvie Lemasson, directrice de l’Institut français de Turquie.
En effet, malgré le fait que le français ne soit plus la première langue étrangère enseignée dans le pays comme c’était le cas aux débuts de la République turque, la langue de Molière reste très présente dans le paysage éducatif turc. Avec treize écoles et deux universités francophones, qui rassemblent plus de 10.000 élèves et étudiants, la Turquie a su préserver une tradition francophone qui remonte à l’époque de l’Empire ottoman.
Mathias Enard, qui entretient une relation particulière avec la Turquie, ayant notamment écrit sur Istanbul dans son roman Boussole, lauréat du Goncourt en 2015, souligne que le français est perçu en Turquie comme une langue «plus littéraire, plus culturelle que l’anglais». Selon lui, ce qui fascine dans l’histoire turque, c’est sa capacité à se confronter aux défis et aux transformations, tout en sachant se réinventer en permanence.
Cependant, les relations entre la Turquie et l’Occident, en particulier avec la France, ont connu des moments de tension ces dernières années, notamment sous le gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan. Des différends sur les droits d’exploration gazière en Méditerranée orientale, disputés à la Grèce et à Chypre, ont même conduit à des menaces d’expulsion d’enseignants français de la prestigieuse université Galatasaray à Istanbul en 2021.
Malgré ces tensions, Mathias Enard estime que la Turquie n’est pas obligée de choisir entre son aspiration à devenir une démocratie européenne et son ambition d’être une force politique et militaire régionale. Selon lui, la Turquie joue un rôle clé vis-à-vis de l’Occident et ne peut pas être uniquement moyen-orientale, compte tenu de sa position géographique unique, à cheval entre l’Asie et l’Europe.
La désignation du premier «Choix Goncourt de la Turquie» apparaît donc comme un symbole fort du lien indéfectible qui unit la Turquie à la francophonie, malgré les aléas géopolitiques. Un lien qui, à l’image d’Istanbul, se nourrit de la richesse de sa double appartenance culturelle.
Avec AFP
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