- Accueil
- Guerre au Moyen-Orient
- La guerre d’Iran n’aura pas lieu
Il faut être pacifiste comme Jean Giraudoux pour affirmer que le sang ne coulera pas et qu’on peut désamorcer les querelles. Dans sa pièce La Guerre de Troie n’aura pas lieu, le dramaturge français nous campe le personnage d’Hector en guerrier las et épris d’accalmie, tout à l’opposé de son frère, le belliciste Pâris qui a enlevé la belle Hélène. Cassandre a beau lancer des imprécations prémonitoires : personne ne l’écoute. Et comme on peut aisément l’imaginer, la guerre, dans sa fatalité, l’emportera toujours sur la paix comme sur les bons offices et les tentatives de résolutions pacifiques des conflits. Car nous sommes au Proche-Orient, dans des pays aux frontières artificielles, où sociétés humaines et groupements ethniques et confessionnels ne sont guère apaisés.
Mais à quoi donc tient cette fatalité sanguinaire qui, d’une génération à l’autre, décime la fine fleur de nos jeunes gens si prometteurs ? Est-elle due à « l’attraction produite sur le guerrier par la guerre» (Sophie Jarel) ou plus précisément à l’illusion héroïque qui enivre les foules chauffées à blanc par des harangues populistes?
La violence politique revêt souvent les formes de la vengeance privée à l’époque antéislamique de la Jahiliya. Les nations sémitiques, tout comme le peuple aryen de l’Iran, ont intériorisé cette attitude primaire. Difficile de s’en défaire ! Ainsi, Israël ne serait qu’un prétexte ou un alibi pour donner libre cours à l’agressivité inscrite dans leur ADN qui est le nôtre.
Une digression juridique
Qu’en est-il aujourd’hui de l’ordre international régulé par la Charte de l’Organisation des Nations unies? Le principe est des plus clairs: les différends ne peuvent être réglés que pacifiquement. Le paragraphe 4 de l’article 2 de ladite Charte dispose que «les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute manière incompatible avec les buts des Nations unies».
Alors que dire du pugilat auquel se livrent l’Iran et l’État hébreu à partir de cette première quinzaine d’avril 2024? Les frappes réciproques relèvent de quelle catégorie juridique: de celle des mesures de rétorsion, des contre-mesures ou des représailles?
Si la rétorsion est une mesure hostile, elle n’est pas pour autant illicite, comme le serait l’expulsion d’un agent diplomatique par exemple. C’est une mesure de coercition qui n’implique pas la violation d’un droit, contrairement à la contre-mesure qui est intrinsèquement illicite, à moins d’être exercée dans le but de sanctionner un fait internationalement illicite et de ne pas recourir à la force armée, comme le serait un embargo limité dans le temps. Ce qui fait que les accrochages militaires entre l’Iran et Israël relèvent de l’illicite et sont par conséquent condamnables en droit international, au même titre que les représailles.
En clair, l’usage de la force, aux yeux du droit, n’est licite qu’en cas de légitime défense et dans des conditions d’application très strictes.
Pitié pour Ispahan
Ispahan vient d’être prise pour cible par des frappes aériennes israéliennes, ce vendredi 19 avril. La ville chargée d’histoire avait atteint deux apogées, d’abord sous les Seldjoukides et puis sous les Séfévides. On aurait pu l’épargner, sa déchéance en tant que capitale provinciale «l’ayant préservée partiellement des excès de l’urbanisation aberrante de notre temps».
Les États-Unis n’ont pu dissuader le gouvernement Netanyahou de renoncer aux représailles. Et pas plus le State Department qu’une certaine presse israélienne de gauche. Car des vindictes, les intellectuels n’en voulaient pas! Bien au contraire, ils suggéraient de se saisir de l’instant propice pour relancer le processus d’une paix qui amènerait une résolution définitive de la question de Palestine.
Tous les arguments, aussi bien valides que fallacieux, avaient été soulevés à cet effet. On avait pu avancer qu’Israël avait désormais une opportunité en or pour mettre fin au cycle de la violence: l’État hébreu profiterait de ce moment stratégique pour jouer au magnanime et résoudre les problèmes qui, depuis sa création en 1948, l’empêchaient de vivre dans la bonne entente avec les pays frontaliers(1). Que ce serait dommage que Netanyahou et sa garde rapprochée laissent passer une occasion pareille qui ne se reproduirait plus!(2). Des voix pressantes n’avaient pas manqué de répéter à l’adresse des dirigeants à Tel-Aviv que l’Iran est un pays qui peut se rendre aux arguments de la raison, tant il a des intérêts à préserver; que son idéologie radicale s’est toujours accommodée de la réalité; et qu’il peut, certes, jouer au bord du gouffre et faire monter les enchères, mais qu’il n’est pas suicidaire(3). Et pour conclure, la gauche israélienne, échaudée par les massacres qui avaient fini par ternir l’image de leur pays et aliéner l’opinion mondiale, insistait pour que leur gouvernement se mette à l’écoute de ses alliés de toujours dans le monde occidental(4).
Comment ont-ils osé s’en prendre à nous?
Tout cela pouvait passer pour du plus raisonnable. Mais n’étions-nous pas plutôt dans le domaine de l’irrationnel, où prévaut l’instinct de vengeance, c’est-à-dire de survie? «Pour laver l’affront, lever l’offense et sauver la face, il faudrait porter un coup au moins équivalent.»(5)
Peut-être faut-il reconnaître à la vengeance «une grandeur terrible, une sublimité», tant elle rétablit l’impossible justice(6). Et l’offense est un tel scandale que l’une et l’autre des parties doivent toujours être en train de se poser la même question: «Comment ont-ils osé s’en prendre à nous?»
[email protected]
1-Yossi Melman, «The aftermath of Iran's attack is an opportunity to end Israel's wars on all fronts», Haaretz, 15 avril 2024.
2- Anshel Pfeffer, «Iran’s attack is a strategic opportunity for Israel. Will Netanyahu squander it?», Haaretz, 14 avril 2024.
3-Ali Fathollah-Nejad, «The Islamic Republic of Iran is not a suicidal regime. That’s Fortunate for Israel», Haaretz, 15 avril 2024.
4-«After months of alienation, Israel will only win by listening to its allies», Haaretz, 15 avril 2024.
5-Bourdin, Chauvaud, Gaussot & Keller, Faire justice soi-même, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 13.
6-Ibid., p. 7.
Mais à quoi donc tient cette fatalité sanguinaire qui, d’une génération à l’autre, décime la fine fleur de nos jeunes gens si prometteurs ? Est-elle due à « l’attraction produite sur le guerrier par la guerre» (Sophie Jarel) ou plus précisément à l’illusion héroïque qui enivre les foules chauffées à blanc par des harangues populistes?
La violence politique revêt souvent les formes de la vengeance privée à l’époque antéislamique de la Jahiliya. Les nations sémitiques, tout comme le peuple aryen de l’Iran, ont intériorisé cette attitude primaire. Difficile de s’en défaire ! Ainsi, Israël ne serait qu’un prétexte ou un alibi pour donner libre cours à l’agressivité inscrite dans leur ADN qui est le nôtre.
Une digression juridique
Qu’en est-il aujourd’hui de l’ordre international régulé par la Charte de l’Organisation des Nations unies? Le principe est des plus clairs: les différends ne peuvent être réglés que pacifiquement. Le paragraphe 4 de l’article 2 de ladite Charte dispose que «les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute manière incompatible avec les buts des Nations unies».
Alors que dire du pugilat auquel se livrent l’Iran et l’État hébreu à partir de cette première quinzaine d’avril 2024? Les frappes réciproques relèvent de quelle catégorie juridique: de celle des mesures de rétorsion, des contre-mesures ou des représailles?
Si la rétorsion est une mesure hostile, elle n’est pas pour autant illicite, comme le serait l’expulsion d’un agent diplomatique par exemple. C’est une mesure de coercition qui n’implique pas la violation d’un droit, contrairement à la contre-mesure qui est intrinsèquement illicite, à moins d’être exercée dans le but de sanctionner un fait internationalement illicite et de ne pas recourir à la force armée, comme le serait un embargo limité dans le temps. Ce qui fait que les accrochages militaires entre l’Iran et Israël relèvent de l’illicite et sont par conséquent condamnables en droit international, au même titre que les représailles.
En clair, l’usage de la force, aux yeux du droit, n’est licite qu’en cas de légitime défense et dans des conditions d’application très strictes.
Pitié pour Ispahan
Ispahan vient d’être prise pour cible par des frappes aériennes israéliennes, ce vendredi 19 avril. La ville chargée d’histoire avait atteint deux apogées, d’abord sous les Seldjoukides et puis sous les Séfévides. On aurait pu l’épargner, sa déchéance en tant que capitale provinciale «l’ayant préservée partiellement des excès de l’urbanisation aberrante de notre temps».
Les États-Unis n’ont pu dissuader le gouvernement Netanyahou de renoncer aux représailles. Et pas plus le State Department qu’une certaine presse israélienne de gauche. Car des vindictes, les intellectuels n’en voulaient pas! Bien au contraire, ils suggéraient de se saisir de l’instant propice pour relancer le processus d’une paix qui amènerait une résolution définitive de la question de Palestine.
Tous les arguments, aussi bien valides que fallacieux, avaient été soulevés à cet effet. On avait pu avancer qu’Israël avait désormais une opportunité en or pour mettre fin au cycle de la violence: l’État hébreu profiterait de ce moment stratégique pour jouer au magnanime et résoudre les problèmes qui, depuis sa création en 1948, l’empêchaient de vivre dans la bonne entente avec les pays frontaliers(1). Que ce serait dommage que Netanyahou et sa garde rapprochée laissent passer une occasion pareille qui ne se reproduirait plus!(2). Des voix pressantes n’avaient pas manqué de répéter à l’adresse des dirigeants à Tel-Aviv que l’Iran est un pays qui peut se rendre aux arguments de la raison, tant il a des intérêts à préserver; que son idéologie radicale s’est toujours accommodée de la réalité; et qu’il peut, certes, jouer au bord du gouffre et faire monter les enchères, mais qu’il n’est pas suicidaire(3). Et pour conclure, la gauche israélienne, échaudée par les massacres qui avaient fini par ternir l’image de leur pays et aliéner l’opinion mondiale, insistait pour que leur gouvernement se mette à l’écoute de ses alliés de toujours dans le monde occidental(4).
Comment ont-ils osé s’en prendre à nous?
Tout cela pouvait passer pour du plus raisonnable. Mais n’étions-nous pas plutôt dans le domaine de l’irrationnel, où prévaut l’instinct de vengeance, c’est-à-dire de survie? «Pour laver l’affront, lever l’offense et sauver la face, il faudrait porter un coup au moins équivalent.»(5)
Peut-être faut-il reconnaître à la vengeance «une grandeur terrible, une sublimité», tant elle rétablit l’impossible justice(6). Et l’offense est un tel scandale que l’une et l’autre des parties doivent toujours être en train de se poser la même question: «Comment ont-ils osé s’en prendre à nous?»
[email protected]
1-Yossi Melman, «The aftermath of Iran's attack is an opportunity to end Israel's wars on all fronts», Haaretz, 15 avril 2024.
2- Anshel Pfeffer, «Iran’s attack is a strategic opportunity for Israel. Will Netanyahu squander it?», Haaretz, 14 avril 2024.
3-Ali Fathollah-Nejad, «The Islamic Republic of Iran is not a suicidal regime. That’s Fortunate for Israel», Haaretz, 15 avril 2024.
4-«After months of alienation, Israel will only win by listening to its allies», Haaretz, 15 avril 2024.
5-Bourdin, Chauvaud, Gaussot & Keller, Faire justice soi-même, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 13.
6-Ibid., p. 7.
Commentaires