Au 26ᵉ anniversaire des accords du Vendredi saint – un jalon historique crucial qui a scellé la paix entre loyalistes protestants et nationalistes catholiques nord-irlandais –, le spectre de l'incertitude plane plus que jamais sur l'avenir de l'Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni.
Cet accord, autrefois considéré comme une pierre angulaire de la stabilité régionale, est maintenant confronté à des vents contraires, exacerbés par l’arrivée au pouvoir d'une Première ministre nationaliste, Michelle O’Neill. Cette ascension politique reflète un changement d'opinion public, témoignant d'une désaffection croissante envers l'adhésion à la Grande-Bretagne.
Cette évolution surprenante est d'autant plus remarquable lorsque l'on considère le long passé d'attachement de l'Irlande du Nord à la couronne britannique, avec une majorité de protestants loyalistes. Qu'a-t-il donc fallu pour que ce sentiment d'appartenance se fissure ?
Le Brexit, sans aucun doute, et les tumultes qui ont accompagné les négociations autour du protocole d'Irlande du Nord ont entraîné une paralysie prolongée des institutions politiques locales. Encore faudrait-il desceller les racines du problème.
Retour au 23 juin 2016: les Britanniques se prononcent, par la voie d’un référendum, en faveur du Brexit. L'écart de perceptions devient ainsi manifeste. Contrairement aux choix exprimés en Angleterre et au Pays de Galles, l'Irlande du Nord – tout comme l'Écosse – exprime son souhait de demeurer au sein de l'Union européenne (UE), avec un soutien dépassant les 55%. Ainsi commence à se développer un sentiment d'injustice.
Dans cette optique, le Pofesseur Anand Menon, éminent spécialiste des affaires nord-irlandaises au King's College de Londres et directeur de l'Institut UK in a Changing Europe, souligne: «Nous devons accepter le fait que le processus du Brexit a entraîné une réflexion significative sur l'union du Royaume-Uni.» Il ajoute que «la majorité à Westminster (les conservateurs, NDLR) nie les problèmes persistants qui étaient à la fois prévisibles et anticipables – notamment dans l'analyse officielle qui accompagnait l'accord de retrait lors de sa soumission au Parlement». Il poursuit: «Les Nord-Irlandais, tout comme les Écossais, se sentent exclus du processus décisionnel en faveur des Anglais, alimentant ainsi un soutien croissant à l'indépendance pour rétablir leur souveraineté.»
Cependant, le véritable point de rupture réside dans les obstacles rencontrés lors des négociations concernant le protocole nord-irlandais. Les accords du Vendredi saint, conclus sous l'égide du Premier ministre Tony Blair en 1998, prévoyaient l'abolition des frontières et la libre circulation des biens entre les deux territoires.
Toutefois, le Brexit a posé un défi majeur: l'Irlande, en tant que membre de l'UE, ne peut maintenir un régime de libre-échange avec une région non membre, en l'occurrence l'Irlande du Nord, et par extension avec le reste du Royaume-Uni. Malgré les assurances répétées de l'ancien Premier ministre britannique Boris Johnson lors de sa campagne électorale, promettant l'absence de contrôles douaniers sur les échanges entre l'Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni, il a ultimement accepté une proposition de l'UE qui allait dans ce sens. Cette volte-face a suscité des contestations et des manifestations de mécontentement au sein de la population, qui s'est sentie une fois de plus marginalisée. Ces tensions ont conduit à une paralysie prolongée des institutions nord-irlandaises, le gouvernement loyaliste de l'époque refusant catégoriquement toute forme de contrôle douanier entre l'Irlande du Nord et le reste du pays.
Une source haut-placée à Downing Street a dans ce sens affirmé: «Le Premier ministre Richie Sunak a déployé tous les efforts possibles pour restaurer une stabilité nord-irlandaise au sein du Royaume-Uni, car leur appartenance à l'union britannique est essentielle.» Il ajoute: «Contrer toute montée du sentiment nationaliste, devenu indéniablement plus préoccupant, fait aussi partie de ses priorités.» Cette même source a ainsi conclu: «Les erreurs du passé et le fait d'avoir négligé les problèmes pendant si longtemps n'ont certainement pas contribué à améliorer la situation», faisant sans doute allusion à la mauvaise gestion de ce dossier par les gouvernements précédents, sans pour autant les nommer.
Au stade actuel, une question se pose: l’arrivée de la nationaliste Michelle O’Neill au pouvoir en Irlande du Nord annonce-t-elle le début du processus de sortie du Royaume-Uni Constitutionnellement, cela ne veut pas dire grand-chose. En effet, depuis la signature des accords du Vendredi saint, il a été établi que le pouvoir (donc accessoirement le gouvernement d’union nationale) est équitablement réparti entre loyalistes et nationalistes. Le poste de chef du gouvernement n’offre donc pas les prérogatives nécessaires pour enclencher le vote d’indépendance, qui sont d’ailleurs détenues par Westminster à Londres. Toujours est-il qu’il s’agit d’une grande victoire symbolique, preuve d’un basculement de plus en plus notable de l’opinion publique. Les promesses croissantes des nationalistes d’organiser un référendum d’indépendance d’ici quelques années sont ainsi non tenables, sauf accord de la Chambre des représentants et assentiment royal.
Serons-nous un jour témoins de l’union des deux Irlande? Une chose demeure certaine: le processus risque d’être très long et ce ne sera pas demain la veille!
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