Dans un revirement surprenant de situation, la Chambre des représentants américaine a récemment adopté un projet de loi allouant des aides financières et militaires considérables à l’Ukraine, à Israël et à Taïwan.
Cette législation, totalisant une somme astronomique de 95 milliards de dollars, a obtenu un soutien bipartisan après plus de six mois de blocage. Le texte prévoit d’attribuer 61 milliards de dollars à l’Ukraine, 26 milliards de dollars à Israël et 8 milliards de dollars à Taïwan, dans le cadre des efforts menés contre la montée en puissance de la Chine.
Après son adoption à la Chambre des représentants, le projet de loi a suivi son chemin démocratique. Il a été validé mardi par le Sénat, où le parti démocrate est majoritaire et où il n’a donc pas rencontré d’opposition sérieuse. Il a été ensuite soumis au garant de l’exécutif fédéral, le président Joe Biden, qui l’a signé mercredi.
Ce changement, intervenu après des mois marqués par de vifs débats autour de l’opportunité d’une implication de Washington dans des guerres à l’étranger, soulève une question fondamentale: quels sont les facteurs effectifs qui ont conduit au déblocage?
Le blocage des aides américaines, exacerbé par l'inflexibilité du Parti républicain, en particulier des représentants trumpistes, a entraîné des répercussions dévastatrices pour l’Ukraine, dans sa guerre avec la Russie. L’isolationnisme prôné par le candidat républicain à la présidence américaine a favorisé l’obstruction parlementaire. Dans un effort de compromis, une proposition de coupler une loi bipartisane d’assistance à l’Ukraine avec une allocation de fonds supplémentaires pour renforcer les frontières du sud, afin de prévenir l’immigration illégale, a été avancée. Cette initiative a été cependant jugée insuffisante par l’ancien président Donald Trump, conduisant ainsi à l’échec du projet de loi sur l’immigration et, par extension, à celui des aides américaines.
Toutefois, quelques efforts de sensibilisation stratégiques de la part de sénateurs républicains, une visite médiatisée du président de la chambre Mike Johnson, des discussions avec des dirigeants mondiaux tels que le président polonais et le ministre des Affaires étrangères britannique, David Cameron, ainsi qu’un petit amendement, politiquement significatif, apporté au projet de loi, ont permis de convaincre Donald Trump de ne pas entraver l’adoption du texte. Cela a ouvert la voie à Mike Johnson pour former une coalition de représentants républicains prêts à voter en faveur de ces aides.
Les considérations trumpistes
Un changement clé dans le projet de loi consistait à prévoir 9,5 milliards de dollars d’aide économique sous forme de prêts annulables et non de subventions, afin de s’aligner sur une idée que Donald Trump avait avancée quelques mois plus tôt. Selon des sources proches de l’ancien président, interrogées par le Wall Street Journal, celui-ci serait ouvert à prendre en considération l’avis de ceux qui ont mis en garde contre les conséquences potentielles d’une victoire russe. Cela intervient aussi au moment où le directeur de la CIA William Burns a affirmé détenir des informations et des rapports selon lesquels l’Ukraine pourrait perdre sa guerre contre la Russie d’ici à la fin de l’année si les aides américano-européennes ne sont attribuées.
Rappelons que M. Trump est extrêmement critiqué pour son éventuelle gestion du dossier ukrainien en cas de victoire aux prochaines élections. Celui-ci dit pouvoir mettre un terme au conflit militaire entre Kiev et Moscou en moins de 24 heures et négocier une solution de paix. Cependant, de nombreux observateurs redoutent que l’ancien président favorise la Russie – surtout qu’il n’a jamais caché sa proximité avec le président russe Vladimir Poutine – et qu’il appuie un accord de paix qui pourrait octroyer à Moscou certains territoires ukrainiens, à commencer potentiellement par le Donbass. Il est aussi dûment critiqué pour ses prises de position anti-atlantistes et totalement démesurées en ce qui concerne ses alliés occidentaux.
Un catalyseur iranien
Parallèlement, l’Iran a semblé agir comme un catalyseur dans l’adoption du projet de loi sur les aides américaines.
Le timing de cet événement, consécutif aux frappes iraniennes sur Israël, ne relève probablement pas du pur hasard. Bien que cet élément n’ait sans doute pas été le seul facteur de déblocage, il a néanmoins joué un rôle déterminant dans l’accélération du processus.
Malgré son aspect principalement symbolique, l’attaque iranienne sur Israël a été un évènement d’ampleur inédite. Pour la première fois, l’Iran attaquait directement le territoire israélien avec plus de 400 drones et missiles balistiques.
N’oublions pas non plus que les relations entre Washington et Tel-Aviv s’étaient quelque peu détériorées ces derniers mois, notamment à cause des attaques israéliennes «démesurées» contre des civils à Gaza. Le président Joe Biden avait appelé ouvertement à un cessez-le-feu dans la guerre qui oppose Israël au Hamas, contestant l’approche du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, qu’il a considérée comme une «grosse erreur». Certains de ses alliés occidentaux avaient également commencé à critiquer ouvertement, dans les médias, les choix de Tel-Aviv.
Néanmoins, la collaboration américano-britannique dans l’interception de 99% des drones iraniens dans les espaces aériens irakien, syrien et libanais, suivie par l’adoption du projet de loi d’aides de 26 milliards de dollars (supérieur à la somme de 17 milliards de dollars initialement prévue) semble avoir constitué une victoire, du moins médiatique, pour un Benjamin Netanyahou devenu extrêmement impopulaire.
À tous ces facteurs qui ont conduit au déblocage des aides, il faut ajouter celui du nombre croissant et inédit, en 2023, des incursions chinoises continues en mer de Chine méridionale, principalement contre Taïwan.
Ce qu’il faut voir maintenant, c’est l’impact de ce financement américain de grande ampleur sur les trois dossiers ukrainien, israélien et chinois. Avec 61 milliards de dollars pour l’Ukraine, serions-nous témoins d’un inversement des rapports de force sur le terrain? Le financement des 26 milliards de dollars pour Israël est-il la preuve de la solidification des relations récemment tendues entre Biden et Netanyahou? Les quelque 8 milliards de dollars pour la lutte contre l’expansionnisme chinois auront-ils un impact sur les incursions répétées en mer de Chine méridionale?
Seul l’avenir nous le dira...
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