Dans la «guerre de basse intensité» qu’il mène, depuis le 8 octobre, contre Israël et en appui au Hamas et au Jihad islamique, le Hezbollah a officiellement déploré, à ce jour, la mort de 273 de ses hommes. Mais à ce jour aussi, ces sacrifices n’ont toujours pas valu au parti un acquis quelconque et leur impact sur ce qu’il se passe à Gaza est quasiment nul. En revanche, elles ont valu au Liban-Sud, d'énormes destructions tout aussi inutiles.
Le Liban est divisé au sujet de cette guerre, qui risque de le détruire, si elle s’élargit. Le Hezbollah et le mouvement Amal, y voient – à défaut d’un discutable impact militaire –, un «devoir moral», un geste de solidarité indispensable, selon eux, à l’égard de la cause palestinienne et de Gaza.
Mais au sein de ces groupes chiites, selon des sources fiables, les avis sont partagés sur son opportunité. Sur le terrain, chaque «ordre de mission» est perçu comme une partie de roulette russe, en raison de la supériorité aérienne de l’armée israélienne qui liquide l’un après l’autre les cadres de la formation pro-iranienne, de ses moyens d’observation et de surveillance, et de la coordination au sol de ses drones et de son artillerie.
C’est la raison pour laquelle, parmi les cadres du Hezb, certains souhaiteraient l’élargissement du conflit afin d’infliger des pertes décisives à Israël, avec les armes les plus pointues dont ils disposent et qui pourraient avoir, aux yeux d’Israël, une valeur dissuasive. Mais ce raisonnement, de toute évidence, pêche par son simplisme, du fait qu’un bombardement dévastateur d’Israël par des fusées de moyenne portée entraînera inévitablement la dévastation, aussi, du Liban.
Quoi qu’il en soit, même si des Libanais, parmi ceux qui défendent l’implication du Hezbollah dans la guerre entre Tel Aviv et le Hamas, mesurent la valeur du «devoir moral» invoqué pour cela par le Hezb, beaucoup pensent que ce «devoir» aurait pu s’exprimer autrement – sans entraîner des morts inutiles et des destructions incalculables. C’est notamment l'avis, chez les chrétiens, du Courant patriotique libre, fondé par l’ancien président Michel Aoun, qui avait scellé en 2006 un accord avec la formation pro-iranienne.
Selon des sources fiables, le général Aoun, s’exprimant en privé sur cette question, estime en substance que «l’on se dirige vers une bataille décisive» et que «les États-Unis ne laisseront pas le Hamas sortir victorieux de la bataille». «Le Liban n’a pas intérêt, lors des négociations qui suivront, à figurer aux côtés des vaincus», aurait-il souligné.
Mais dans tous les cas, où situerons-nous toutes ces morts, et en particulier celle des combattants du Hezb, dans la mémoire nationale, si le Liban veut rester fidèle à sa vocation historique? Des éléments de réponse à cette délicate question viennent d’être apportées par le patriarche latin de Jérusalem, le cardinal Pier-Battista Pizzaballa, dans un long entretien à Vatican News sur la guerre à Gaza et l’immense drame qu’elle a provoqué dans un Israël qu’elle a scindé en deux.
Pour l’évêque, la guerre de Gaza a changé et va changer tous les peuples de ce pays et toutes les personnes en poste de responsabilité. «Personne ne peut avoir la prétention de rester le même» après ce monstrueux conflit, affirme en particulier le patriarche latin, pour qui la solution à deux États semble de plus en plus inéluctable et se fera non pas par une solution imposée d’en haut, mais «par un dénouement venant de la base», des peuples concernés, grâce à un processus de rapprochement «lent et fatiguant», mais irremplaçable.
«En ce sens, précise le patriarche latin, je crois qu'il faut aussi examiner le récit chrétien qui, comme je l'ai dit, ne peut renaître qu'à partir d'une prise de conscience de ce qui constitue vraiment notre identité, en partant toujours de la réalité, de l'expérience concrète, de la réalité de notre foi.(…) Dans le passé, notre présence s'est concrétisée par la construction d'églises, d'écoles, d'hôpitaux. Aujourd'hui, nous ne sommes plus appelés à construire des structures, mais des relations: des relations avec nos 'autres', sachant que nous sommes leurs 'autres'.»
Ces conseils peuvent et doivent être transposés chez nous, et les Églises doivent en retenir l’essentiel. Celles-ci seront appelées, après ce conflit, non pas à cesser de construire des structures, mais à opérer une révolution spirituelle qui les transformera en «spécialistes des relations» avec les autres», en facilitateurs d’amitié entre les peuples, en esprit de service et dans la fidélité à l’Évangile.
Pour le cardinal Pizzaballa, «nul besoin de grands discours, il suffit de prendre un repas, un verre ensemble pour faire tomber les murs qui nous séparent. Un dîner ensemble peut faire plus qu’une conférence ou un document sur le dialogue interreligieux».
La reconquête de Jérusalem, la «Ville de la paix», doit se faire par la paix, et non par l’épée. Nous ne sommes plus au temps des Croisades. La conscience de l’histoire a fait des progrès depuis le Moyen Âge. Ce n’est pas sur les cadavres de 50.000 morts et 100.000 blessés que le monde islamique, qu’il soit chiite ou sunnite, doit franchir la distance qui le sépare de Jérusalem, mais grâce à un accord de paix entre les religions, telle que la construit patiemment le pape François, qui prépare en ce moment un voyage en Indonésie, la plus grande nation islamique du monde, dans l’esprit de la déclaration sur la fraternité humaine d’Abou Dhabi (2019). Une déclaration cosignée par le pape et le grand imam d’Al-Azhar, cheikh Ahmad el-Tayyeb.
Toutes les Églises sont désormais concernées par cette mutation et d’exclusives, devenir inclusives. Il ne suffit plus de chapitrer le Hezbollah tous les dimanches, en lui rappelant qu’il agit en dehors des règles constitutionnelles que les Libanais se sont librement donnés. Ces Libanais qui tombent «sur le chemin de Jérusalem» ne sont pas des étrangers, mais des compatriotes. Au «devoir moral» pour lequel ils ont été poussés à sacrifier leur vie, l’Église est appelée à répondre par le devoir de charité de les prendre en charge spirituellement, et à redire que la vengeance ne fera que renforcer le camp de leurs assassins, et que l’avenir, tôt ou tard, est au pardon mutuel.
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