Les momies de la Qadicha (1/2)
Qadicha ©shutterstock

Durant la seconde moitié du XIII° siècle, les armées mameloukes ont entrepris les attaques contre les villages de la Qadicha. Les habitants de Hadat se sont réfugiés dans une grotte inaccessible qui a fini par tomber aux mains de l’ennemi en 1283. Cette grotte, appelée Assi, a révélé de nombreux corps dont huit naturellement momifiés.

Les momies maronites ont été découvertes dans la vallée de Qadicha le 13 juillet 1990 par un groupe de spéléologues du Groupe d'études et de recherches souterraines du Liban (GERSL). L’équipe comprenait alors Pierre Abi Aoun, Fadi Baroudi, Antoine Ghaouch et Paul Khawaja.

Au bout de deux années de recherches et d’excavations dans la grotte de Assi dans le territoire de Hadat sur la vallée de Qadicha, ils sont tombés sur la première momie, celle d’une fillette de 4 mois qu’ils ont baptisée du nom de Yasmine. En tout, ils arriveront à exhumer 8 momies dont 5 enfants et 3 adultes ainsi que plusieurs squelettes.

Les momies

Les huit corps préservés avaient été naturellement momifiés par les conditions particulières de la grotte et son atmosphère dépourvue d’humidité. La terre dans laquelle ils avaient été inhumés est de nature sèche et dépourvue de micro-organismes qui, d’ordinaire, accentuent le processus de décomposition. Cette terre a agi comme un moulage étanche empêchant la formation de poches d'air nécessaires à la putréfaction. 

En attendant la restauration et la réouverture du Musée national de Beyrouth, Fadi Baroudi a dû protéger ce trésor durant les années dysfonctionnelles d’après-guerre. Il a fallu leur construire des sarcophages en plexiglass, y placer le gel de silice absorbeur d’humidité et surtout assurer le courant de manière ininterrompue pour les déshumidificateurs électriques. Ce n’est qu’au bout de cinq années, en 1995, que les momies ont pu enfin être remises au musée national.

Selon les coutumes du Moyen Âge, au Levant comme en Occident, la fillette Yasmine avait été protégée du froid hivernal par plusieurs couches de vêtements. Ainsi, sous son linceul, la voici vêtue d’une robe bleue, surmontée de deux autres beiges dont la dernière, plus foncée, est enrichie de broderies en fils de soie. Un bandeau également en soie lui cintre la chevelure protégée d’une coiffe de toile. Yasmine porte aussi des bijoux témoignant de son rang social. En plus de sa boucle d’oreille, son collier de perles en verre soufflé présente deux pièces de monnaie remontant à l’époque du sultan mamelouk Baybars (1260-1277).

 

Momie de Yasmine au Musée national de Beyrouth. (Photo GERSL)

 

Les Mamelouks

Les Mamelouks s’étaient élancés d’Égypte à la conquête des États latins du Levant qui sont tombés, duché après duché, seigneurie après seigneurie. Du royaume de Jérusalem au comté d’Édesse et à la principauté d’Antioche, rien ne résistait à l’avancée inexorable des armées mameloukes, excepté le comté de Tripoli dont les cités fortifiées s’adossaient solidement au Mont-Liban des maronites.

Ces derniers composaient le gros des effectifs des armées croisées. Dans son livre XXII (chapitre VIII), l’archevêque Guillaume de Tyr les décrivait comme «une manière de gens que l’on appeloit Suriens (Syriaques) qui abitent en la terre de Fénice (Phénicie), entor la terre de Libane (Liban), delez la cité de Gibelet (Byblos)Ils estoient genz moult hardies et preuz ès armes et meint granz secours avoient fet à nos Crestiens quand ils se combatoient à nos ennemis». Il fallait donc briser la montagne chrétienne pour pouvoir soumettre Tripoli. Il fallait supprimer sa population.

Le génocide lancé par les Mamelouks a duré dans sa première phase, des années 1260 à 1289, et a dévasté toute la région de Gebbet dont son chef-lieu de Bcharré, Hadat, Hasroun, Bqoufa et les autres villages de la Qadicha. Du plus gros bourg et jusqu’à la moindre grotte où s’étaient réfugiées les populations, en passant par les plus modestes hameaux, tout a été réduit en cendres. Le processus d’extermination ne s’est pas arrêté là pour autant. Une seconde vague d’épuration ethnique a été entreprise en 1305 et jusqu’en 1307 dans le Kesrouan qui englobait à l’époque, le Metn actuel. Et à nouveau en 1367, c’est le patriarche des maronites, Gabriel de Hgoula, qui a été brûlé vif sur la grande place de Tripoli. 


Les momies de Maryam et Sadaqa (Lebanon Untravelled)
 

L’assaut

Pour mieux comprendre les événements historiques relatifs à leur découverte, les membres du GERSL se sont plongés dans les anciens manuscrits syriaques maronites ainsi que dans les documents musulmans de l’époque mamelouke. Tous les récits évoquent l’histoire d’un assaut terrible et décisif. Les chercheurs se sont référés notamment au chroniqueur arabe Ibn Abed-al-Zahir (1223-1292) qui relate les événements sanglants de l’époque. 

Ce dernier parle de la capture, à Hadat, d’un patriarche maronite qui aurait été en mauvais termes avec les Francs. Il raconte comment «les Turkmènes l'ont trompé de sorte qu'ils l'ont capturé, lui ont bandé les yeux et l'ont fait prisonnier». Il rajoute aussitôt que «les musulmans ont été délivrés de lui et ont été épargnés de sa méchanceté». L’importance du personnage du patriarche maronite apparaît plus loin, lorsque le chroniqueur arabe assimile sa «capture à une grande conquête, plus grande encore que celle d'une place forte ou d'une forteresse».

Cette attaque est également mentionnée par les maronites eux-mêmes dans les notes marginales de deux Bibles retrouvées au XVII° siècle par le patriarche Estéphanos Douaihy au monastère de Mor-Aboun (aujourd’hui Saint-Antoine-de-Qozhaya). Il s’agit d’une note datée de l’an 1283 et dont l’auteur anonyme était un témoin oculaire. Le texte manuscrit sur la seconde Bible est daté de 1504 et ne fait que reprendre les renseignements de l’original de 1283. 

Conformément au récit du chroniqueur arabe, cette source maronite nous apprend aussi que «le 22 août de l’an 1283, les soldats musulmans se sont dirigés vers Hadat où les habitants s’étaient réfugiés dans une grotte». C’est cette grotte connue sous le nom de Assi, qui a sauvegardé un pan entier de notre histoire pour nous le livrer dans son état momifié, avec la vivacité de ses couleurs et la puissance de ses souffrances. C’est cette grotte de la vallée de Qadicha qui s’est résolue à faire vibrer notre passé et à nous le faire parler. 

 

 

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