«C’est lorsqu’on croit savoir que l’on est sûr de se tromper»

Chaque semaine, nous vous proposons d’explorer une citation marquante d’un grand psychanalyste, pour en révéler toute la profondeur et la richesse. Ces formules lapidaires, souvent provocantes, ouvrent des perspectives inédites sur les méandres de la psyché humaine. En décryptant ces citations avec rigueur et pédagogie, nous vous invitons à un voyage passionnant au cœur de la pensée psychanalytique, pour mieux comprendre nos désirs, nos angoisses et nos relations aux autres. Prêts à plonger dans les eaux profondes de l’inconscient?
«C’est lorsqu’on croit savoir que l’on est sûr de se tromper.» Cet aphorisme s’applique à tout sujet, y compris à l’ensemble des psys.
Pensée anonyme, elle peut certainement avoir été prononcée par un psychanalyste tellement elle trouve un écho particulièrement étroit avec la théorie et la pratique psychanalytiques. Elle nous invite à nous méfier des certitudes et des illusions que notre suffisance engendre. Elle est une exhortation au rabaissement de l’orgueil et de la toute-puissance de l’être humain, de son obsession, de la domination de la nature et de ses pairs par l’invention de techniques qui se retournent en définitive contre lui. Elle est un encouragement à la drastique réduction de sa croyance dans la maîtrise de sa volonté, cliché inculqué dès l’enfance avec la fameuse tarte à la crème: «vouloir, c’est pouvoir».
Avec S. Freud, nous savons qu’«il ne faut pas surestimer la valeur de la conscience pour notre vie psychique. La conscience ne nous livre que des fragments isolés de processus psychiques qui en eux-mêmes sont bien plus étendus». Le psychanalyste nous rappelle dans ses écrits que c’est souvent quand on croit détenir la vérité qu’on en est le plus éloigné puisque l’inconscient est une altérité radicale en nous qui déjoue sans cesse les certitudes imaginaires du moi et notre prétention à l’objectivité.
Très actives sont nos nombreuses motivations et nos connaissances inconscientes. Nous pouvons être convaincus que nous possédons une vérité, mais ce n’est qu’une bribe que nous saisissons par notre conscience, car ce n’est que dans notre inconscient que, si nous le souhaitons, nous pouvons essayer d’y trouver une part subjective, lors d’une psychanalyse par exemple.
Impossible, par ailleurs, d’écarter le jeu continu de nos fantasmes, qu’ils soient conscients ou inconscients, dans notre rapport à la réalité et sa construction. Nous pouvons croire que nous sommes objectifs dans notre perception alors qu’en fait, nous utilisons nos fantasmes pour donner un sens à notre expérience et pour naviguer dans le monde. Même si ces constructions peuvent être subjectives, elles peuvent nous sembler objectives alors qu’elles sont basées sur nos désirs inconscients.

Ainsi, nous pouvons dire que nos fantasmes influencent tout à fait inconsciemment la manière dont nous interprétons les informations et les événements, ils affectent notre regard, notre écoute, nos décisions et nos jugements. Parfois même, ils nous amènent à nier une réalité, particulièrement si celle-ci est en contradiction avec nos préjugés et nos croyances.
Nos mécanismes de défense, pourtant si nécessaires à notre équilibre psychique, ont néanmoins pour fonction de nous faire éviter de reconnaître des vérités bien inconfortables, telle la projection par laquelle nous attribuons à autrui nos propres sentiments ou désirs. L’interprétation d’un rêve montre, par exemple, comment notre psychisme a tendance à déformer nos perceptions, à les habiller en fonction de nos désirs inconscients et à nous présenter un scénario complexe, incohérent, étrange et déroutant, à l’image de notre psychisme. La citation de Freud selon laquelle «le moi n’est pas maître dans sa propre maison», souligne l’incomplétude fondamentale du savoir sur soi.
Notre inconscient, du fait qu’il «est structuré comme un langage» (Lacan), déploie des formations telles que les rêves, les lapsus, les oublis ou les symptômes sous forme de messages codés, des rébus dont le sens n’est jamais univoque ni immédiat. En procédant par équivoques, jeux de mots, déplacements de sens, l’interprétation analytique aura pour visée de faire résonner les signifiants inconscients au-delà de leur signification apparente.
Comme l’écrit encore Lacan, «la vérité ne peut que se mi-dire». Cela signifie qu’elle ne peut jamais être saisie intégralement, qu’elle comporte toujours une part d’indicible et d’insaisissable. L’inconscient est un savoir qui ne se sait pas, un savoir «troué» dont le sujet n’est pas maître. La tâche de l’analyse est d’en cerner les contours, d’en approcher le noyau sans jamais pouvoir le posséder totalement.
Toujours d’après Lacan, «il n’y a pas de vérité qui, à passer par l’attention, ne mente». Autrement dit, la vérité se structure de fiction et de mensonge, elle ne se donne que dans les interstices, les brisures du discours. C’est en acceptant de ne pas tout savoir, de se laisser surprendre, que l’on peut espérer toucher un bout de réel.
Freud nous avertit que «la psychanalyse ne promet pas le bonheur, elle promet la vérité et la vérité est souvent dure à entendre», reconnaissant la nécessité de la modestie humaine face à la complexité du psychisme humain. Le métier «impossible» qu’exerce non seulement le psychanalyste, mais tout psy, doit lui apprendre que, par souci d’éthique personnelle, il se doit de rester humble et de reconnaitre que son savoir dépend beaucoup moins de lui que de ce que le patient consent à lui livrer.
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