Il est des pays qui ont besoin d’être pris en charge. De trouver un autrui pour gérer, non seulement une situation exceptionnelle, mais la vie de tous les jours. Un schéma qui rappelle la période du mandat, de tous les mandats nés après la Première ou la Seconde Guerre mondiale. Des initiatives supposées construire un État qui n’en était pas, ou plus, organiser un pays qui l’était à peine.
Notre mandat français l’a fait aussi, avant de conclure en 1943. Depuis, politiquement, on a eu pas mal de tribulations, jusqu’à l’avènement de la puissance mandataire que fut la Syrie et qu’on croyait la pire de toutes – jusqu’à son remplacement par l’Iran des mollahs.
Mais ce n’est pas tout. Voyant que ce pays est encore trop flasque pour tenir debout tout seul, des tentatives concurrentes de mandat alternatif n’ont jamais cessé, du côté français, américain, ou onusien, y compris et surtout à l’heure actuelle, l’heure de tous les dangers. Tentatives illustrées symboliquement par Jean-Yves Le Drian, Amos Hochstein, ou encore ce Quintette qui s’active depuis des mois. Autant de situations parfaitement expliquées par nos politologues du site.
Au niveau socio-économique, les mandats sont peut-être moins médiatisés, mais aussi omniprésents. Quel est donc le panorama sur ce plan-là? Rien de radicalement différent de la sphère politique: d’abord le mandat financier donné au FMI; puis, au niveau individuel, les ministères et autres entités étatiques semblent être soumis à leurs propres mandats, au pluriel. De sorte que les initiatives de chaque entité sont décidées, organisées, exécutées et contrôlées par des parties mandataires. Aucune initiative ou projet ne se fait sans un sponsor extérieur, créant cette malheureuse impression de dépendance.
Prenons un exemple, le ministère de la Santé. Rien que depuis deux ans, pour ne pas remonter trop loin, le ministère a conclu ce qu’il appelle pudiquement des accords de coopération, qui sont en fait des prises en charge, avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Agence française de développement (AFD), l’Union européenne, l’USAid, l’Unicef, la Gavi (Alliance mondiale pour les vaccins), la Corée du Sud, le Canada, le Comité international de la Croix-Rouge, l’Organon (une entreprise mondiale de soins de santé), l’Italie, la Banque mondiale, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), le Japon… et plusieurs dizaines d’associations ou d’entités privées.
On pourrait établir des listages équivalents pour tous les autres, si on avait assez d’espace ou de mégabytes. Les interventions, parfois présentées comme de simples «assistances en temps de crise», vont bien au-delà. Des agents de la partie coopérante s’installent même au ministère pour préparer les dossiers, planifier et exécuter. Le comble est que certains de ces employés installés au ministère et payés par un organisme international s’occupent de préparer le dossier nécessaire pour solliciter une aide d’un autre organisme international… et ainsi de suite.
Cette situation, qui dure depuis plus de quatre ans, a même créé une addiction presque pathologique. On se plaît à être pris en charge. On en est peut-être là loin de l’essence d’un État. Mais tout le monde s’en moque, du moment que le prochain dossier d’assistance passe le cap. Quant au ministre dans tout ça, on le garde bien au frigo, histoire de le préserver pour son rôle de figuration lors de la prochaine conférence de presse.
C’est ce qui explique d’ailleurs pourquoi certaines questions essentielles sont restées en suspens depuis des années, comme un plan financier global, ou les négociations avec les créditeurs, ou certaines lois ou mesures de réformes: tout simplement parce que les mandataires n’ont pas pu s’en occuper.
C’est pour cela aussi que toutes ces petites gens d’en bas trouvent difficile de prévoir l’avenir au-delà de deux jours, encore moins de le façonner. On a l’insoutenable impression que l’avenir du pays dépend de nos hommes d’État autant que le temps qu’il fera la semaine prochaine dépend de Monsieur météo à la télé.
Ce qui est tout à fait compréhensible quand on ne voit que des responsables somnolents et des mandataires s’occuper de gérer les affaires courantes, prendre la main pour traverser la rue, aider à faire ses devoirs, ou faire roter avant de mettre au lit.
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