Au cours des trois derniers mois, l’Égypte a bénéficié d’aides étrangères substantielles. Après avoir poussé son économie au bord du gouffre, le pays le plus peuplé du monde arabe se voit renfloué en devises étrangères. Ces aides peuvent-elles être comparées à d’autres reçues par les pays limitrophes de la Méditerranée pour contenir les flux migratoires vers l’Europe?
Le 23 février 2024, l’Égypte et les Émirats arabes unis (EAU) signent un accord d’une valeur de 35 milliards de dollars pour développer la péninsule de Ras el-Hekma sur la côte méditerranéenne de l’Égypte. Dans ce marché immobilier, les Émirats acquièrent les droits d’exploitation de 171 millions de m² pour construire des quartiers résidentiels, des hôtels et des centres commerciaux.
Quelques semaines plus tard, le Fonds monétaire international (FMI) octroie au Caire un prêt de 8 milliards de dollars, initialement bien moins garni, mais élargi par la suite à cause d’une baisse des rentrées égyptiennes en devises. Cette régression des recettes est d’abord due à la pandémie de Covid-19 et puis à la guerre en Ukraine, mais, surtout, actuellement, à la baisse du tourisme à cause de la guerre de Gaza. Les attaques des Houthis en mer Rouge et dans le golfe d’Aden ont réduit les revenus du canal de Suez «de 40% à 50%», depuis le début de l’année, selon le FMI.
Ce prêt a été suivi d’une enveloppe européenne de 8 milliards de dollars (7,4 milliards d’euros) puis de 6 milliards de dollars supplémentaires de la Banque mondiale.
Tous ces accords financiers ont permis au Caire de s’éloigner du précipice. Pour l’instant.
Mais pourquoi l’Égypte a-t-elle bénéficié de toute cette aide?
Les Émirats arabes unis
Pour les EAU, il s’agit essentiellement d’une question politique. En 2013, les EAU avaient fait partie, avec l’Arabie saoudite et le Koweït, d’une coalition, qui avait soutenu le président Abdel Fattah el-Sissi, avec une enveloppe de 25 milliards de dollars, après son coup d’État contre les Frères musulmans et son arrivée au pouvoir.
Toutefois, les Émirats et l’Égypte sont actuellement à couteaux tirés à cause de divergences, au niveau de leur politique étrangère, au sujet du Soudan, chacun des deux pays ayant son champion soudanais, le chef du groupe paramilitaire, Forces de soutien rapide, le général Hemeti, pour les EAU, et le chef de l’armée, Abdel Fattah al-Burhan, pour l’Égypte.
En participant au deal de Ras el-Hekma, les EAU peuvent quand même maintenir un effet de levier en faveur de M. Sissi, tout en s’engageant dans un investissement favorable.
Interrogé par Ici Beyrouth, Nassib Ghobril, économiste en chef du groupe Byblos Bank, explique que sur les 35 milliards de dollars qui font l’objet de l’accord égypto-émirati, 24 milliards, en devises fraîches, vont être débloqués par la biais d’ADQ, un fonds souverain émirati, d’ici à juin. Les 11 milliards restants sont des dépôts émiratis préexistants à la banque centrale égyptienne. Ils seront échangés en livres égyptiennes pour financer des investissements et permettront de réduire la dette extérieure du Caire.
Le FMI
Des pays comme l’Égypte sont stratégiquement importants pour les grands donateurs du FMI, comme les États-Unis. D’abord parce que le Caire a signé un accord de paix avec Israël et contribue historiquement à préserver la stabilité dans la région. Ensuite, parce que l’Égypte de Sissi a contribué à éliminer les Frères musulmans et qu’il s’agit du pays arabe le plus peuplé. L’effondrement d’un État comme celui-ci déstabiliserait la région, d’où la formule «too big to fail» (trop grand pour échouer) employée par certains pour commenter les accords de Ras el-Hekma.
«Le prêt du FMI, initialement prévu à 3 milliards de dollars a été revu à la hausse pour atteindre 8 milliards», comme le relève M. Ghobril. «L’accord avec le FMI est associé de conditions de privatisation et de désengagement de certains actifs pour réduire le volume du secteur public dans l’économie», souligne-t-il.
C’est son importance stratégique qui permet à l’Égypte d’obtenir des prêts supplémentaires du FMI même si elle ne respecte pas ses engagements antérieurs, notamment celui de se désengager des entreprises publiques (EP).
Sous le régime du général Sissi, qui vient d’entamer son troisième mandat, des EP bien particulières, appartenant à l’armée, sont devenues omniprésentes. Elles sont impliquées dans tous genres de secteurs, même ceux qui ne sont pas liés à la «défense», l’objectif premier étant de mettre en place un système de compensations indirectes aux fidèles du président. Le régime égyptien semble, de ce fait, peu disposé à se désengager d’entreprises appartenant à l’armée, garantissant la loyauté de celle-ci et écartant d’autres centres de pouvoir.
Le don européen
Le don de l’UE de 7,4 milliards d’euros comprend des subventions et des prêts sur 3 ans. Une partie des fonds – 5 milliards – servent d’assistance macrofinancière (AMF) et seront versés directement à la banque centrale égyptienne.
«La somme d’un million d’euros de cette enveloppe est considérée comme étant urgente, en raison de la détérioration rapide de la situation économique et fiscale dans le pays», peut-on lire sur le site du Conseil de l’Union européenne en date du 18 mars 2024.
La procédure d’urgence supprime la nécessité d’un contrôle du Parlement européen et contourne également la nécessité d’une étude d’impact sur les effets de l’aide.
L’accord prévoit également un plan d’investissement de 1,8 milliard d’euros, ainsi que 600 millions d’euros de prêts dont au moins 200 millions iront pour la gestion du dossier des migrations, de sorte à réduire ce phénomène.
Les pressions migratoires
Cette dernière allocation montre que le dossier de la migration est un facteur clé de l’accord bilatéral. Il représente aussi, soit dit en passant, un enjeu électoral important dans les prochaines élections européennes.
L’Égypte est non seulement confrontée à la volonté de départ de ses propres citoyens, mais elle est aussi devenue un pays de transit pour les réfugiés des pays voisins.
Ce faisant, l’Union européenne apportera une assistance au gouvernement égyptien pour l’aider à renforcer ses frontières, particulièrement avec la Libye, un important point de transit pour les migrants d’Afrique en route vers l’Europe.
De plus, l’Égypte accueille plus de 4 millions de Soudanais sur son territoire, dont presque 500.000 qui ont fui, depuis avril 2023, les affrontements dans leur pays.
Selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), le nombre de migrants en Égypte s’élève à un peu plus de 9 millions, ce qui équivaut à 8,7% de la population égyptienne. Cette population de migrants se compose de personnes originaires de 133 pays, parmi lesquels des Soudanais (4 millions), des Syriens (1,5 million), des Yéménites (1 million) et des Libyens (1 million).
L’importance du nombre de migrants dans un pays en proie à une crise économique aiguë, comme l’Égypte, inquiète l’UE qui redoute de voir ainsi sa longue liste des crises migratoires s’allonger. Bien que la côte égyptienne n’ait pas été un point de départ important des bateaux de la mort qui mettent le cap sur l’Europe, l’Égypte reste confrontée à des pressions migratoires, à cause des pays voisins en crise, notamment à la menace d’un flux de réfugiés palestiniens par le point de passage de Rafah, à la frontière avec Gaza.
Contrairement cependant à d’autres pays méditerranéens confrontés aux mêmes crises, comme le Liban, à titre d’exemple, l’importance géopolitique de l’Égypte dans la région rend sa stabilité interne cruciale, d’où l’empressement de l’Occident à soutenir les efforts de redressement de son économie et de renforcement de ses frontières.
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