«Il était des nôtres»… Gabriel Gemayel au-delà des tombes vides

Il était des nôtres, centre-ville de Beyrouth - 1975 est un livre captivant et émouvant de Gabriel Gemayel, qui fait écho aux souffrances des martyrs d'un Liban déchiré par les conflits. Cet ouvrage se dresse comme un devoir de mémoire collective, brisant le silence entourant tous ceux qui ont disparu et les «tombes vides». La première séance de dédicace a eu lieu le 13 avril 2024 à la fondation Georges Corm, et la seconde se tiendra le 16 mai à Tribu, à Achrafieh, de 17h à 19h30.
Il était des nôtres, centre-ville de Beyrouth - 1975 retrace le parcours d’un père abattu et disparu lors des combats au centre-ville de Beyrouth, ainsi que la quête désespérée de son fils pour le retrouver quarante-et-un ans plus tard. Le récit est rythmé par les titres des chapitres tirés de La Marseillaise. L’auteur remonte les aiguilles du temps et se faufile dans le passé en détective, guerrier ou missionnaire. Son but? Réunir le père et le fils, au-delà de l’au-delà et «payer la dette d’un père qui était venu se battre au Liban…»
«Bonjour. Mon père est décédé au Liban en 1975. Il s’appelait Dominique Borella. Il se battait pour Gemayel…» Tout a commencé par un message envoyé à Georges Boustany sur sa page Facebook, «La Guerre du Liban au jour le jour», regorgeant de photos archivées de Beyrouth. Ainsi est né le livre de Gabriel Gemayel. L’ouvrage est historique et romancé, au style imagé, imprégné d’humour et de poésie, au rythme aussi bien saccadé que fluide, enlaçant la petite histoire au sein de la grande, comme un bracelet.
Ici Beyrouth a rencontré l’auteur-détective, mu par son acharnement à la recherche de la vérité, sa quête de cet humain «idéaliste et répondant à l’appel du devoir», avec pour seule mission de «rendre à César ce qui lui appartient». Il atteste: «Mon but est toujours de transmettre un message à travers mes écrits. La grande histoire est celle du Capitaine de Borella venu assurer l’entraînement des Phalangistes au Liban et ayant combattu à leurs côtés en 1975, puis décédé, et puis la quête de son fils, des années plus tard. La petite histoire relate le vécu de ce personnage et a côtoyé des personnalités politiques et militaires au Liban. J’ai imaginé le contexte dans la première partie qui relève de la fiction. Dans la deuxième partie, le réel est là, au millimètre près.»
Mais que cherche-t-on en particulier dans les tombes vides? Gabriel Gemayel répond: «On cherche à faire le deuil... S’il n’y a pas de tombe, ou s’il existe une tombe sans corps, il n’y a pas de deuil. C’est aussi le problème des disparus de la guerre.» Pour lui, «faire le deuil, c’est pleurer devant une tombe...» Il définit «une cause juste» en développant l'idée que chacun a sa propre vision du Liban.

«Si l'unanimité s'était faite autour de la vision d'une nation unie, nous aurions tous embrassé un seul et même idéal. Cependant, de par mon patrimoine culturel familial, nous partageons tous l'aspiration d'un Liban libre, indépendant et maître de son destin. Durant la biennale 75-76, on se battait pour une seule cause. Les jeunes gens portaient les armes. mais étaient aussi soutenus par une population… Mourir pour une cause justifiait une mort, oui. Malheureusement, tout a fini par se dissoudre dans l'appat du gain, de l’argent, du pouvoir…»
Au fil des pages, après une rencontre des plus bouleversantes avec feu le capitaine François Alexis Dominique de Borella, une autre rencontre, en plus de celle avec l’auteur-témoin, s’est imposée comme une évidemce, aussi vivante que le souvenir du père dans les écrits de Gabriel Gemayel. C’est celle avec «le fils», Günther, en face à face, à la croisée de chemins, en plein Paris, comme un témoignage vivant de ce père historique et éternel, mort pour une cause.

Au nom de tous les pères… ceux du Liban, de Beyrouth et de toutes les guerres pour cette mère patrie couverte de rouge et de noir, Günther affirme, les yeux pleins d’émotion et de souvenirs: «Au Liban, je me suis senti accueilli, comme un enfant.» Il poursuit: «J’étais déjà fier de mon père, bien avant d’entreprendre ce voyage… Il est vrai qu’il s’est  souvent absenté et nous a quittés pour toujours alors que je n’étais encore qu’un petit enfant de cinq ans, mais je sais que c’est pour une cause juste et noble.»
L'auteur confie: «Dans tous les romans, les personnages essaient de trouver leur place par le biais de l’histoire. Concernant la scène du décès de Borella, la grande question demeure: qui des quatre filles avec Jocelyne Khoueiry était présente avec lui lors de sa mort. Chacune des combattantes que nous avons rencontrées a affirmé que c’est dans ses bras que le capitaine est parti… Voilà pourquoi j’ai inventé le personnage de Georgette, parce que ce détail ne fait pas la différence. Les faits sont là.»
Gabriel Gemayel est perplexe quant à qui pourrait bien porter les armes pour défendre le Liban de nos jours. «Certainement pas ceux de l’ancienne génération qui les  ont portées à 16 ou 17 ans», dit-il.

Au rythme des mots, nous accompagnons l’auteur «sondant les abîmes de la souffrance», s’infiltrant dans les pensées de son personnage, dans une quête de l’inaccessible étoile, au creux des cimetières, de tombe en tombe, pour retrouver «le mur des lamentations», afin que l’épreuve soit dépassée. Nous feuilletons en toute pudeur l’annonce de la nouvelle à Jocelyne Khoueiry, qui non seulement s’est avérée avoir combattu aux côtés de Borella au centre-ville, mais qui a précieusement gardé au fond de son sac un poème que ce dernier lui avait donné, quelques jours avant son départ, ayant pour titre À mes hommes, qui sont morts. «Une scène que l’on croirait romancée mais qui est bel et bien réelle.» affirme l'auteur.
Dans ce troisième roman dédié à Jocelyne Khoueiry, Gabriel Gemayel s’attèle à décortiquer l’Histoire, à parcourir les faits et à faire revivre les fantômes du passé. Il ravive les souvenirs tus ou transgénérationnels et s’adresse à une conscience ou une inconscience collective avec retenue. Tel que le décrit Karl Akiki dans sa préface, «ce fils est à l’image de tout Libanais qu’il faut emmener sur les champs de bataille pour qu’il voie, sente et ressente ces vies perdues, ce sang épanché, cette citoyenneté qui tarde tant à naître.» Les faits de Gabriel Gemayel sont scientifiques, voire crus, et pourtant, ses mots sont poignants. «Je devais cette quête, ce témoignage, à Borella qui a donné sa vie pour le Liban, et sans qui, peut-être, nous ne serions pas aujourd’hui en vie», reconnaît-il en toute humilité.
Gabriel Gemayel dépeint les scènes avec la précision d’un documentariste mais aussi avec les envolées oniriques de la poésie. Ses nuances romancées transcendent les images des guerres civiles et personnelles, relèvent l'humain dans toute sa vulnérabilité et son espérance, au nom de la mère, du père et du fils.
Au nom de tous les nôtres.
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